PSYCHOTHÉRAPIE DES PERSONNALITÉS NÉVROTIQUES
Patrick Juignet, Psychisme, 2011.
Nous envisagerons ici la manière de conduire une psychothérapie dynamique. Une telle entreprise est indiquée pour toutes les personnes que l’on peut rattacher au pôle névrotique.
PLAN
1/ Les indications
Il n’y a pas de contre-indication, mais plutôt des absences d'indications.
Il n'y a pas lieu d'entreprendre un travail dynamique s’il apparaît que le patient n’en est pas demandeur et que les circonstances défavorables. Certaines personnes frustres, ou de culture non-occidentale sont étrangères à une telle entreprise. Certains milieux socioprofessionnels centrés sur le rendement, l’action et la rentabilité, produisent une idéologie hostile à l’interrogation personnelle, ce qui rend le traitement impossible. L’adolescence n’est pas forcément un moment favorable car les modifications en cours rendent le jeune peu motivé pour une telle entreprise.
L’obstacle au traitement peut venir de l’organisation défensive du sujet qui rend le changement impossible. Un aménagement caractériel marqué, une pensée rationalisante ou par trop opératoire, des mécanismes de défenses puissants et rigides, peuvent mettre en échec l'entreprise. Chez les immatures ayant trop de bénéfices secondaires la dynamique est limitée et on risque un enlisement rapide. Enfin il convient d’être réservé, lorsqu'une symptomatologie peu grave survient chez une personne ayant une activité professionnelle interdisant toute déstabilisation.
Chez l’adulte, le dispositif classique divan-fauteuil est utilisable mais souvent le face à face convient mieux. Chez les enfants, il s’agit toujours d’une technique aménagée par le jeu, le dessin. Les premiers entretiens se font avec lui et ses parents de façon tester la dynamique familiale.
Le projet est de défaire l’organisation pulsionnelle régressive tout en favorisant une organisation génitale. Cela revient à parachever l’œdipe en réduisant ce qui y a fait échec, en général, la problématique de la castration et les traces laissées par les épisodes de séduction.
La forme phobique est en général réactive. L’hystérie, en offrant un appui transférentiel puissant, permet d’obtenir de bons résultats. Avec la forme obsessionnelle, on se heurte à plus de difficultés ; le traitement est long et dans certains cas peu efficace.
La psychothérapie doit comporter un soutien et l'attaque des résistances doit toujours être prudente. Chez l’enfant, l’évolution est souvent spectaculaire. Chez l’adulte les résultats les plus favorables sont obtenus chez les adultes jeunes et motivés. Résolument dynamiques, ces psychothérapies ambitionnent d’apporter les modifications du psychisme nécessaire à une vie équilibrée et créative.
2/ Le début
Première approche
Le patient apparenté au pôle névrotique bénéficie généralement de possibilités de verbalisation et d’évocation suffisantes. On constate un transfert de base généralement assez positif et l'alliance de travail peut se réaliser rapidement. Le transfert de base est toujours de type parental et le plus souvent paternel. Il est marqué par l’idée d’une compétence supposée du psychanalyste. C’est un appui puissant et lorsqu’il en est ainsi, il y a une concordance entre le mouvement transférentiel et les nécessités du travail. Il n'y a pas de grosses difficultés à trouver la bonne distance : trop grande chez l'obsessionnelle, trop proche chez l'hystérique, elle peut être progressivement ajustée sans problèmes. Le cadre est en général respecté ce qui permet une mise en route rapide.
Les capacités d’association et de mentalisation s’accroissent de manière variable selon les sujets, parfois en quelques mois, parfois plus lentement. La lenteur vient des résistances qui s’opposent au travail analytique et plus profondément à tout changement. Elles sont constituées conjointement par les défenses et par la faiblesse des facteurs évolutifs (la souffrance est modérée et les bénéfices secondaires parfois importants). De ce fait, la dynamique est faible et on se heurte à une absence de « travail ». Ces résistances à l’analyse sont les conséquences de l’organisation défensive et surtout d’une opposition du psychisme au changement. Le psychisme de l’adulte oppose une importante inertie à toute mobilisation.
Résistances et transfert
L’importance des résistances pose un problème technique particulier dans l’analyse de névroses. Ces résistances se manifestent de différentes manières. On trouve d’abord l’absence d’évocation de certains domaines, précisément les plus importants : sexuel, amoureux et agressif. Lorsque tout de même le travail est engagé et que certains aspects émergent un deuxième barrage défensif se met en place sous forme de minimisation, banalisation et des silences s’installent. L'analyse des résistances est au cœur de la technique de l’analyse des névroses.
