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 1.4. Le sens du spectacle

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الموقع : سرير الحبيب
تاريخ التسجيل : 09/04/2010
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04122010
مُساهمة1.4. Le sens du spectacle

1.3. La “ constitution moderne ” de l’art


20Si le jugement de Mengs mérite pour nous une attention particulière, ce n’est pas uniquement par le lien historique qu’il permet à Horst Brederkamp de rétablir entre la conception française et républicaine du musée et l’histoire de l’art allemande, fondée par Winckelmann. Admiré par David, qui l’a rencontré à Rome, son œuvre servira, devant la Convention Nationale, à légitimer la création du Musée du Louvre, et Alexandre Lenoir appliquera pour la première fois aux Musée des Monuments Français la classification prônée par Winckelmann 15. La mise en évidence de cette relation réinterroge politiquement l’objectivisme d’une histoire des institutions culturelles françaises, trop souvent prisonnière, parce qu’elle est écrite par des français, d’un cadre de perception nationale, et donc d’une catégorisation artistique de la modernité différente de sa catégorisation culturelle 16.

  • 15 . Ibid., p. 133-134.
  • 16 . Que permet de résoudre l’autonomisation de l’histoire de l’art moderne par rapport à l’histoire cu(...)


21Mais ce jugement a autre intérêt, symétrique du premier, qui est le lien sociologique qu’établit Mengs, pour la disqualifier, entre une certaine pratique picturale et une certaine pratique théâtrale. Son discours nous confronte ainsi non seulement à un topos utilisé positivement par les historiens de l’art baroque pour établir ses caractéristiques stylistiques, mais à un topos qui s’est généralisé dans l’argumentation de la qualité artistique d’une œuvre d’art, (et, au delà, dans l’argumentation moderne de la valeur culturelle d’une action collective), celui de sa résistance au spectacle.
22La mobilisation par Mengs de ce lieu commun nous conduit à réinterroger le subjectivisme d’une histoire de l’art, trop souvent prisonnière d’une perception d’œuvres et de personnes autonomisées de leur contexte social par le musée et la littérature artistique savante. Ce cadre de perception rend en effet généralement invisible l’effort par lequel les artistes essaient de réduire l’incertitude du jugement humain dont ils sont prisonniers en contextualisant socialement et culturellement le contenu de leur action.

  • 17 . Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, p. 95.
  • 18 . Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980, p. 134.

23Cette contextualisation s’opère en mobilisant par un discours, ce qu’a déjà montré Pierre Bourdieu et que confirme le mot de Mengs, les objets culturels établis et connus de tous, rendus disponibles par l’environnement passé et présent de l’individu, et qui vont servir à fonder la justesse de l’action pour le spectateur qui doit la juger. Mais ces objets ne peuvent pas se réduire aux “ mots d’ordre ” 17 artistiques, ni aux “ dispositions permanentes ” incorporées 18 qui permettraient d’expliquer la réussite de l’action. Ils désignent également des situations réelles, manipulables par l’intermédiaire des personnes et des choses qui les représentent, parce qu’elles sont devenues des références pour l’action.


  • 19 . Nous utilisons le terme de lieu commun dans le sens proposé par Jean-Yves Trépos, La Sociologie de(...)

24“ L’effet-Duchamp ” est ainsi le moyen pour l’historien de l’art d’aujourd’hui d’expliquer l’histoire de l’art contemporain, et d’emporter l’adhésion à sa tentative d’explication, en s’appuyant sur un lieu commun du jugement artistique contemporain qu’est la situation d’exposition d’un objet scandaleux, parce qu’à la fois incompréhensible et déplacé pour un visiteur traditionnel, dans un musée. L’“ arte de macchinisti ” que convoque par son discours l’artiste Mengs pour singulariser sa propre action lui sert de même, en s’appuyant sur un lieu commun du jugement théâtral de son époque 19, à orienter le jugement sur ses propres tableaux des spectateurs auxquels il s’adresse, spectateurs dont dépend la reconnaissance de son style, et donc la construction de son œuvre. Dans cette perspective, le discours de Mengs n’est pas séparable de son activité de peintre, même s’il en a été effectivement séparé par la réussite historique de ses tableaux, ni ses tableaux du contexte culturel par lequel il justifie leur différence d’avec d’autres productions connues et appréciées par ses acheteurs, même si ce contexte a aujourd’hui disparu.


  • 20 . Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991.

