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 Qui Veut La Peau De Céline ?

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25022016
مُساهمةQui Veut La Peau De Céline ?

Qui Veut La Peau De Céline ? 3969626985
« Oui, [je suis] tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-ving-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. » 
Ferdinand in Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
 
 

 

On peut bien calomnier Louis-Ferdinand Céline. On peut chercher à l’enterrer Céline ! Génie ou salaud ? Grand écrivain ou pauvre type ? Grossier !  Délirant ! Anti-humaniste ! Misanthrope ! Céline n’a pas fait les choses à moitié ! Céline est allé loin dans le pire ! On a donc cherché à l’effacer ! Le médire ! Le gommer ! Toute une meute a, combien de fois, chanté l’hallali !  Et pourtant… Dans son immense solitude, Céline est toujours vivant ! Céline est toujours là auprès de nous, et nous ne sommes pas prêt de nous en défaire. Il fut le visionnaire qui annonça la grande folie du siècle de la mort de masse, de la mort industrialisée, des suppliciés, de la grande horreur et de la grande pagaille. L’oraison funèbre qu’il annonçait, comme un chien de traîneau flaire la crevasse, certains voulurent presque l’en rendre responsable. La plus touchante bêtise de quelques-uns, le plus méprisable ressentiment de beaucoup d’autres ne doivent pas obstruer  pour autant l’œuvre, sa profonde richesse, souvent humaine, et le coup de semonce qu’elle représentait pour la littérature classique. Celle qu’on enseignait à l’école. Certainement ce qu’on lui reprocha le plus ! Céline le réformateur ! Céline le styliste ! Céline le [size=16]mitrailleurs de la langue[1] ! Céline le plus grand écrivain du XXème siècle aux côtés de l’inimitable Proust. Céline le génie et le salaud ! Combien furent-ils à vouloir la peau du médecin, du vieux Destouches calomnié de toutes parts ? Ils eurent Drieu de la Rochelle, Robert Brasillach. Mais jamais Céline ! Et pour cause ! Cette peau d’un écrivain, seul, dont la solitude était pleine de fureurs et de visions, Céline la mettait volontiers sur la table, et savait ce qu’il faisait : dans un entretien audiovisuel avec Louis Pauwels[2], il présente, sans hésitation sans concession, sa vision de la littérature : « Il y a des milliers d’écrivains, ce sont de pauvres cafouilleux, des aptères, ils rampent dans des phrases, ils répètent ce que l’autre a dit, ils choisissent une histoire… c’est pas intéressant. J’ai cessé d’être écrivaiiiiin n’est-ce pâs, pour devenir chroniqueur : alors j’ai mis ma peau sur la table. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien, il faut payer. Ce qui est fait gratuit sent le gratuit et pue le gratuit. » Gratuité déclaréedésormais interdite. Rien de gratuit ! Car Céline n’invente rien. Céline se dit chroniqueur ! C’est-à-dire qu’il écrit en payant de sa personne. Un écrivain doit avoir vécu ce qu’il raconte. Il faut qu’il se soit presque fait tuer pour l’histoire qu’il nous raconte. Oui ! il faut payer ! Payer vraiment !! « Le véritable collaborateur, c’est la mort ou les associés : la persécution… »[3] La souffrance en un mot ! Certes les personnages peuvent être fictifs : c’est la transposition ! Cela consiste à faire sortir de l’être quelque chose de plus que ce que l’on voit. Mais la trame doit être vraie. Car, au fond, la grande inspiratrice, c’est la mort ! Céline refuse toute autre forme de littérature qu’il laisse à ces individus lettrés qui lui semblaient si burlesques, plus jeunes. Un type qui raconte des histoires, ça ne peut raisonnablement pas être sérieux. Pas pour Céline en tous les cas ! Pas pour cet auteur qui veut dénoncer la guerre, la folie humaine, la pente carnassière des hommes dont il parlera dans ses Entretiens avec le Professeur Y. Et tout à coup, cette vision-là de l’écrivain, cette technique d’écriture-là, va lui rendre la vie impossible. Car TOUS voulurent sa « peau » ! On l’a voulue d’abord pour des raisons morales : son antisémitisme qu’on a souhaité confondre avec le nom de Céline lui-même et le « rendre inoubliable que par là »[4]. Son travail de la langue, lui qui croyait au pouvoir des mots, et au pilonnage en règle des codes et des conventions traditionnelles, au point de transposer le langage parlé dans l’écrit. Faire revivre l’émotion du langage parlé. Sa vision de l’être humain si noire et pessimiste. Ce désespéré de l’homme aux accents incantatoires, ce prophète de l’apocalypse, atteint, notamment à la fin de son existence terrestre, par la maladie de la persécution.

La haine était immense, et on ne doit la survie de Céline, ou tout du moins de ses œuvres, qu’à l’immensité de son génie. En guise de réponse aux questions de Michel Polac et Yannick Bellon, Lanza del Vasto, parlant de Céline qu’il n’apprécie guère visiblement, déclare : « Il y avait un mélange d’admiration et d’horreur pour cet ignoble personnage Céline, avec ces ignobles livres, parfaitement illisibles. »[5] C’est dire combien la haine était grande !

