[size=32]Modèle interne opérant et psychisme[/size]
Patrick Juignet, Psychisme, 2012.
1. La théorie des systèmes motivationnels
L'idée de système
En reprenant l’héritage de l’éthologie et de la psychanalyse, J. Bowlby a développé sa conception des systèmes motivationnels. En inspirant de la théorie cybernétique du contrôle il a défini la conduite en termes de « buts fixés à atteindre, de processus conduisant à ces buts et de signaux activant ou inhibant ces processus». Il renonce ainsi à la théorie d'inspiration thermodynamique de Freud (tension et de réduction des tensions) pour adopter celle des systèmes a but homéostatique.
Le système d’attachement, considéré comme un système homéostatique, a pour but de maintenir une distance restreinte entre l’enfant et sa figure maternante. Pour ce faire, l’enfant utilise des procédés qui visent à maintenir ou augmenter la proximité, dans une optique de protection, de sécurité et de survie pour l’enfant. Ce système, initialement envisagé à la manière d’un thermostat, sera par la suite davantage considéré par Bowlby comme un système constamment activé comparable à une veilleuse.
Le système exploratoire est en relation étroite avec le système d’attachement qui fonctionne en antagonisme. Lorsque l’enfant est sécurisé, il peut explorer son environnement. En revanche, dès lors que le jeune enfant perd sa sécurité, celui-ci active d’autant plus son système d’attachement afin de trouver un état d’attachement. C’est donc à la manière des vases communiquant que ces deux systèmes vont fonctionner.
Le système affiliatif, appelé également système de sociabilité, participe selon Bowlby à la survie de l’individu. Quant au système peur-angoisse, il constitue un système de vigilance qui contribue au contrôle permanent de l’enfant de la qualité de sécurité environnementale. Il est donc en étroite collaboration avec le système d’attachement.
Les Modèles internes opérants
J. Bowlby a développé le concept de modèles internes opérants (« Internal working models » en abrégé MIO) en s’inspirant du psychologue britannique K. Craik (1943) pour désigner les modèles mentaux que l’enfant se construit. L’enfant intègre des séquences interactives avec ses figures d’attachement dans sa mémoire procédurale. Les MIO résultent ainsi des schèmes cognitifs construits à partir de l’intériorisation de ces séquences interactives et en particulier des réponses les plus saillantes et les plus fréquentes de la figure d’attachement. Les modalités de caregiving ont donc une place fondamentale dans la construction des MIO.
Les MIO donnent ensuite lieu à deux modèles : un modèle de soi comme représentation de soi plus ou moins digne d’être aimé et un modèle d’autrui représentant la confiance à l’égard des autres en particulier en situation d’alarme et de détresse. Ces MIO ont une fonction dynamique car ils opèrent dans la vie de l’enfant comme un filtre stable en colorant sa réalité d’une certaine manière. Ils guident l’enfant dans sa manière de se comporter et de comprendre le comportement d’autrui. Ces représentations de soi et des autres, construites à partir de la relation entre l’enfant et sa figure d’attachement, accompagneront plus tard l’individu et influenceront ses pensées, ses sentiments et ses comportements dans ses relations à l’adolescence et à l’âge adulte. Bowlby (1978) précise à ce sujet que « pour la plupart des individus, le lien avec les parents persiste dans la vie d’adulte et affecte le comportement d’innombrables manières. »
Et le psychisme ?
Pourquoi Bowlby ne fait-il aucune référence au psychisme puisque l'intériorisation de séquences interactives (du domaine relationnel) constitue une grande part de ce qui est appelé psychisme. Le psychisme est constitué par des schèmes qui s'inscrivent soit sous une forme neurobiologique pour les plus primitifs, soit sous une forme cognitivo-représentationnelle pour les plus élaborés. Ces schèmes mémorisés, qui sont inconscients, constituent un bonne partie de l'instance nommée le ça. On peut penser que ce refus vient de la volonté de se démarquer de la psychanalyse bien que l'objet d'étude soit identique.
Il y a toutefois une différence. Certes l’intériorisation de séquences interactives (du domaine relationnel) constitue une grande part de ce qui est appelé psychisme. Ces schèmes qui s’inscrivent soit sous une forme neurobiologique pour les plus primitifs, soit sous une forme cognitivo-représentationnelle pour les plus élaborés. Mais, dans la mesure où ils sont remaniés et transformés on parle plutôt de structures fantasmatiques. Il s'agit de situations interactives intériorisées, mais comportant des remaniements d'origine interne parfois importants.
Les structures fantasmatiques lient entre elles les imagos et intégrant à des degrés divers les défenses. Ces structures mettent dans des rapports variables l'objet et les imagos. Les structures fantasmatiques investies par les pulsions sont mobilisatrices et gouvernent les relations. Ces structures ou schèmes sont complexes, souvent constituées de couches superposées au fil de l'évolution individuelle.
Le fait qu'elles fassent l'objet de remaniement internes implique qu'elles ne sont pas le reflet direct des séquences interactives qui se sont produites réellement. C'est là où se tient la différence la plus notable entre les conceptions. On peut donner l'exemple des structures œdipiennes nées de l'interaction entre parents et enfants mais qui donnent lieu à des remaniements d'origine individuelle dus à la dynamique psychique.