25Tenir compte de cette contextualisation opérée par le peintre lui-même, et dont la réussite conditionne la poursuite de son action, conduit à renverser le problème posé habituellement au sociologue, qui est d’expliquer généralement comment l’on peut réunir ce qui est manifestement séparé, l’homme et l’œuvre, l’œuvre et son contexte, l’art et la société. La définition de ce problème repose sur la “ constitution moderne ” 20 de l’art que nous venons d’examiner à travers le mot de Mengs. Cette constitution moderne, qui prend ici le double sens d’un modèle artistique et d’une charte politique, interdit, comme le souligne Bruno Latour, de reconnaître la nature hybride de ce que les modernes appelle l’œuvre d’art et que confirment pourtant leurs efforts périodiques pour la purifier de la société, “ l’art pour l’art ”, et de l’individu, “ l’art social ”.


  • 21 . Jean Duvignaud, Sociologie du théâtre, Paris, P.U.F., 1965, p. 511.

26Dès lors que l’on reconnaît, en effet, cette nature hybride de l’œuvre d’art, le problème que nous avons à traiter n’est plus que de comprendre comment les individus ont pu ou peuvent faire tenir ce composé. Cet énoncé du problème de la création artistique, qui suffit à discréditer le sociologue par sa simplicité, tient compte simplement de l’imprévisibilité du degré de réussite de l’action artistique, imprévisibilité que fait disparaître généralement sa reconstruction rétrospective. Le spectacle pictural est, comme le spectacle théâtral, difficile à maîtriser parce qu’il est une épreuve qui engage non seulement les objets mobilisés et produits par l’artiste, mais des spectateurs sans lesquels il ne peut y avoir de spectacle, et du jugement desquels dépend socialement la réalisation de sa qualité artistique. L’affirmation d’un sociologue du théâtre, selon lequel “ le public, en tant que public, est toujours en retard sur la création ” 21, ne fait pas disparaître cette dépendance de l’artiste vis-à-vis du spectateur, puisqu’elle rappelle que seuls certains spectateurs, et d’abord, dans la constitution moderne, les artistes eux-mêmes, ont le droit et la capacité de juger du spectacle.
1.4. Le sens du spectacle


27C’est cette imprévisibilité qu’affirme d’ailleurs Mengs dans son jugement, en l’opposant à la prévisibilité parfaite de l’action théâtrale fondées sur des machines capables de reproduire régulièrement les mêmes effets.

  • 22 . T. W. Adorno et Max Horkheimer, La Dialectique de la Raison, Paris, Seuil, 1974, ont largement con(...)

28Ce faisant, il procède comme un moderne, puisqu’il oppose l’art comme activité libre et individuelle au spectacle comme activité collective et normalisée, comme technique de production de pures images 22. Or il mobilise lui-même une image, celle de “ l’arte de macchinisti ”, pour renforcer l’efficacité de son jugement sur le public auquel il s’adresse, qu’il essaie de convaincre de la qualité artistique d’une démarche singulière parce que réellement nouvelle.

