[size=32]Les trois pôles : névrotique, psychotique, intermédiaire
(une méthode souple de diagnostic)[/size]
Il est indispensable pour le praticien de situer la personnalité du patient avant de proposer quoi que ce soit sur le plan thérapeutique. Il doit établir un diagnostic. Cependant un grand nombre de cas ne pouvant être spécifiés exactement, il est important d'avoir un mode de catégorisation permettant des panachages. C’est ce que permet le concept de pôle qui donne un mode de repérage simple et souple au sein de la psychopathologie.
Cet repérage par pôles concerne uniquement les formes d’organisation psychique dont la détermination est acquise au cours de la vie sous l'influence des relations interpersonnelles, c'est-à-dire qui peuvent être rapportées à des causes familiales, relationnelles et culturelles. Dans la plupart des cas, les personnes montrent une adaption sociale suffisante et parfois même excellente.
Cet repérage ne concerne pas les aspects de la psychopathologie pour lesquels on admet des causes principalement neurobiologiques causées par des facteurs génétiques ou environnementaux (schizophrénie, maladie maniaco-dépressive, démences, etc.). Les manifestations dans ces cas sont bruyantes et provoquent une désadaptation sociale majeure. Nous les avons placés dans la catégorie des maladies multifactorielles.
Cette méthode diagnostique est à l'opposé des procédés parcellisants du DSM et de la CIM, parfaitement inadaptés à la psychopathologie.
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PLAN DE L'ARTICLE[/size]
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1. Définition des pôles
La concordance entre approches : Il est possible d'établir une correspondance entre une approche psychogénétique, une approche clinique et une approche structurale (de la structure psychique). Ce principe permet de définir des polarités au sein du très vaste domaine de la psychologie et de la psychopathologie humaines. On parlera de pôle lorsque les trois aspects sont concordants. Ces polarités visent à organiser le champ de la connaissance, de manière à permette un repérage efficace. Elles reprennent les conceptions classiques (névrose, psychose, état-limite, perversion), mais évitent une classification rigide et ne se limitent pas à la pathologie, car elles incluent la normalité (définie comme une structure psychique équilibrée et mature). L'idée de pôle amène de la souplesse en définissant des sphères d’influence et non des cases étanches. Avec le concept de personnalité, c'est un instrument de lutte contre la parcellisation de la clinique dans des catalogues abscons, comme le veut l’empirisme béhavioriste actuellement à la mode.
Continuité du domaine de la psychopathologie : L'idée de polarité sous entend un
continuum dans lequel il est cependant possible de délimiter des zones différentes. Elle permet de rendre compte des différences tout en concevant une continuité de l'ensemble du champ. Un pôle correspond un point idéal de parfaite cohérence entre les données psychogénétiques, les caractéristiques cliniques et les particularités de la structure psychique. Ce type de catégorisation permet une organisation des connaissances en psychopathologie par la convergence entre des éléments empiriques (les tableaux cliniques) et théoriques (la structure psychique et la psychogenèse).
On peut imaginer les pôles comme des attracteurs organisant un champ continu (par exemple les pôles des aimants organisant des champs magnétiques). Ils organisent autour d’eux des sphères virtuelles aux limites floues. Près d'un des pôles, il existe une forte cohérence entres les éléments constituants. Lorsque l'on s'éloigne, l'homogénéité est moindre et les effets de l'attracteur voisin se font sentir. De même en psychopathologie, les pôles, tout en donnant des repères stables et précis , offrent une place pour toutes les formes intermédiaires et atypiques. L'avantage est de permettre une authentique approche clinique qui ne soit pas guidé par la nécessité de se conformer à une forme théoriquement préétablie.
Le repérage par pôles: L'idée de polarité tente de concilier l'impératif du repérage qui introduit forcément des discontinuités, avec la continuité de clinique. La clinique constitue des faits qu'il convient de ne pas isoler et parcelliser (comme le font les catalogues type DSM ou CIM), car ils n'ont pas une existence propre et autonome. Ils sont la manifestation (symptomatique, comportementale, caractérielle, etc.) de l'organisation psychique de la personne. Le repérage proposé se fait par référence à dernière. La structure psychique est elle-même conçue comme résultant d'une genèse continue et cohérente avec l'histoire du sujet.
Les différentes approches (approche clinique, structurale et psychogénétique) se rassemblent pour donner des repères que nous appelons « polarités ». Cela permet de faire une « géographie » de l’ensemble du champ de la psychopathologie psychanalytique. Les pôles, comme des points cardinaux, servent à se guider dans ce vaste paysage.
