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 Quelle théorie de la connaissance ?

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الموقع : سرير الحبيب
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04122010
مُساهمةQuelle théorie de la connaissance ?

12Wittgenstein aura prouvé que la science, comme la philosophie, ne fonde pas sa connaissance de l’être sur l’essence mais sur le langage. Pourtant la philosophie n’a pas le même projet que la science. La philosophie propose une interprétation du monde car elle s’interroge sur le sens de l’existence. Elle élabore des théories invérifiables et des systèmes du monde. L’opposition classique entre interpréter et expliquer définirait deux rapports à la vérité : la philosophie trouverait la vérité dans une conception du monde là où la science découvrirait la vérité dans la matière même du monde. Aussi la philosophie serait pour le positivisme d’A. Comte insuffisante à démontrer l’enchaînement des causes, car elle s’attacherait seulement à rendre raison des phénomènes par des systèmes métaphysiques. Or il faudrait préférer la physique à la métaphysique. La preuve de l’existence de Dieu n’aurait, pour le positivisme, aucune valeur objective au regard de la preuve fournie par une expérience scientifique. A. Comte reproche à la métaphysique d’être un discours sur l’être plutôt qu’une analyse des faits expérimentaux.
13Or en limitant la science au fait, le positivisme a voulu discréditer toute philosophie autre que scientifique. La science ne prétend pourtant pas atteindre les causes premières : son histoire témoigne d’un renouvellement incessant de l’explication des phénomènes. Rien n’est définitivement établi dès lors qu’un progrès technique permettra une observation inédite. Ce mouvement indéfini de LA science, que les Lumières consacreront sous le terme de progrès, trouverait son contraire dans la philosophia perennis. La philosophie étudie des problèmes éternels là où la science mesure les dimensions dynamiques de l’espace, du temps et de la vie.
14Cette opposition positiviste entre la philosophie et la science est si bien entretenue que l’on pourrait croire à une opposition méthodologique stricte entre l’une et l’autre. L’idée qu’il y aurait quelque chose comme LA science est un mythe moins tenace que celui de la philosophia perennis : d’une part, l’idée de progrès précipite toute découverte scientifique vers une nouvelle élaboration théorique ; d’autre part, la connaissance de la nature relève d’une relation dynamique engagée par les « découvreurs ». Aussi la philosophie a longtemps considéré la science comme sa concurrente au point que les relations philosophie-sciences sont marquées du double sceau de l’épistémologie critique (quelle valeur a la connaissance scientifique ?, qu’est-ce qu’une théorie scientifique ?) et du projet toujours renouvelé de fonder une philosophie des sciences (définition du matérialisme, élaboration des objets scientifiques). Il faudrait étudier les sciences plutôt que de croire en LA science et cela tant du point de vue des méthodes que de celui des objets. Les progrès des sciences sont souvent compris comme ceux de LA science, sans que l’on prenne suffisamment garde à l’histoire de chacune et aux renouvellements des interrogations scientifiques. LA science, en tant que Théorie de la connaissance du réel, voudrait être contenue dans la seule réflexion épistémologique. Certes l’analyse des modèles et des théories scientifiques cherche à décider de la valeur de vérité de la science. Mais, prétendant à la vérité universelle, une fois l’analyse épistémologique accomplie, la science révèle sa construction et ses limites théoriques. Il serait cependant malvenu de réduire la tâche épistémologique de la philosophie à la présentation indéfinie des découvertes scientifiques, comme le font la neurophilosophie ou la biophilosophie. La philosophie devrait être maintenue moins à l’extérieur des sciences que face à elles, pour interroger la légitimité de leurs modèles tout en évitant de les cautionner.
15Les partisans du dogme positiviste récusent aujourd’hui la scientificité des philosophies et des sciences humaines au nom de la rigueur méthodologique et de l’objectivité des sciences dites « dures ». La psychologie, la sociologie et l’anthropologie devraient être comprises comme des pré-sciences imaginaires : au cours de leur constitution, au xixe siècle, elles n’auraient pu se fonder sur des descriptions scientifiques suffisamment rigoureuses. Selon cette réduction interthéorique, mise au point par les matérialistes éliminativistes américains, l’actualisation des théories philosophiques se réalise afin de les adapter aux découvertes scientifiques. Une explication naturaliste de l’homme en découle et se propose de remplacer les concepts anciens par des néologismes : la conscience devient une neurocognition, la mémoire est modélisée selon une computation informatique, le désir est décrit en termes biologiques… En intégrant la philosophie dans le corpus des sciences, celles-ci légitimeraient la nouvelle définition des concepts.