29Cette image autorise en effet le rapprochement de l’événement artistique que Mengs s’efforce personnellement de stabiliser – un nouveau style de peinture, qui mobilise le corps des spectateurs d’une manière différente de celle à laquelle ils sont habitués – d’un équipement politique, le savoir critique, qui permettrait de réduire l’injustice sociale représentée par la diffusion du “ spectacle ”. L’événement porté par l’artiste est assimilé à un moyen de résister au pouvoir exercé sur le grand public par l’équipement conçu par les “ machinistes ”, qui réduit la liberté d’expression des personnes et donc favorise l’injustice sociale.
30Le jugement de Mengs constitue en fait deux images différentes du spectacle, le spectacle artistique se distinguant du “ spectacle ” par la manifestation personnelle de l’artiste qu’il autorise. Il dessine par là-même un portrait-modèle de l’artiste moderne, qui se reconnaît par le fait qu’il se manifeste personnellement dans son œuvre.
31L’artiste moderne, à la différence de l’“ Arte de machinisti ”, qui se réduit à la production industrielle d’une image prévisible pour un groupe prédéterminé, apporte aux spectateurs l’image d’un artiste qui a fait don de sa personne à la création artistique. Cette image, dès lors qu’elle est acceptée par le spectateur, participe à la construction sociale du spectacle artistique, en l’impliquant personnellement dans cette construction. Le don que fait le spectateur de sa personne, attitude qui le rapproche de l’artiste, justifie par là-même qu’il témoigne de la qualité particulière du spectacle, et soutienne la nécessité de sa reconnaissance sociale. Cette efficacité sociale de l’image de l’artiste moderne est, comme toute évidence sociologique, difficile à reconnaître, parce que le dispositif de la modernité artistique favorise le discours porté personnellement sur l’événement artistique, ce qui limite le débat esthétique à la reconnaissance du projet de la personne qui permet de fonder socialement le sens de l’événement, c’est-à-dire de celui que nous identifions comme l’artiste. L’image du spectacle trouve son utilité exacte dans le soutien qu’elle apporte à cette reconnaissance. Elle permet de souligner une différence sensible, de la représenter comme le résultat de l’action d’une personne qui se rebelle contre la domination de la technique, et de transformer, avec leur accord, tous ceux qui se trouvent apprécier cette action, en médiateurs personnels de la qualité artistique du spectacle donné par l’artiste. Dans cette perspective, les personnes peuvent s’appuyer sur leur propre expérience du spectacle “ artistique ” pour montrer qu’il permet de résister au spectacle “ technique ”, et à travers lui à une certaine forme d’injustice sociale. Et le sociologue soucieux de définir objectivement l’efficacité du spectacle apparaîtra toujours comme le partisan d’une domination du spectacle qu’il feint de critiquer, puisqu’il ne prend pas en compte le point de vue des personnes.
32L’image du spectacle que permet de produire cette situation a cependant comme limite qu’elle réduit l’incertitude inhérente à tout spectacle, même produit sur la base de standards industriels, puisque son efficacité repose aussi sur les personnes qui accepteront de la confirmer. Et que sa généralisation systématique conduit à confirmer la contradiction inhérente à la modernité artistique. En exagérant la certitude que l’engagement personnel de l’artiste peut donner à son action, elle oublie que l’artiste doit en passer par la représentation de son action, et qu’il en passe nécessairement par là. Cette dépendance par rapport à des objets qu’il n’est pas libre de manipuler comme il l’entend ne désigne pas son enfermement dans une contradiction logique, l’image de l’artiste ne pouvant se définir que relativement à une image du spectacle industriel. Mais le fait observable aujourd’hui, particulièrement dans le cas de l’art contemporain, de la difficulté pour l’artiste de faire reconnaître son efficacité sociale par la seule médiation des personnes pour lesquelles l’art contemporain est véritablement de l’art. Le souci du public, qui s’affirme de plus en plus chez les artistes contemporains, anticipe sur cette impossibilité de justifier, même devant l’État-Culturel, le maintien d’un spectacle sans public, et donc sans objet.
33Cette nécessité de reconnaître la construction sociale du sens du spectacle artistique est ce qu’une sociologie de la technique théâtrale devrait permettre d’éclaircir. Cette technique théâtrale, qui, à l’époque de Mengs, pouvait apporter un argument aux artistes désireux de se dégager de contraintes académiques et d’affirmer leur liberté d’expression, ne se présente plus aujourd’hui comme une technique, en tout cas en France. Elle se définit désormais comme un art, un rempart de la liberté humaine contre la domination de la technique, contre ces nouveaux “ arti de macchinisti ” que seraient le cinéma, la télévision et plus généralement les “ nouvelles technologies ”. 2. La “ vie ” du spectacle, ou une dispute esthétique moderne


34En janvier 1931, un article de la Revue Universelle au titre caractéristique, “ Théâtre humain et théâtre mécanique ”, dénonce, au nom des professionnels du théâtre, “ l’incroyable marche de la mécanique moderne qui menace, en ce domaine comme en tant d’autres, le travail demeuré humain jusqu’à nos jours ” 23. Son auteur, la comédienne Béatrice Dussane, alors sociétaire à la Comédie Française 24 articule immédiatement discours syndical et discours patriotique en confirmant que “ la bataille entre le théâtre et le cinéma est l’un des combats de la grande guerre à laquelle nous sommes mêlés sans bien juger toujours de son importance : la guerre de la mécanique contre l’homme ”. L’argumentation qu’elle utilise pour obtenir l’adhésion de ses lecteurs nous intéresse particulièrement par sa modernité. Selon Dussane, en effet, l’acteur de théâtre fait effort pour se mettre au service de la pensée qu’il doit exprimer, alors que l’acteur de cinéma se contente d’être le serviteur de la caméra, et se trouve “ réduit au rang de “machine-à-donner-des-images-humaines” ou de “machine-à-dire-des-paroles” ” 25.

