Vilfredo (de) Pareto (1848-1923)
Pour le sociologue italien Vilfredo Pareto l'histoire nous apprend :
- que dans la vie sociale le sentiment l'emporte sur la raison,
- et que l'élite dirigeante est mortelle, qui règne par la force et la ruse tout en se renouvelant pour subsister.
C'est ce que l'on va voir en traitant de la sociologie de Pareto dans le § 2, après avoir donné quelques informations sur sa vie et son oeuvre dans le §1.§ 1. La vie et l'oeuvre
Vilfredo Frederico Samaso marquis de Pareto est né le 15 juillet 1848 à Paris où son père, le marquis Raffaele Pareto, est exilé pour avoir participé à un complot républicain à Gênes.
Il fait ses études primaires à Paris, et son père ayant été politiquement réhabilité en 1858 ses études secondaires à Gênes et supérieures de sciences mathématiques et physiques à Turin.
En 1870 il soutient une thèse de physique et obtient un diplôme d'ingénieur. Il entre à la société des chemins de fer romains et cinq ans plus tard il est le directeur technique de la
Ferriere Italiana puis d'une importante société métallurgique.
Pareto s'engage alors dans la vie politique italienne.
Libéral et pacifiste, membre fondateur de la Société Adam Smith (1723-1790), il milite activement contre la politique économique protectionniste du gouvernement italien et sa politique militariste.
Il se présente en 1880 et 1882 aux élections législatives, sans succés. Déçu par la politique politicienne il renonce en 1888 à son poste de directeur technique pour devenir consultant, ce qui lui permet de consacrer davantage de temps à l'étude de la théorie économique (théorie pure).
Il redécouvre les travaux de l'économiste Léon Walras (1834-1910) avec lequel il se lie en 1891, et qui lui propose de le remplacer à la chaire d'économie politique de l'Université de Lausanne, ce qui est fait en 1893.
Il publie son premier ouvrage en 1896 et 1897, son
Cours d'économie politique.
Dès cette époque il se passionne pour les sciences sociales et enseigne la sociologie à l'Université. En 1900, après avoir hérité de son oncle une importance fortune il s'installe dans le canton de Genève, où il consacre l'essentiel de son temps à la recherche.
En 1902 et 1903 il publie
Les Systèmes socialistes, ouvrage dans lequel il étudie les faiblesses du libéralisme et la force de persuasion des idées socialistes, logiquement inconsistantes, selon lui, mais passionnément convaincantes.
Son ouvrage sociologique fondamental est le monumental, 1818 pages, et indigeste,
Traité de sociologie générale, publié en italien en 1916 et en français en 1917.
Pareto est profondément déprimé par la guerre civile européenne de 1914-1918 et par le comportement des démocraties, notamment en Italie où la situation après la guerre est désastreuse. C’est pourquoi il décide de soutenir le socialiste national Benitto Mussolini, et le 23 mars 1923, en récompense, il est nommé sénateur du royaume d'Italie, mais il ne peut accepter cette nomination car il a renoncé, entre temps, à la nationalité italienne pour devenir citoyen du micro-Etat libre de Fiume (actuellement Rijeka en Croatie).
§ 2. La sociologie de Pareto : l'universel et tragique éphémère de l'élite
Selon Pareto la sociologie n'a pas pour objet de donner des leçons de morale, mais de constater ce qui est : à savoir que les humains se disputent les avantages de l'existence en essayant de légitimer leur soif pour affaiblir les rivaux.
La sociologie est selon lui la science logico-expérimentale qui constate que les actions humaines ne sont pas que logiques (A), dans des sociétés hiérarchisées qui sont mortelles (B).
A/ Les actions humaines ne sont pas que logiques
C'est la sociologie, une science logico-expérimentale (I), qui, nous dit Pareto, permet de distinguer le logique du non logique (II), non logique qui est constituée par ce qu'il appelle les dérivations des résidus (III).
I. La sociologie est une science logico-expérimentale
La science logico-expérimentale, selon Pareto, a pour but de connaître la vérité et non pas d'être utile à la société, ou à telle ou telle composante de la société.
En conséquence la sociologie logico-expérimentale a pour devoir d'écarter toutes notions extra ou meta-empiriques, se situant à l'extérieur ou au-dessus de ce qui est observable empiriquement, et ne peut pas, elle-même, donner naissance à une nouvelle morale.