Or, on peut affirmer aujourd’hui qu’il fut l’un des plus grands écrivains du XXème siècle, voire le plus grand. Oui ! il fut l’une des plus grandes verves de ce siècle-là, enterrant ces « pauvres cafouilleurs » qui se recopiaient entre eux, et il le savait, n’ayant que très peu d’estime pour eux. Mauriac avait, selon lui, mal tourné. Giono était insignifiant. Idem pour Montherlant ![6] Car, précisément, à ses propres yeux, il travaillait et les autres ne foutaient rien. « Voilà exactement ce que je pense ! »[7] Enôôôrme Céline ! Exaaagéré Céline ! Sûrement ! Et pourtant… il les aura bel et bien enterré ! Car il n’est pas un prosateur ! Il est d’abord l’auteur d’un style ! LE style ! Il a giflé la syntaxe, saucissonné les phrases, secoué l’inertie du langage… Il a installé un fauteuil à la langue populaire et à l’argot au centre même du salon très cossu de la grande littérature… qu’il a éperonnée ! Qu’il a transformée ! Qu’il a révolutionnée !! L’écriture parlée étant, à ses yeux, plus à la mesure de l’époque… Epoque vivace ! Emotivement troublée[8] ! Or, « retrouver l’émotion du « parlé » à travers l’écrit ! c’est pas rien ! »[9] Ne vous accrochez donc pas à l’histoire ! Encore moins à l’idée ! Selon Céline, de l’idée en littérature, il n’en voulait guère. En tout cas, pas dans la sienne ! Le style ! Que le style ! Peu importe les vies… « Les écrivains ne m’intéressent que s’ils ont un style. Et s’ils n’ont pas de style, ils ne m’intéressent pas ! […] C’est rare un style, monsieur ! Un style, il y en a un, deux ou trois par génération ! »[10] Voilà ! C’est dit ! Céline, c’est le style ! Rien d’autre ! Excès de modestie ? Enième pied de nez à ses ennemis ? Ou concession faîte à tous ses persécuteurs pour trouver un petit instant de tranquillité ? Car on lui a tout fait à Monsieur Céline. Oh ! oui ! TOUT ! Il a donné beaucoup aux hommes, et ils ne lui ont répondu que par des vacheries. « J’ai été dépouillé, dévalisé, pillé, salopé, ignominé de tous les côtés pour des gens qui n’en valaient pas la peine. […] Je trouve que les autres sont coupables. Pas moi ! »[11] Et le verdict est sans appel…   