  • 23 . Béatrice Dussane, “ Théâtre humain et théâtre mécanique ”, La Revue Universelle, janvier 1931, Tom(...)
  • 24 . Maurice Bessy et Jean-Louis Chardans (dans leur Dictionnaire du cinéma et de la télévision, Paris,(...)
  • 25 . Béatrice Dussane, op. cit., p. 44.



  • 26 . Émile Vuillermoz, Histoire de la musique, Paris, Fayard, 1949, rééd. Le livre de poche, 1962, p. 9(...)
  • 27 . Christian Zimmer dénonce dans son Procès du spectacle, en 1977, “ le cinéma le plus puissant du mo(...)
  • 28 . Il s’agit du titre, à prendre au premier degré, de l’ouvrage réalisé, sous la direction de Bordwel(...)

35Cette critique de l’acteur de cinéma, être humain transformé en automate par l’action de la machine à laquelle il se soumet, ressuscite donc la métaphore de “ l’arte de machinisti ” employé par Mengs, dont elle s’efforce d’élargir la portée sociale. Dussane valorise, pour un public de lecteurs français scolarisés, la résonance historique qu’a le terme de “ pièce à machines ” dans la culture théâtrale française. La Grande Guerre, dont les marques sont encore visibles quotidiennement en la personne des “ mutilés de guerre ” prioritaires dans le métro et les bus parisiens, est mis en équivalence avec la lutte livrée au xviie siècle et au xviiie siècle des artistes français contre le spectacle “ made in italy ”. Cette condensation, utilisée par Emile Vuillermoz en 1949 dans son histoire de la musique, pour dénoncer la “ politique d’importation ” en France, par Marie de Médicis et par Mazarin, des opéras florentins à machines 26, rend immédiatement reconnaissable la nationalité de l’ennemi qui agresse, à l’égal du théâtre italien à grand spectacle d’hier, la culture française d’aujourd’hui. Il s’agit du cinéma parlant américain, introduit en France en 1929, et qui remporta alors un succès général, succès qui ne s’est pas démenti depuis. Ceci explique que le cinéma américain contemporain puisse servir encore aujourd’hui aux penseurs français à définir “ le spectacle ” en général 27, ce qui n’empêche pas beaucoup d’entre eux d’apprécier personnellement, au nom du passé, tous les films caractéristiques du “ classical Hollywood style ” 28.


  • 29 . Le Baroque est un style, on le sait, qui s’est développé d’abord en Italie.
  • 30 . “ Avec Taylor et les premiers techniciens de la rationalisation des mouvements des travailleurs no(...)

36Ce n’est pas avec cette impartialité, on vient de le voir, que les professionnels français du spectacle assistent à l’invention et à la diffusion en France des premiers produits caractéristiques de ce style. L’intérêt de cette situation historique, qui transforme l’“ arte de macchinisti ” en slogan politique, est qu’elle rend mieux perceptible la valorisation de la qualité nationale que le jugement de Mengs opérait implicitement 29. La dénonciation par Dussane du “ machinisme ” dont serait porteur le cinéma parlant américain propose en effet d’assimiler la résistance de l’acteur français, du comédien du Français, à la rébellion spontanée du corps de l’être humain aligné sur le fonctionnement de la machine, alignement caractéristique du taylorisme 30. On assiste ainsi à la naissance d’une rhétorique professionnelle du refus du spectacle au nom du respect de la vie, d’une élaboration d’une image du théâtre français comme rempart vivant opposé à la destruction des fonctions vitales de l’organisme social qu’est la société française. Cette représentation vitaliste de la culture ne restera pas qu’une figure rhétorique destinée à rallier les intellectuels français à la défense de la culture française.


  • 31 . Le Cartel est une association à vocation explicitement “ professionnelle ” fondée en 1927, par 4 a(...)

37Elle se constituera progressivement, dans le domaine du théâtre, par l’intermédiaire essentiellement des membres du Cartel 31, en un dispositif artistique chargé de réaliser un certain type de lien social. Ce dispositif artistique instable, parce que reposant uniquement sur des personnalités théâtrales (et donc difficilement généralisable), sera revalorisé, après avoir été déconsidéré politiquement après la guerre, par les professionnels responsables des institutions théâtrales nationales créées par la Ve République. C’est cette revalorisation, dans des conditions politiques différentes et dans le cadre d’institutions bien établies, d’un dispositif ancien, qui explique la constitution du “ spectacle vivant ” en lieu commun pour désigner l’activité théâtrale française, en même temps que son caractère hybride.