Cette conception peut être figuré de manière schématique dans un tableau :
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La constitution d’un pôle associe les points de vues :
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CLINIQUE | STRUCTURAL | PSYCHOGÉNÉTIQUE |
Tableaux cliniques réalisés par la description des conduites, symptômes et traits de caractère, associées à un repérage de régularités. | Instances et mécanismes psychiques associés entre eux dans un ensemble structuré, ayant sa cohérence propre | Développement psychique caractérisé par des phases évolutives ayant un effet organisateur. |
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Les polarités permettent un repérage qui est spécifique au champ de la psychopathologie dont les déterminations sont acquises et relationnelles et exclut les troubles d'origine neurobiologique. Autour de chaque pôle se constitue des sphères aux limites floues, car les cas réels ne correspondent pas exactement à la description type qui sert de repère.2. Les trois pôles : névrotique, intermédiaire, psychotique
Si l'on s'en tient aux connaissances actuelles, qui ne sont en rien définitives, on peut distinguer trois pôles : névrotique, intermédiaire, psychotique. Rien ne dit qu'il ne faille pas en ajouter d'autres, si les connaissances évoluent. Les zones couvertes par ces pôles se chevauchent et constituent trois sphères un peu floues. Nous allons en donner un bref aperçu.
La sphère névrotique
La clinique montrer un excellent contact et une adaptation correcte. L'histoire et la vie quotidienne semblent cohérentes. Le sujet perçoit bien la réalité et est capable de s’y adapter. Il peut avoir quelques symptômes comme phobie obsessions ou conversions.
La structure psychique se caractérise par une forme complète et fonctionnelle avec un moi efficace et dans laquelle les pulsions libidinales priment sur les pulsions agressives. En cas de pathologie, la dynamique est celle du conflit entre ça et surmoi.
Sur le plan psychogénétique l'individuation et l'autonomisation se sont faites correctement. La sexuation s'est avancée favorablement, la phase œdipienne s'est amorcée. Le franchissement favorable permet une bonne santé. En cas de résolution imparfaite et il se produit une régression.
Dans la sphère d’influence de ce pôle on place aussi bien la forme équilibrée, que les formes hystérique, obsessionnelle ou anxio-phobique des névroses.
La sphère intermédiaire
Le pôle voisin du pôle névrotique est le pôle « intermédiaire », nommé ainsi faute d’un nom communément admis. La clinique montre un contact variable qui va de l’agressivité à l’adhésivité, de l’empathie à la froideur. L'histoire du sujet paraît manquer de cohérence. Les moments de vacillements sont très caractéristiques, comme des épisodes de confusion entre imagination et réalité, des passages à l'acte. Sur le plan sexuel, il y a selon les cas un désintérêt ou dans certains cas des perversions sexuelles avérées. Les conduites addictives sont très fréquentes.
La structure psychique est incomplète. Le principe de réalité est insuffisant et l’intégration de l’ordre symbolique précaire. Il y a un équilibre instable entre les pulsions libidinales et les pulsions agressives. Le soi est fragile et le surmoi est peu ou pas constitué. Les fonctions du moi sont vacillantes.
Sur le plan psychogénétique, les difficultés ont surgi pendant la période intermédiaire après la première structuration et avant l’œdipe, période qui va approximativement de deux ans à quatre ans. L’accès à l’indépendance et l’évolution vers la génitalité ne se sont pas déroulés de manière satisfaisante.
La sphère correspondant à ce pôle comprend les personnalités narcissiques, les personnalités perverses, les personnalités somatisantes. Cette sphère comporte elle-même trois sous-groupes assez différents.
La sphère psychotique
La clinique montre un contact moyen. La réalité est perçue de manière très variable. Le sujet présente une adaptation de surface, mais il est immature et se sent différent des autres. L'autre est vu au travers de déformations imaginaires majeures et est le plus souvent vécu comme un persécuteur potentiel. Le rationalisme est constant. Degré suivant du rationalisme, le délire en diffère par la conviction inébranlable.
La structure psychique fonctionne trop souvent selon le processus primaire. La fonction réalitaire est déficiente et les pulsions agressives priment sur les pulsions libidinales. Le moi est peu efficace, le surmoi est replacé par une instance idéale archaïque.
Sur le plan psychogénétique, la période des relations fusionnelles avec la mère avant six mois présente ou non des troubles selon les cas. Le moment critique est celui de la première structuration. De ce fait, la constitution d'une identité et la différenciation entre soi et l'autre sont mauvaises. Les angoisses persécutives et d'abandon sont trop fortes pour être correctement métabolisées. L'autonomisation, la sortie de la relation en miroir sont difficiles ou impossibles.
Nous regroupons dans la sphère psychotique les paranoïaques et les sensitifs ou encore les personnalités distanciées et histrioniques. Entre perversion et psychose on trouve les personnalités addictives et anorexiques. Dans tous ces cas les manifestions dans l'enfance sont discrètes.
Dans d'autre cas les manifestations dans l'enfance sont bruyantes, ce qui donne ce qu'on nomme les "psychose de l'enfant", dont l'évolution est souvent déficitaire, parfois psychopathique. Nous les regroupons dans les personnalités psychotiques graves.