II. Du logique et du non-logique
Selon Pareto les actions humaines
sont soit des actions logiques soit des actions non-logiques.
Il y aurait selon lui quatre genres d'actions non-logiques, les plus importantes étant les actions qui concernent la plupart des conduites rituelles ou symboliques, les actions de type religieux de nature sacrée, et les actions qui concernent les erreurs des scientifiques, les illusions des intellectuels et des politiques.
Le non logique est constitué, selon lui, par ce qu'il appelle les dérivations des résidus.
III. Les dérivations des résidus
Pour Pareto si les actions logiques sont motivées par le raisonnement, les actions non-logiques sont motivées par le sentiment.
Selon Pareto la plupart des actions humaines de nature sociale sont motivées par le sentiment, ont des motivations non-rationnelles.
La cause principale en serait la puissance des idéologies et des croyances sociales, notamment pendant l'enfance.
Ces actes non-logiques seraient donc motivés davantage par la passion que par la raison.
Ces actes seraient très fréquents en politique, avec les conséquences, notamment juridiques, qui peuvent en découler.
S'il en est ainsi c'est à cause de l'existence de ce que Pareto appelle les dérivations.
Les dérivations, répertoriées en quatre classes, sont les divers moyens verbaux, les discours, utilisés par les individus et les groupes pour justifier leurs actions en leur donnant une logique, logique qu'elles n'ont pas nécessairement, ou logique qui est différente.
C'est du camouflage psychologique.
Selon Pareto c'est l'exemple classique des révolutionnaires qui luttent pour renverser un système social qu'ils déclarent oppressif, dans le but d'instaurer un nouveau système social qui, selon eux, sera un système de liberté.
Ces révolutionnaires, ayant pris le pouvoir, peuvent être entraînés par la logique des faits à instaurer un système social réellement oppressif. Ils se justifient alors de diverses manières, toutes présentées comme étant parfaitement logiques : c'est la faute des ennemis politiques, des étrangers, des minorités, de circonstances totalement imprévisibles ...
Les résidus c'est ce qui reste lorsque l'on écarte le camouflage psychologique, qui est
la rationalisation du non-logique.
Les résidus sont les facteurs stables du comportement. Pareto les répertorie en six classes, mais l'on peut dire, très schématiquement, qu'ils correspondent à deux comportements sociaux fondamentaux : le comportement de conservation, l'esprit d'ordre et de stabilité,
la conformité, d'une part ; et
le comportement d'innovation, l'esprit de création, de dévelopement ou de renouvellement, d'autre part.
Le jeu social des résidus et des dérivations forme les élites, dont on constate partout l'existence. Des élites qui connaissent la mobilité, et qui disparaissent, dans des sociétés hiérarchisées qui sont mortelles.B/ Dans des sociétés hiérarchisées qui sont mortelles
Toute société est hiérarchisée, y compris démocratique, avec des dominants et des dominés.
Les dominants comprennent les élites (I) qui sont en constante mobilité, en circulation ([url=http://www.denistouret.net/ideologues/Pareto.html#circulation élite]II[/url]) montante et descendante, circulation descendante qui se termine au cimetière des aristocraties (III).I. Les élites
Pareto nous dit qu'avec les dérivations et les résidus,
les intérêts et
la circulation des élites sont les facteurs qui font que la forme générale de toute société se caractérise par une mutuelle dépendance des éléments qui la composent, éléments qui sont situés dans un environnement variable, écologique, international et historique.
Tous ses facteurs font que chaque société est différente, et composée d'éléments différents ayant des intérêts différents.
Les intérêts sont l'ensemble des tendances, instinctives et rationnelles, qui poussent "
les individus et les collectivités ... à s'approprier les biens matériels utiles, ou seulement agréables à la vie, ainsi qu'à rechercher de la considération et des honneurs"(Traité § 2009).
Or toute population sociale est composée de deux couches, une couche inférieure qui comprend tous ceux qui ne réussissent que médiocrement dans la vie et une couche supérieure, l'élite, qui comprend tous ceux qui réussissent, dans quelque domaine que ce soit, et qui se divise en deux : l'élite non-gouvernementale et l'élite gouvernementale.