  • 32 . Soit aujourd’hui essentiellement le théâtre, l’opéra, la danse, le cirque (mais cette liste s’élar(...)
  • 33 . La question de la préservation du “ sens ” de la culture, face à l’invasion des images (lieu commu(...)

38Le terme de “ spectacle vivant ” n’est plus aujourd’hui une simple métaphore utilisable à leur gré par les individus. Il est devenu une appellation professionnelle appliquée, en France, à tous les genres de spectacle qui reposent sur l’exécution d’une performance physique en présence d’un spectateur 32. Cette situation n’est pas que le résultat d’une revendication explicite et organisée collectivement d’une compétence artistique que le refus de l’“ arte de macchinisti ” n’exprimait qu’explicitement. Elle est aussi celui d’une radicalisation du sens de la modernité artistique, par l’enracinement de la personne de l’artiste dans un espace culturel, qu’il est chargé de représenter à travers son corps 33. C’est ce phénomène de radicalisation qui facilite les déclarations de crise de la culture qui se multiplient aujourd’hui en France, et l’ampleur des débats soulevés par les “ nouvelles technologies ”.
2. 1. Métaphore biologique et culture nationale


39La radicalisation du sens de la modernité artistique apparaît bien dans la manière dont Béatrice Dussane contextualise son refus du cinéma parlant, et la construction de la communauté française qu’elle effectue par son discours. En utilisant le travail humain comme instrument de mise en équivalence entre les individus, quel que soit leur statut social, elle valorise en effet l’existence d’une commune humanité entre tous ceux dont le corps est converti par l’industrie en simples rouages d’un mécanisme. Elle propose par là de considérer la sensibilité partagée, qui conduit les individus à réagir spontanément aux mêmes choses, comme une preuve de l’existence du groupe humain qu’ils constituent et dont l’existence est menacée par l’expansion du machinisme.
40La dénonciation de Dussane se rapproche ainsi d’autres dénonciations, portées dans la société française par d’autres intellectuels qui ne sont pas, comme on pourrait le penser spontanément, les dirigeants des syndicats et des partis ouvriers.

  • 34 . Cf. Benjamin Coriat, L’Atelier et le Chronomètre, Paris, Christian Bourgois, 1972.

41La production de masse ne commence en effet qu’à s’introduire en France, et la rationalisation industrielle, avec la réglementation qu’elle apporte, est encore synonyme de progrès pour des ouvriers qualifiés, possédant le savoir-faire individualisé qu’exige l’utilisation de la machine-outil 34.


  • 35 . Pour ces deux auteurs, la technique du parlant vient interrompre brutalement la vie d’un art ciném(...)
  • 36 . Suivant ainsi l’opinion de René Clair, qui parle de “ … monstre redoutable, création contre-nature(...)

42Les intellectuels, dont se rapproche Dussane par son discours, ont alors comme caractéristique paradoxale de refuser de se définir comme intellectuels, appellation utilisée depuis l’affaire Dreyfus pour désigner les représentants de la “ république des professeurs ”, partisans de la révision du procès. Ainsi, Bardèche et Brasillach se font les porte-parole, en 1935, de tous ceux qui refusent la destruction par l’industrie hollywoodienne de l’art du cinéma muet 35, et dénoncent la “ monstruosité ” de la technique américaine du doublage cinématographique, qui produit un hybride inacceptable et porte réellement atteinte à l’intégrité vivante de l’acteur 36.


  • 37 . Pour la compréhension de cette distinction difficile à établir d’un point de vue scientifique, pui(...)
  • 38 . Qu’exprime pour les intellectuels conservateurs, le projet, porté par certains républicains, de dé(...)
  • 39 . Émile Vuillermoz, op. cit., p. 125-126.