Car, au fond, qu’est-ce qui lui a été reproché à Monsieur Céline ? Vraiment ? Et bien ! Très certainement d’avoir dénoncé la guerre. En 1932 ! Vous vous rendez compte ? Guerre dénoncée dans son premier roman. Guerres, ravages, violences, carnages, charniers, souffrances. Il a montré l’homme dans sa plus grande cruauté, et sa pire bestialité. Alors ? Maintenant ! Tous ses problèmes ne viennent-ils pas du Voyage ? Il l’a lui-même avoué. On lui a reproché d’écrire contre la violence de la guerre. Et ainsi on lui a reproché aveuglement sa violence ! Sans même en comprendre le sens. Pourtant il ne se sentaient pas violent, lui, Céline ! Les hommes sont violents ! Pas lui ! Violence dans le style, alors ? Pas plus ! Céline ne trouve pas. C’est du raffinement. « Je suis raffiné. […] Et bien qu’on me tue, n’est-ce pas ? Si on tue dans un élevage la bête raffinée, c’est un drôle d’élevage ! »[12] On lui a certainement reproché, dans le fond, de ne pas accepter de vivre comme tout un chacun : dans l’hypocrisie ! D’avoir trouvé assez de courage pour dénoncer la guerre. Et l’histoire lui a donné raison. Pas les hommes ! Voilà ! C’est ça ! Il a eu le même courage que son personnage Bardamu dans le Voyage, durant cette véritable scène d'anthologie, où ce dernier avoue à Lola qu’il ne veut plus retourner à la guerre. Car le style enfin ! Le style ! Nous n’y étions pas encore ! Oui ! C’est vrai ! C’est vrai ! Le projet de Céline est déjà bien clair dans le Voyage au bout de la nuit : fonder une langue littéraire sur ce qu’on peut saisir au vol dans les quartiers périphériques de Paris et dans les banlieues. Mais quoi ? Personne ne pourra nier que la mise en œuvre de ce dessein dans son premier roman est loin d’être parfaite. Les mots populaires sont déjà là. Certes. Mais la syntaxe, bon sang ! La syntaxe est encore toute empêtrée du français académique. Passé simple ! Imparfait du subjonctif ! Tout est là, en bonne place, pour rappeler à nos belles perruques littéraires, qu’il y avait là un ton « littéraire » au pire sens du terme. Non ! Ce qu’on va véritablement reprocher à ce roman de la petite bourgeoisie française de la première moitié du XXème, c’est qu'il invitait en tout premier lieu à haïr la guerre. Le constat sans appel de Bardamu est d'autant plus conséquent qu'il repose en grande partie sur une « désillusion » quasi-générale : tant de souffrances, tant de sacrifices ne trouvèrent après guerre aucune récompense ! A tous ces deuils, toutes ces victimes, s'ajoute une vision terrible de l’homme, dont il avoua à la fin de sa vie se méfier, car il les trouvait coupables de tout ! Ah ! pas au sens moral, mais dans la pratique ![13] Et que dire de son antisémitisme apparu subitement dans quatre pamphlets, parus entre 1937 et 1941, d'autant plus inattendu qu'au commencement de son premier roman, Bardamu est le juif de ce microcosme[14]. Impossible également de ne pas reconnaître à Céline une méditation intensive autour de ceux qui sont exclus, hors du coup, jugés différents. Il faut noter que Céline a été élevé au moment où la campagne d'hostilité contre Dreyfus battait son plein ; l'affaire commençait même l'année de sa naissance. Donc pas un jour sans entendre parler des juifs.  Ce qui a très certainement marqué le garçon. Impossible qu'il ne puisse se persuader, entre dreyfusards et anti-dreyfusards, que les juifs ne forment une société spéciale. Une conviction qui ne devait pas s'accompagner nécessairement d'une hostilité ou d'un antisémitisme particulier. Mais qui demeurait tout de même une vraie porte à l'antisémitisme. Une conception du mot « juif » à laquelle il restera attaché sans jamais lui donner la moindre évolution, et qui lui jouera sûrement quelques tours au moment où Elisabeth Craig, sa compagne, se maria avec cet avocat juif, réveillant en lui, les « monstres » de l'antisémitisme sommeillant. Mais la définition qu'il donne au mot « juif » en étonnera plus d'un, jusqu'à l'antisémite le plus convaincu. Dès lors, deviennent juifs tous ceux qu'ils craint : noirs, jaunes, comme tous ceux qu'il honnis. Gallimard ou Gide crurent, avec Bagatelles pour un massacre, à la farce de conséquence destinée à combattre le racisme par le ridicule. Il suffit de relire aujourd'hui ces piètres pamphlets pour être aussitôt convaincu qu'ils sont véritablement sans « danger ». N'en demeure pas moins que le Voyage est un roman-monstre, très jubilatoire. Et le reste de son œuvre n’a fait que confirmer le génie. Reprocher à Céline de s’être répété. Apitoyé sur son sort. Egaré dans une destruction de l’écriture française. C’est tout bonnement inepte ! Il faudrait d’ailleurs commencer l’œuvre de Céline par son dernier : Rigodon ! Lire à reculons ! Affronter son usage, tant redouté, tant reproché à l’auteur, des points de suspension. Points de suspension qu’il a plus tard revendiqué comme la caractéristique même de son style : « Quand je me suis engagé dans cette dite littérature, j’ai trouvé que c’était pas du tout ça… […] alors, c’est là que je me suis mis aux trois points pour être sûr d’être différent ! »[15] ! Suggérer ainsi l’informulé… La discontinuité dans le discours, et une pensée en majeure partie informe. Les romans de Céline peuvent donc être criés. Ils peuvent être lus à haute voix. Car le langage de Céline est immédiat. Les mots pas mensongers pour un sou ne cherchent à décrire aucune autre réalité qu’eux-mêmes. Torrents d’injures, flots de mensonges, atrocités et sottises, au milieu des mots qui évoquent tous les désastres et les souffrances humaines, sans jamais chercher à dépeindre le moindre sentiment ou état d’âme, on trouve une grande allégresse, un comique gai. Céline savait rendre ses personnages parfois presque burlesques. Comme s’il avait voulu introduire de l’humour dans le monde. A moins que toutes ces histoires qu’il nous desservait, touchent à tant d’horreurs, que racontées, elles nous apparaissent presque comme des farces ! Car la lourdeur des situations est balancée par la légèreté de l’écriture. Une écriture que Céline parvenait à obtenir à force de travail et d’acharnement. Travail qu’il accomplissait, non par devoir intérieur disait-il, mais pour gagner sa vie[16].

Quant au reste… cela lui importait peu ! Il avait déjà tant subi ! Il n’attendait d’ailleurs plus qu’une seule chose : la mort. Et pour l’anecdote, en guise de réponse à la question de Louis Pauwels : « Si vous deviez mourir à l’instant, quelle serait votre dernière pensée ? » il fit : « Oh ! Et bien ! Au revoir et merci ! »[17]
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Cet article est paru dans le Hors-série de la Presse Littéraire, Spécial Louis-Ferndinand Céline, n°13, fev-mars,-avril 2008.
 




[size=16][1] Maurice G. Dantec, Théâtre des opérations, Gallimard.
[2] En français dans le texte, réalisé par Alexandre Tarta 1961, in Céline vivant, Editions Montparnasse, 2007.
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