  • 10 . Anne Fagot-Largeault, « Les problèmes de l’expérimentation médicale », L’Homme bio-éthique. Pour u(...)

16Or les sciences aujourd’hui peuvent-elles dès lors se prêter à une critique philosophique ? La complexité des découvertes augmente le niveau des connaissances nécessaires pour leur bonne compréhension. Le domaine du laboratoire paraît inaccessible au grand public : trop de formules, trop de techniques, trop de présupposés. Sorti du laboratoire, le savant fournit une version vulgarisée. Le savant est exposé à la société sans que le grand public possède toujours les moyens d’un réel dialogue philosophique. La promotion littéraire des livres scientifiques est devenue le seul lien du chercheur avec le corps social. Mais le scientifique intervient de plus en plus dans les débats de société en qualité d’expert au point d’occuper la place du philosophe. La médiatisation télévisuelle transforme ainsi le scientifique en mage et en sage capable de tout résoudre. Par son savoir, le scientifique est amené à formuler des jugements sur des questions de société, comme le clonage aujourd’hui qui sont compris comme des avis informés et vrais. À la fois partie prenante et partie prise des scientifiques se transforment bioéthiciens : la recherche d’un consensus social sur les limites des recherches scientifiques établit et renforce une norme éthique. Le risque, rappelle Anne Fagot-Largeault 10, dans cette conception d’un homme bioéthique, est celui du naturalisme : c’est-à-dire réduire l’homme aux seuls déterminants biologiques en niant la dimension sociale de l’humanisation. Aussi la philosophie aurait encore une utilité en assurant une réflexion épistémologique sur le jugement bioéthique plutôt que de prendre hâtivement position sur les dérives possibles des recherches scientifiques.
Comment vérifier les sciences ?


17Mais sans étudier les conditions réelles du travail scientifique, le philosophe risque de porter un jugement abstrait sur la construction d’une vérité. Car pour établir l’objectivité et l’universalité d’un résultat expérimental, tout scientifique rencontre bien des obstacles : obstacle matériel dans la mise en place de l’expérience, obstacle herméneutique dans l’interprétation à donner aux résultats, obstacle épistémologique dans la modélisation de l’expérience. L’adéquation des expériences aux critères internes du champ scientifique est une étape nécessaire pour leur reconnaissance. Sans ce passage, le résultat ne sera pas intégré dans le corpus scientifique. Aussi la possibilité de la connaissance philosophique des sciences repose-t-elle sur deux conditions : le degré d’ouverture du champ scientifique et l’existence d’une élaboration philosophique des questions scientifiques susceptibles de permettre un réel dialogue. Cette seconde condition définit le domaine de l’épistémologie. Le temps, l’espace, la vérité, la causalité, etc., sont autant de concepts qu’il faut situer et évaluer dans chaque science : ce travail délimite l’usage des concepts et leurs déplacements d’un domaine dans un autre.
18En outre, le degré d’ouverture d’un champ scientifique donné à son épistémologie est relatif au niveau de développement de ses recherches. Il convient ici de distinguer le niveau interne de développement, qui trouvera son élaboration dans l’histoire des sciences, et le niveau externe d’expression de ce développement qui trouvera son élaboration dans la philosophie des sciences. Car une continuité plus ou moins établie, qui va de la production à la diffusion de la découverte scientifique, fait partie des mécanismes de reconnaissance institutionnelle du chercheur. L’expertise scientifique, interne au développement de chaque science, reste une évaluation différente de l’étude épistémologique proprement dite. L’histoire des sciences est une base nécessaire pour entreprendre l’épistémologie d’une science car elle fournit des données précises sur les périodes, les échanges et les modalités de la découverte.

  • 11 . Stephen Jay-Gould, L’Éventail du vivant. Le mythe du progrès [1996], trad. C. Jeanmougin, Paris, S(...)