43On assiste alors à la naissance d’une conception vitaliste de la culture, exigeant le respect du développement autonome de chaque organisme culturel, que ses partisans opposent à l’évolutionnisme 37 des “ intellectuels ”. Prisonniers d’une philosophie du progrès technique 38, ces “ professeurs ” favoriseraient, en effet, par leur attitude libérale, la constitution d’une industrie culturelle, qui menace une fonction organique de la nation française, la création artistique. Émile Vuillermoz se fait l’écho, quelques années plus tard, de cette conception, lorsqu’il approfondit son rapprochement historique entre le spectacle “ made in italy ” et le cinéma made in the U.S.A. Déplorant que “ les encyclopédistes et les philosophes de salon ” se soient rangés au xviiie siècle, lors de la “ Guerre des Bouffons ”, du côté du “ coin de la reine ”, en soutenant la supériorité esthétique de l’opera-buffa sur l’opéra français, il ne craint pas d’affirmer : “ Il ne faut pas être surpris de ce rassemblement significatif des beaux esprits. À toutes les époques, les “ intellectuels ” purs, habitués à dominer les problèmes de l’esprit et mortifiés de ne pouvoir parler en maîtres dans un domaine où l’on ne pénètre que grâce à une réceptivité organique spéciale (souligné par nous) accordée à tel ignorant et refusée à tel agrégé des lettres, ont trouvé d’excellents arguments pour condamner les modes d’expression qui leur résiste ” 39. Une sensibilité artistique inégalement distribuée, parce qu’elle est une capacité physique, et donc indifférente aux fausses grandeurs scolaires, fait ainsi justice de la rhétorique égalitaire de professeurs incapables de comprendre la réalité artistique vivante, c’est-à-dire nationale.


  • 40 . Dont le défenseur le plus reconnu dans l’entre-deux guerres en France sera Jacques Copeau, reconna(...)

44Cet organicisme culturel ne sert pas cependant qu’à démontrer l’incompétence à juger des choses de l’art d’individus prisonniers d’une attitude purement rationnelle à l’égard de la vie, et dont le goût ne peut être par là-même qu’un goût dénaturé. Il permet en effet aux professionnels français du spectacle, et notamment du théâtre, d’argumenter la nécessité d’une plus grande reconnaissance professionnelle d’une activité artistique jouant un rôle vital dans la préservation de la culture française. La construction d’une image biologique du théâtre est ainsi observable chez certains hommes de théâtre, et notamment chez ceux qui se définissent comme les partisans d’un “ théâtre d’art ” 40, d’un vrai théâtre moderne, opposé à la fausse modernisation que constitue le théâtre industriel. Moyen de singulariser une pratique théâtrale, l’affirmation du fondement biologique de la technique théâtrale souligne la valeur artistique et l’importance politique de cette pratique, et la nécessité de la soutenir collectivement. Cette contextualisation du jugement théâtral est particulièrement accentuée par Louis Jouvet, dans un “ témoignage ” ouvrant le livre de Henri Gouhier sur L’Essence du théâtre, publié en 1943, dans la France de Vichy :


  • 41 . Souligné par Jouvet.

45“ Pour bien comprendre une pièce de théâtre, il faut la replacer dans son époque, dans sa manière et dans sa mode 41. Mais plus que le jeu des acteurs, que la masse et l’âme du public, il importe à qui veut la ressusciter d’évoquer l’aire où se cristallisa la forme de son impulsion, où ces deux pôles sensibles que sont la scène et l’auditoire se disputèrent la place, refluèrent l’une vers l’autre, cherchant instinctivement la forme qui convenait le mieux à leur mutuelle pénétration.


  • 42 . Souligné par Jouvet.

46Cela nous invite à replacer les formes dramatiques dans l’ordre des faits naturels, et à créer une sorte de biologie théâtrale 42, destinée à éclairer les lois qui régissent leur économie.


  • 43 . Témoignages, in Henri Gouhier, L’Essence du théâtre, Paris, Plon, 1943, p. V-VI. Notons que les 4(...)

47Dans la ressuscitation d’une esthétique dramatique, le verbe peut nous égarer, non l’édifice. Il dit strictement et complètement ce qu’il a à dire. C’est pourquoi je rêve parfois que, à l’instar de Cuvier, je pourrai étudier l’art théâtral à partir de son architecture, retrouver la fonction eschylienne, grâce au squelette de Dionysos ou d’Épidaure, celle de Shakespeare dans les traces de cet animal disparu qu’était le théâtre du Globe, celle de Molière dans ce Versailles où il fut joué, bref faire jaillir d’une pierre comme d’une vertèbre, le grand corps vivant d’un mystère passé ” 43.

48Un discours qu’on pourrait admirer, dans l’ignorance de son contexte historique, comme l’heureuse expression d’une imagination artistique, se transforme, lorsqu’il est mis en relation avec ce contexte, en une rhétorique professionnelle adaptée à la politique culturelle de l’État vichyssois. 2. 2. Création artistique et discours public


49L’esthétisation du politique qu’opère Jouvet par son discours ne doit pas pour autant être identifiée à une opération de propagande en faveur de cet État vichyssois. Elle ne lui sert pas uniquement à mettre les responsables culturels de cet État à son service, mais aussi et surtout à intéresser le public cultivé à son action théâtrale.