Le refoulement vient de l'hypertrophie du surmoi et de sa vigilance concernant la sexualité et l’agressivité, mais il n’apparaît pas forcément comme tel au sujet. Il est net en ce qui concerne les tendances prégénitales, par contre, le problème est plus complexe pour les tendances génitales, vis-à-vis desquelles on rencontre un mélange de dénégation, d’évitement et de rationalisation. L’évitement, est forme de résistance fréquente dans les névroses. C’est un procédé qui n’est pas réservé à l’analyse, mais qui peut s’y développer. Il aboutit à l’absence de mentalisation au sens précis du terme. Le sujet parle, et parfois abondamment, mais ce qu’il dit n’a aucun lien avec son fonctionnement psychique. Un flot de faits anodins, vus sous un jour purement descriptif, une accumulation de poncifs, aboutissent à une parole vide et superficielle. Chez l’obsessionnel, il s’y ajoute des procédés d’isolation et de répétition. Ces résistances, si elles sont employées systématiquement, rendent tout travail impossible. Elles aboutissent à un discours qui, faute de fournir aucun matériel, ne donne pas prise aux interprétations, et réduit l’analyste à rappeler la règle et à tenter de faire brèche de temps à autre.
La levée des résistances se fait tout doucement par des interprétations et grâce aux effets du travail lui-même qui, par rétroaction, rend certaines défenses caduques. D’une manière active, on peut tenter de remanier le surmoi en dénonçant les identifications aux imagos parentales répressives et en interprétant l'erreur de visée commune aux névrosés : la sexualité génitale n'est pas interdite, c’est l’inceste qui est interdit. L'évolution induit sa propre dynamique sur laquelle il faut compter car, inversement, une simple analyse des défenses ne vient pas à bout des résistances et des facteurs d’immobilisme. En effet, c’est le conflit de base lui-même qui favorise la résistance. Les résistances viennent autant de l’organisation fantasmatique que du surmoi. La forme pulsionnelle veut rester ce qu’elle est et la répression, au lieu de la modifier, occasionne des défenses qui la masquent. Les défenses permettent à la forme régressive de l’organisation pulsionnelle de perdurer. La diminution de l’investissement des formes régressives au cours du travail permet la diminution du conflit qui permet aussi une diminution des défenses. Les résistances au changement et au travail analytique diminuent et il se met en place une spirale positive.
Le transfert prend au début une allure parentale de tonalité plutôt positive. S’il change son interprétation devient alors un appoint indispensable. Il ne faut pas aborder la question du transfert trop rapidement, mais seulement lorsqu’il devient un obstacle. En général, le patient projette des imagos répressives idéalisées sur le thérapeute, ce qui répète le processus pathogène. À ce moment, le transfert produit une résistance et rend l’entreprise inopérante. Il faut alors l’interpréter et dans une perspective active, le mobiliser.
L’analyse du symptôme
Généralement, le patient veut se débarrasser de ses symptômes et il pense que c’est de cela dont il faut parler ; il se produit donc une première analyse des symptômes au début du traitement, mais il faut souvent attendre le milieu de la cure pour qu’apparaisse le déplacement qu'ils constituent, la défense qu'ils permettent et les tendances pulsionnelles qu’ils cachent. Il faudra aussi mettre en évidence les bénéfices qui les accompagnent.
C’est là où l’on trouve le plus de variations dans le traitement selon qu’il s’agit d’une obsession, d’une phobie ou d’une conversion. Par une série de recoupements, de rapprochements, de liens entre l’actuel et le passé, et finalement d’insight accompagnés d’affects, le sujet retrouvera le sens de son symptôme. L’hystérique se rendra compte du compromis entre le désir et l’interdit que réalise son symptôme somatique, l’obsessionnel fera le lien avec l’organisation anale des pulsions libidinales et le phobique se rendra compte du déplacement des pulsions sexuelles sur le référent phobogène. Chez les deux derniers, le refoulement, appuyé les déplacements et les rationalisations, est parfois difficile à lever. On fera attention aux changements de symptôme qui constituent des déplacements facteurs de stagnation. Chez l’obsessionnel il faudra éventuellement dénoncer le déplacement sur la cure de son rituel.
Dans certains cas on peut inviter le sujet à surmonter le symptôme. Ce type d’intervention ne peut se faire que tardivement si l’analyse du symptôme est suffisamment avancée. En effet au début elle est inefficace et même nuisible car elle risque de renforcer les défenses et donc les résistances. La question de l’intervention directe ne se pose que pour les symptômes obsessionnels ou phobique. Avec les symptômes hystériques, il faut s’abstenir car l’intervention pourrait être interprétée comme une demande à satisfaire ; et elle serait effectivement satisfaite au prix d’obturer un peu plus la mentalisation et de figer le transfert. L'encouragement se fait en tenant compte du transfert et du sens qu'elle prend pour le sujet. Il fait surgir du matériel car le symptôme participe aux défenses et à la fixation de l’organisation psychique. Les symptômes permettent des bénéfices : directs par l’obtention d’un plaisir grâce au compromis entre pulsion et défense ; indirect par la satisfaction masochiste du besoin (inconscient) d’autopunition. Renoncer aux symptômes c’est renoncer à tout cela et, par conséquent, se diriger vers un mode de satisfaction plus évolué et plus heureux.
الجمعة فبراير 19, 2016 10:21 am من طرف جنون