19Or une science est connue davantage par ses succès technologiques que par ses découvertes fondamentales qui en sont pourtant la condition. L’idée d’une science appliquée dans une technique paraît résumer toute idée de scientificité. Confondant utilité et vérité, la technologie tend à se substituer aux sciences dans les représentations sociales. En créant des applications confortables, la technologie fournit des résultats tangibles. Une continuité, née de l’habitude, s’établit dans l’esprit entre science et technique, diminuant la part de la science fondamentale au profit de la science appliquée. Les procédés techniques accréditent une version utilitariste de la science. De nouvelles institutions voudraient moderniser aujourd’hui le concept de collections scientifiques initié par le Muséum d’Histoire Naturelle, créé en 1626. La création, le développement et le succès de la Cité des Sciences et du Futuroscope ont transformé les principes de la collection spécialisée en celui de démocratisation des savoirs. Mais l’organisation de ces lieux de culture scientifique postule l’utilité technologique comme la finalité interne de la science. En effet cette présentation de l’histoire des sciences est le moyen de renforcer l’idéologie du progrès en exposant comment l’Occident a pu réaliser ses résultats. La philosophie occidentale du progrès est entretenue par l’illusion d’un accroissement indéfini des connaissances. La confusion, analyse Stephen Jay-Gould, entre progrès scientifique et évolution de l’espèce humaine est maintenue 11. L’accumulation des découvertes fait croire en une avancée inéluctable de la rationalité. Toute nouveauté technologique signifierait automatiquement la positivité des modèles scientifiques.

20Cette course technoscientifique aux résultats réduit le temps d’une réflexion sur le sens même de l’activité sociale de la science. Dès lors la philosophie trouve une fonction critique face à la science. Le développement accru de la bioéthique a pu faire croire en la promotion d’une philosophie morale des sciences. Or l’évaluation morale des sciences est précisément l’inverse d’une réflexion philosophique sur leurs enjeux. La société interroge la science sur ses desseins tout autant que la science interroge la société sur les degrés d’acceptabilité de ses travaux. Cette interrogation réciproque et complémentaire fournit une occasion pour adresser des questions philosophiques aux sciences : comment se constitue une science ? Pourquoi une science se sépare-t-elle d’une autre ? À partir de quels éléments l’objectivité se constitue-t-elle ? La philosophie définit les concepts en interrogeant leur universalité prétendue par la loi scientifique ; comme philosophie des sciences, elle étudie plus particulièrement la vérité, la causalité, l’objectivité, la rationalité, l’infini, etc., à travers toutes les sciences. Elle peut ainsi établir des constances et des variations sans parvenir à une connaissance définitive. Par ces études, ces concepts font à l’intérieur de chaque science, l’objet d’une analyse approfondie. D’autre part la comparaison transdisciplinaire engage une réflexion sur la signification et l’orientation des sciences. Le philosophe des sciences maintient ici un rapport externe aux faits et théories scientifiques.
21Face à cette spécialisation des sciences, la naturalisation des objets philosophiques est accomplie à partir des éléments premiers (le neurone, le gène, l’atome) : de ces matériaux une décomposition et une recomposition des formes renouvellent le vocabulaire conceptuel. Le savant croit pouvoir disposer des éléments premiers de la matière que la philosophie n’aura qu’à conceptualiser. La science définissait par elle-même et en elle-même le contenu philosophique de sa réflexion. En lisant Le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod (1910-1976) ou La Logique du vivant de François Jacob (1920-), une information scientifique directe pouvait être acquise à l’intérieur d’une représentation du monde. Les Prix Nobel y élaboraient encore une théorie biologique sur la base des démonstrations effectuées et reconnues. Le scientifique s’estimait capable de formuler une philosophie propre.

  • 12 . Louis Althusser, Philosophie et philosophie spontanée des savants, [1967], Paris, Maspero, 1974.

22Dès lors un nouveau type de dialogue pouvait s’instaurer entre le philosophe et le savant : celui de l’épistémologie critique. Car la réflexion du scientifique n’est cependant pas suffisamment distanciée pour dégager sa philosophie des résultats de ses expériences. L. Althusser 12 voit dans cette élaboration une philosophie spontanée du savant plutôt qu’une épistémologie réellement critique. Son étude de la leçon inaugurale de Monod au Collège de France en 1967 analyse le matérialisme de l’auteur de Le Hasard et la Nécessité. La philosophie spontanée était justement dénoncée comme cet ersatz de philosophie auquel se référait tout scientifique pour légitimer l’universalité de ses découvertes ; en réalisant un déplacement du champ de la science vers celui de la philosophie, le scientifique semblait pouvoir écrire une philosophie scientifique plutôt qu’une philosophie des sciences.
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