  • 44 . Cette action du cinéma parlant s’effectue par l’intermédiaire de l’expertise des amateurs cultivés(...)
  • 45 . C’est l’ensemble du Cartel qui préface l’ouvrage d’Henri Gouhier, en proposant donc 4 Témoignages,(...)

50Comme le rappelle notre petit aperçu historique, cette action s’inscrit dans la continuité d’une rhétorique française de l’art vivant, qui se généralise en France sous l’action du cinéma parlant, du fait de la recomposition des compétences traditionnelles du spectacle que sa réussite impose rapidement 44. Dans la sphère du théâtre, certains professionnels vont s’efforcer, en valorisant la dimension éthique de l’exercice du métier de comédien, d’améliorer la qualité du spectacle théâtral, afin de stabiliser un public d’usagers plus exigeants, représenté notamment par les nouvelles classes moyennes 45.


  • 46 . Qui disqualifierait son jugement personnel, mais non son jugement professionnel. Les critiques art(...)

51Il ne convient donc pas, dans cette perspective, de distinguer le discours de Jouvet de sa pratique artistique. L’examen de son œuvre théâtrale, par les témoignages disponibles de spectateurs contemporains de Jouvet sur la qualité de ses productions théâtrales, certifie la réussite de son action artistique sur le public auquel il s’efforçait de l’ajuster. Ceci interdit du même coup de réduire ses paroles à un simple discours politique de circonstances, séparé de son œuvre véritable 46, ou de les utiliser pour discréditer l’ensemble de son activité théâtrale.

52La métaphore biologique, comme il le fait reconnaître lui-même par ses écrits, est un moyen commode pour penser, afin de mieux l’ajuster aux attentes du public, une efficacité sensible qui est difficile à penser dans la pratique théâtrale. Cette métaphore apporte une mesure empirique – approchée certes, mais qui rend possible l’action collective – du renforcement de l’efficacité du lieu théâtral sur le corps d’un spectateur critique et exigeant qu’il doit désormais convaincre.
53La biologie théâtrale permet en effet de définir une technologie théâtrale. L’anatomie comparée n’est pas seulement pour Jouvet un moyen d’affirmer l’existence historique de formes de développement culturel propres à chaque société, conforme à une idéologie allemande de la Kultur et contraire à l’idée de Progrès défendue par les Lumières. Elle donne une orientation pratique, susceptible d’apporter une solution à la crise du théâtre, et que Jouvet expérimentera avec succès. La conversion de traditions théâtrales nationales, traditions bien connues, ce qui démontre leur efficacité, en un réservoir de formes disponibles de jeu d’acteurs, est ainsi devenue aujourd’hui, dans le théâtre public français, un procédé qui sert à enrichir l’intérêt artistique de la représentation pour un public cultivé.

  • 47 . Louis Jouvet, “ Découverte de Sabbattini ”, in Nicola Sabbattini. Pratique pour fabriquer scènes e(...)

54De même, l’économie organique de Cuvier n’est pas qu’un moyen de montrer, conformément à la tradition romantique allemande, le génie artistique du collectif théâtral. Représenter au public la grandeur des artisans invisibles des coulisses, en les rapprochant “ des organes et poumons du théâtre, dont la fonction respiratoire s’exprime par l’exercice de la représentation47, c’est aussi définir de nouvelles ressources de représentation artistique, apportées par l’histoire savante de la technique théâtrale. Là encore l’observation du théâtre français contemporain nous confirmera facilement le succès de cette orientation pratique. La mobilisation sur la scène de techniques anciennes ou traditionnelles (Commedia dell’arte, scène baroque, théâtre nô, etc.) mais déposée dans la mémoire scolaire, y sert souvent à authentifier la qualité théâtrale de l’événement, par la reconstitution d’un merveilleux que, tels les vitraux de Chartres pour l’industrie moderne du vitrail, les progrès du spectacle cinématographique lui interdisent désormais de reproduire.

55La préface donnée par Jouvet à la réédition qu’il donne en 1941 de l’ouvrage de Nicola Sabbattini, Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre, paru initialement en 1638, confirme de manière éclatante cette utilité pratique de la métaphore biologique aussi bien sur le plan du “ discours ” que sur le plan de la “ création ” et l’impossibilité chez l’artiste moderne de les séparer. Elle sert d’abord à justifier le paradoxe historique de sa volonté d’importation dans le théâtre d’art moderne du savoir-faire d’un ingénieur de la Renaissance, qui plus est un des créateurs oubliés de cet “ arte de macchinisti ” synonyme, pour les premiers artistes modernes, du divertissement de masse.