L'élite au sens large est définie par Pareto, en dehors de toute considération morale, en attribuant aux membres de l'élite de très bonnes notes, sur dix, de la manière suivante, par exemple : "
A l'habile escroc qui trompe les gens et sait échapper aux peines du code pénal, nous attribuerons 8, 9 ou 10, suivant le nombre de dupes qu'il aura su prendre dans ses filets, et l'argent qu'il aura su leur soutirer. Au petit escroc qui dérobe un service de table à son traiteur et se fait prendre par les gendarmes, nous donnerons 1" ; ou encore "
A la femme politique, ..., qui a su capter les bonnes gràces d'un homme puissant, et qui joue un rôle dans le gouvernement qu'il exerce de la chose publique, nous donnerons une note telle que 8 ou 9. A la gourgandine qui ne fait que satisfaire les sens de ces hommes, et n'a aucune action sur la chose publique, nous donnerons 0."
II. La circulation des élites
La circulation des élites est la mobilité sociale qui affecte dans toute société les membres du groupe social dirigeant.
Toute société est caractérisée par la nature de son élite gouvernementale, qui s'impose comme dirigeante à la couche inférieure, soit par la force soit par la ruse, car toute élite politique est soit lionne soit renarde,
et lutte pour sa vie (1°), la révolution Juste étant une illusion (2°).
1° La lutte pour la vie
Pour Pareto,
qui n'est pas marxiste, la lutte des classes est bien une donnée fondamentale de l'histoire, mais ce n'est qu'une forme de la lutte pour la vie, de même que le conflit entre le travail et le capital n'est qu'une forme de la lutte des classes.
Supposons, dit Pareto, que le capitalisme soit remplacé par le collectivisme, le capital ne peut plus être en conflit avec le travail, donc une forme de la lutte des classes disparaît, mais d'autres formes apparaissent alors : des conflits surgissent entre les diverses catégories de travailleurs de l'Etat socialiste, entre intellectuels et non-intellectuels, entre citadins et paysans, au sein de l'élite gouvernementale entre les innovateurs et les conservateurs, entre les membres de l'élite gouvernementale et les membres de la couche inférieure, etc ...
2° L'illusion révolutionnaire
Depuis toujours, nous dit Pareto, les révolutionnaires affirment que leur révolution sera différente des autres - celles du passé qui n'ont abouti qu'à duper le peuple.
Leur révolution sera, elle, enfin, la vraie révolution, celle qui, définitivement, apportera la Justice, et le peuple peut y croire.
Malheureusement, nous dit-il, cette "vraie" révolution, qui doit apporter aux hommes un bonheur sans mélange, n'est qu'un décevant mirage, qui jamais ne devient réalité, et les révolutions conduisent, elles-aussi,
leurs aristocraties au cimetière.
III. Le cimetière des aristocraties
Selon Pareto l'histoire est fondamentalement l'histoire de la vie et de la mort des élites gouvernementales, les aristocraties, pour lui :"
L'histoire est un cimetière d'aristocraties"(Traité § 2053).
L'histoire des sociétés, nous dit-il, est celle de la succession de minorités privilégiées qui se forment, qui luttent, qui arrivent au pouvoir, en profitent, et tombent en décadence, pour être remplacées par d'autres minorités.
S'il en est ainsi, nous dit-il, c'est que les élites se détruisent elles-mêmes par la guerre, ou s'amollissent dans la paix, les renards, les rusés, succèdent alors aux lions, les forts, puis finissent par succomber eux-mêmes à l'assaut des lions ennemis.
Pareto est convaincu que la décadence menace toute société qui ne pratique pas la mobilité sociale, la circulation des élites.
Selon Pareto dans toute société l'élite comprend des individus qui ne méritent pas d'en faire partie. Et la couche inférieure comprend des individus qui mériteraient de faire partie de l'élite.
Donc nous dit-il, si l'élite gouvernementale est, déjà, contrôlée par les vieux renards, ceux-ci, par crainte des jeunes lions de la couche inférieure, feront tout pour les éliminer, jusqu'au moment où, ne pouvant plus résister à la pression, c'est eux qui seront alors éliminés.
Donc nous dit-il, si l'élite gouvernementale est encore assez forte, son intérêt sera d'intégrer, par la mobilité sociale, les lions de la couche inférieure : c'est, selon Pareto, ce que fait intelligemment, depuis des siécles, l'
Establishment britannique...