La nouvelle, annoncée en fanfare par la Nasa et reprise par un nombre incalculable de médias, semblait très impressionnante… Dans le monde entier et à peu près dans toutes les langues, on pouvait apprendre ces jours-ci que « la sonde Voyager 1 a quitté le système solaire ». Fichtre, pour une nouvelle, c’est une nouvelle… Certes, les rieurs pouvaient se gausser à bon compte de l’agence spatiale américaine, qui a du proclamer une petite dizaine de fois en un quart de siècle, que l’une de ses sondes avait quitté le système solaire, mais enfin, cette annonce est soutenue par un article scientifique, dans la sérieuse revue Science, alors…
Alors reprenons l’histoire du début. La Nasa a conçu les deux sondes Voyager dans les années 1970. C’était l’époque du Flower Power, des longs solos égocentriques des guitar heros, depuis le « Light my fire » des Doors, jusqu’au « Red House » de Jimi Hendrix. Gerald Ford allait laisser sa place à Jimmy Carter comme Président des Etats-Unis, Liv Tyler venait tout juste de naître. En ce temps là, les Américains se déplaçaient dans les Boeing 707 de la Pan Am… Alors, à la fin de l’été 1977, deux fusées Titan, lancées depuis Cap Canaveral, partaient pour l’espace…
Au cours des années 1980, les quatre dernières planètes du système solaire, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, allaient être croisées par l’une ou l’autre des deux sondes. Un exploit technique, une moisson scientifique extraordinaire, une odyssée quasi mythologique : les deux Voyager allaient marquer définitivement l’histoire des sciences. A l’époque, déjà, la science et la communication faisaient bon ménage à la Nasa. On ne parlait pas encore de buzz, bien sûr, internet n’existait pas. Mais enfin… Chaque sonde emportait avec elle un vidéodisque rempli de cartes postales de la Terre à destination des… extraterrestres. Évidemment, personne de sérieux à la Nasa n’imaginait que les sondes allaient être arraisonnées par un vaisseau Klingon, ces messages avaient les seuls Terriens pour destinataires, manière de leur dire, au moment où naissait l’écologie politique, que notre petite planète bleue est perdue dans un univers infiniment vide et que les Voyager étaient des bouteilles jetées sur les vagues noires de l’espace…
En s’éloignant du Soleil, en 1990, la sonde Voyager 1 s’est retournée sur sa trajectoire et a pris en photo les planètes du système solaire à contre jour. De gauche à droite à partir du haut : Vénus, la Terre, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Mercure et Mars, noyées dans l’éclat du Soleil, n’ont pas été vues par la sonde. Photo JPL/Nasa.
Dans les années 1990, alors que Voyager 1 dépassait l’orbite de Pluton – à l’époque, Pluton était encore une vraie planète – la Nasa a commencé à annoncer que sa sonde sortait du système solaire… En 2010, après diverses péripéties, Voyager 1 a commencé à sortir de nouveau du système solaire, mais cette fois, c’était du sérieux, la sonde traversait l’héliopause, c’est à dire la limite d’influence magnétique du Soleil. En deçà, dans l’héliosphère, les planètes sont baignées par le vent solaire, des particules de haute énergie émises par notre étoile. Un milieu évidemment presque vide… Au delà, c’est l’espace interstellaire, quasiment vide aussi, on s’en doute. A peine sortie, patatras, Voyager 1 réintégrait le système solaire : finalement, les mesures étaient fausses, on s’était trompé. Dont acte. En 2012, à l’occasion des trente cinq ans du lancement de la sonde, rebelote : Voyager 1 re-re-sortait du système solaire… Le nouvel article de Science explique que cette fois, c’est peut-être presque pour de vrai : les chercheurs « sont tombés de leur chaise » en décryptant les mesures de Voyager 1. Du vide interplanétaire, la sonde était passée au vide interstellaire, quel choc ! En fait, à lire l’article de plus près, on comprend que personne n’en sait rien… D’une part, après 36 ans de bons et loyaux services, la sonde interplanétaire a plusieurs instruments en panne, ensuite, la limite entre espace interplanétaire et espace interstellaire semble très floue, les chercheurs ne savent pas vraiment ce qui se passe là-bas… Car Voyager 1 est loin. Très loin. Près de 19 milliards de kilomètres, soit 125 fois la distance Terre-Soleil, ou encore… 50 000 fois la distance Terre-Lune ! De quoi faire verdir de rage les astronautes, cantonnés dans la Station spatiale internationale à 400 kilomètres au dessus de nos têtes !
Tellement loin qu’il faut dix sept heures – à la vitesse de la lumière – à un message envoyé par la sonde pour arriver jusqu’aux antennes du Deep Space Network américain, qui suivent la sonde depuis près de 40 ans…
Voyager 1 – et Voyager 2 dans la direction opposée – quitte bel et bien le système solaire. Emportée par la « troisième vitesse cosmique », celle qui permet d’échapper à l’attraction solaire, elle file à 61 000 km/h en direction de la constellation d’Ophiuchus.
Sauf que, passées Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton, passée – peut-être, l’héliosphère – Voyager 1 navigue désormais dans un espace en compagnie de milliers, peut-être de millions, de comètes et astéroïdes glacées, appelés transneptuniens, qui tournent autour du Soleil. Ces astres sont situés parfois à des dizaines, des centaines de milliards de kilomètres du Soleil, mais, prisonniers de l’attraction solaire, ils font bien partie du système solaire, pas de doute.
Alors, quand Voyager 1 quittera-t-elle le système solaire ? Si l’on s’en tient à cette définition restrictive de la bulle magnétique générée par le Soleil, l’héliosphère, maintenant, ou dans quelques années. Si on choisit la plus générale, la plus logique et surtout la plus légitime définition « gravitationnelle » du système, alors, il lui faudra beaucoup de temps pour atteindre les limites du système solaire. On s’en doute, c’est moins intéressant pour la communication de la Nasa, qui n’existera peut-être plus à ce moment là. Faisons les comptes. Voyager 1 a parcouru environ 20 milliards de kilomètres en 40 ans. La véritable limite du système solaire – c’est à dire le lieu incertain où Voyager 1 hésitera sur sa route cosmique entre les attractions du Soleil, d’Alpha du Centaure, de l’Etoile de Barnard et tant d’autres encore – se trouve à une année-lumière d’ici environ, soit 10 000 milliards de kilomètres. Au rythme actuel de la sonde – 61 000 km/h, donc, – il lui faudra environ 20 000 ans pour s’échapper du système solaire, et se perdre dans la Galaxie.
Serge Brunier