[size=undefined]Note : nous avons gardé le terme de "psychotique", bien qu'il fasse confusion avec des maladies comme la schizophrénie ou la psychose maniaco-dépressive, [/size][size=undefined]car aucun autre terme n'existe. Cette catégorie de types de personnalités n'est pas communément admise. Elle est bien illustrée par certains personnages des films d' Arnaud Desplechin (Roi et reine, Un conte de Noël). [/size]
Phases structurantes et pôles
Concernant la psychogenèse, les personnalités correspondant à chaque polarité sont l’aboutissement des trois grandes phases structurantes.
La première permet l'individuation et une première triangulation qui fait sortir du fonctionnement archaïque. Dans la mesure ou la structuration du psychique résultant s'est faite, il n'y a plus de fonctionnement psychotique possible. En deçà de cette structuration, la personnalité est psychotique.
La troisième est la triangulation œdipienne. Elle fait sortir du rapport duel et permet une intégration de l'ordre symbolique. La structuration psychique résultante permet un fonctionnement de type névrotique.
Entre ces deux phases se produit le mouvement de stabilisation narcissique et une évolution libidinale. Si l'on en reste à cette phase intermédiaire la structuration psychique résultante sera de type intermédiaire ce qui inclut les formes de personnalités somatisantes, limites et perverses.
4. Aller vers un diagnostic grâce aux pôles
Un diagnostic polaire : En pratique, la clinique, la psychogenèse et l'élaboration de la structure, concernent un individu particulier. La synthèse obtenue permet de faire un diagnostic, qui sera valable s’il est fait progressivement, avec prudence, en s’appuyant sur une clinique qui respecte les nuances individuelles. Le concept de polarité, qui n'oblige pas à faire coïncider le diagnostic avec une forme préétablie, permet cette attention prudente. Il laisse toute liberté quant à la construction diagnostique pour chaque cas, tout en permettant un repérage car il oblige faire des différences afin de choisir l'un des pôles.
Dans la sphère d’influence de chaque pôle, il est possible d’individualiser des formes cliniques plus limitées par exemple la névrose hystérique ou la psychose paranoïaque. Elles sont constituées un affinement de la clinique précis et certaines caractéristiques de la structure psychiques. Ces formes construites autour d’un mécanisme psychopathologique plus spécifique repérable dans la clinique ne constituent pas des entités fixes et immuables car il existe de multiples nuances et variations. Ce sont encore des généralisations qui ne peuvent pas toujours être retrouvées telles qu’elles.
Mixité mais différenciation psychopathologique : Le concept de polarité encourage à saisir la mixité des tableaux cliniques et envisager le passage d'une forme clinique à une autre, au cours du temps, à l'intérieur d'une même polarité. Entre deux sphères voisines, il existe un flou, une superposition correspondant aux cas intermédiaires. Cela tient au fait que chaque lignée évolutive (narcissique et objectale) et peut être touchée d'une manière qui, sans être autonome, est en partie indépendante des autres et que les phases structurantes se succèdent sans discontinuité.
Il y a donc des formes cliniques situées sur les chevauchements autour du pôle intermédiaire. Par exemple, il est parfois difficile de faire la différence entre personnalité psychotique et personnalité limite. C'est l'intérêt du concept de pôle qui permettent de se repérer, sans entrer dans une nosographie classificatoire.
Par contre le chevauchement entre sphères opposées (névrotique et psychotique) est à exclure. En effet, si sur le plan structural il est envisageable que voisinent traits archaïques et traits évolués, par contre, sur le plan psychogénétique, l'enchaînement dans le temps impose des contraintes. L’impact d’une déstructuration primitive sur l’ensemble du psychisme est tel que les deux sphères doivent être considérés comme séparés. C'est ce qui permet de garder aux trois pôles leur valeur de différenciation et de repère.
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TABLEAU RÉCAPITULATIF DES CONCORDANCES
CLINIQUE [size=undefined]Descriptions associées à un repérage de régularités ce qui aboutit à des tableaux cliniques caractéristiques.[/size] | STRUCTURE [size=undefined]Modèle associant instances, fonctions et mécanismes psychiques. On cherche les particularités structurales.[/size] | PSYCHOGENÈSE [size=undefined]Reconstruction du développement psychique caractérisé par des phases évolutives.[/size] |
Tableaux de névrose équilibrée, hystérique, obsessionnelle, ou phobique | Fonctionnement élaboré, conflit, régression libidinale éventuelle. Structure névrotique | Problème lors de la 3e phase Consolidation narcissique ; sexuation et Œdipe, stade génital. |
Tableaux d’états-limites (border- line ou narcissiques), pervers, ou somatisants. | Fonctionnement mixte, faille narcissique, fixation prégénitale. Structure limite | Problème lors de la 2e phase Autonomisation ; Stades anal et phallique. |
Tableaux de psychose paranoïaque distanciée, ou histrionique. | Fonctionnement archaïque, moi déficient. Structure psychotique | Problème lors de la 1e phase Individuation ; Stade oral. |
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Pour la mise en oeuvre pratique de cette méthode voir l'article suivant :
Vue d'ensemble de la psychopathologie relationnelle[/size]