  • 48 . Louis Jouvet, op. cit., p. XVI.

56L’ouverture de la Préface reconnaît immédiatement ce paradoxe, que Jouvet récuse par un argument d’autorité historique. Sabattini était un des “ “partisans de la comédie” érudite et immobile ”, qui subordonnent leur inspiration à celle des poètes et s’opposait donc naturellement “ aux décorateurs, partisans des machines, qui écrivent eux-mêmes des pièces pour justifier les merveilles de leurs inventions mécaniques ” 48.

57Mais cet argument reste insuffisant pour justifier la réhabilitation d’une machinerie impuissante aujourd’hui, par la petitesse de ces moyens et la simplicité de ses effets, à convaincre le spectateur critique, conscient d’être jugé socialement par la qualité artistique du spectacle qu’il soutient. La valorisation, avec l’aide de La Bruyère, de la qualité culturelle d’objets techniques qui ont une dignité historique et humaine s’avère nécessaire. Construite à la mesure de l’homme et de son sens du “ merveilleux ”, au service de l’homme car “ servante domestique de l’imagination du poète ”, oubliée dans un siècle dominé par la rationalité scientifique, l’ancienne machinerie se trouve ainsi transformée en un objet acceptable par la modernité. Son ancienne efficacité technique importe moins que la valeur esthétique présente des objets qu’elle utilisait, et que la réappropriation de son ancienne efficacité sociale, justifiable par la signification éthique que l’on peut donner à cette réappropriation.

  • 49 . Ibid., p. XXXIV.
  • 50 . Ibid.

58Cette signification éthique est confirmée par la présentation de “ Léon et Camille ”, les machinistes avec lequel Jouvet collabore, qui “ ni l’un ni l’autre ne “parlent” ”, parce que “ jamais ni l’un ni l’autre n’a fait de théorie ou tenu du discours ” et qui “ travaillent chacun de son côté ”, mais “ sont toujours ensemble ” 49. Cette présentation faite, il ne lui reste plus qu’à faire parler ces êtres humains, humbles et authentiques qui ont “ le sens du théâtre ”, à l’opposé des beaux parleurs du théâtre mécanique, qui ne sont que des haut-parleurs de la technique. Leur travail est admirable car il “ naît de ce silence avec une perfection sensible. Ce sont les deux derniers hommes libres dans le théâtre de notre époque où la mécanique déchaînée a fait du machiniste un automate ” 50.


  • 51 . Sa transformation en topos du discours artistique sur le spectacle est à mettre en relation, évide(...)

59On appréciera d’autant mieux l’intérêt de ce lieu commun du “ silence parlant ” 51, qu’il oblige l’acteur Jouvet à donner sa voix personnelle à ceux dont il nous représente l’image muette. Cette contradiction objective, inhérente à l’écriture comme au théâtre ou au cinéma, fait d’ailleurs la force esthétique de l’argumentation de Jouvet pour son lecteur. Spectateur, il sait bien en effet que le spectacle ne commence réellement que lorsque les humains se taisent, afin que les objets qu’ils manipulent puissent parler d’une façon satisfaisante au public, auquel ils s’adressent en leur nom propre. Cependant, le spectateur sait bien également que si la vie des objets oblige les humains à se taire au théâtre, c’est parce qu’ils en sont inséparables, et parce que les reconnaître gênerait le bon déroulement de la représentation. Ce qui fait pratiquement marcher le théâtre comme le discours de Jouvet, c’est cette composition d’homme et de machine, d’objet “ inhumain ” et de sujet “ humain ”, qu’il dénonce généralement, mais qu’il accommode pratiquement à son action. Il est ainsi pour lui aussi acceptable de transformer les hommes dont il parle en marionnettes de son discours, à partir du moment où cette transformation permet de rendre sensible leur humanité, que d’utiliser des concepts scientifiques pour justifier son projet théâtral, à partir du moment où cette utilisation permet de dépasser cette humanité. L’homme libre, qui parle au nom des hommes libres, s’emprisonne ainsi dans le mécanisme social et technique qu’il dénonce, et qui lui permet de justifier, au nom de l’art, qu’il mette l’organisme humain à son propre service.
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