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Comment se repérer en psychopathologie ?
Il n’y a pas de repérage communément admis en psychopathologie, ce qui est l'indice d'une connaissance encore balbutiante.
JUIGNET Patrick. Comment se repérer en psychopathologie ? Philosophie, science et société. 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com
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PLAN1. Quelques repères pour se situer2. Des distinctions utiles et nécessaires3. Le psychisme lieu de convergence[/size]
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1. Quelques repères pour se situer
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Rappelons brièvement les tentatives récentes. Le premier mode de repérage a d’abord été descriptif et nosologique. Aux XXe siècles, la psychiatrie naissante a tenté de décrire et d’ordonner progressivement, de manière empirique et par petites touches, ce domaine au premier abord opaque en proposant des tableaux cliniques cohérents. L’effort nosologique consistait à identifier les entités cliniques par leurs caractéristiques propres et à les distinguer par leurs différences, ainsi qu’en cherchant des contiguïtés et des complémentarités entre elles. La classification ainsi établie a été opérante et elle a fonctionné pendant quasiment un siècle en Europe.
L’étiologie est devenue une exigence scientifique de la médecine au XIX>e siècle. Dès ce moment de l’histoire de la pensée, on ne s’est plus contenté de tableaux cliniques repris dans une classification (renvoyant éventuellement à une essence du morbide). On a voulu trouver des causes aux maladies (ce qu’on nomme leur étiologie) et cette détermination causale est devenue partie intégrante de leur définition. Il en est toujours ainsi de nos jours, sauf… pour la psychopathologie ! La perspective étiologique est certes reconnue, mais elle reste floue faute de données irréfutables. Depuis la fin du XIXe siècle, le point de vue défendant des causes biologiques a essayé de s’imposer, contre le point de vue défendant des causes psychologiques et relationnelles.
À ce conflit a répondu l’arbitrage d’une pure empiricité, revendiquée comme neutre, proposée dans la dernière mouture du Diagnostic and Statistical Manual (Versions IV et V) et la Classification Internationale des Maladies et des problèmes de santé connexes (International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, dite encore CIM 10). Cette solution, soi-disant neutre, n’est pas la bonne, car elle renonce à s’appuyer sur la cause des troubles (l’aspect étiologique). Pour le DSM, le critère est d’abord statistique. C’est sur la fréquence de la présence simultanée des symptômes que s’établit le diagnostic. Il s’y ajoute la perspective pharmacologique qui prend comme critère les effets cibles des divers médicaments. La réponse positive d’un ensemble symptomatique à tel médicament sera considérée comme un critère classificatoire.
Notons concernant ces évolutions, que les termes actuellement employés de « névrose » et « psychose » ont un sens variable et de plus contradictoire avec leur étymologie. Comme leurs noms l’indiquent, la névrose était une affection nerveuse et la psychose une maladie mentale (de la psyché). On doit à Ernst von Feuchtersleben (1845) la paternité du terme de psychose. Il s’agit pour cet auteur d’une « maladie de l’esprit » (Seelenkrankheit), par opposition aux névroses, maladies nerveuses, précédemment définies comme maladies « du sentiment ou du mouvement qui sont sans fièvre » par William Cullen, en 1776.
Ainsi, s’est créée une opposition entre psychose et névrose, mais elle s’est curieusement inversée au XXe siècle suite à la prise en compte des travaux psychanalytiques. De nos jours, le terme psychose désigne souvent des troubles graves et déréalisants considérés, soit comme des états transitoires, soit comme des maladies graves à l’instar de la schizophrénie ou des troubles bipolaires. Cependant, le DSM et la CIM utilisent peu le vocable de psychose et répartissent ces deux affections entre les troubles dissociatifs et les troubles de l’humeur. Cette ambiguïté terminologique est un facteur de confusion majeure. Des termes aussi fondamentaux que névrose et psychose ont un sens flou et contradictoire. Ils sont tributaires d’évolutions théoriques contradictoires, c’est pourquoi il est nécessaire en psychopathologie de préciser le sens dans lequel on les emploie, car il n’est pas le même pour tous.
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2. Des distinctions utiles et nécessaires
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Si l’on distingue les niveaux d’organisation psychologique, et neurobiologique et que l’on sépare les influences biologiques des influences relationnelles et celles proprement socioculturelles, la question de la pathologie peut être abordée en se demandant lequel de ces niveaux est en cause et lesquelles de ces influences interviennent. Chaque individu intègre les données sociales ainsi que les normes culturelles et les traite de manière dynamique au sein du psychisme qui est lui-même une entité mixte combinant les deux niveaux neurobiologique et psychologique (cognitif et représentationnel).
Presque tous les faits humains peuvent faire l’objet de plusieurs déterminations simultanées ce qui est une difficulté. Cependant il y a, la plupart du temps, unprimum movens, une détermination plus forte que les autres. Selon le cas les facteurs relationnels, ou socioculturels, ou neurobiologiques, peuvent être considérés comme prépondérants. Cette évaluation du déterminant le plus puissant n’a rien de définitif, c’est un jugement de bon sens porté en fonction des connaissances admises. C’est elle qui nous servira pour proposer des catégories psychopathologiques, ce qui conduit à considérer :
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1. Les formes d’organisation de la personnalité dans lesquelles l’interaction avec l’entourage est prépondérante pour expliquer leur genèse.
2. Les maladies à facteurs multiples dans lesquelles il y a une prépondérance du facteur neurobiologique.
3. Les personnalités sur lesquelles les facteurs socioculturels ont joué de manière prépondérante pour engendrer un dysfonctionnement.
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Il est certain que tous les facteurs se cumulent constamment mais, dans la mesure où nous ne sommes pas omniscients, il faut essayer de déterminer ceux qui sont prépondérants, pour comprendre et agir. Cela revient à hiérarchiser les déterminations en fonction de leur importance supposée. Il y a un enjeu pratique. Pour avoir une action efficace, il faut mettre en œuvre une technique adaptée. Si l’on traite un facteur accessoire, on n’obtiendra aucun résultat, et on risque même de nuire au sujet.