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 Les croyances pratiques : les valeurs sont-elles des vérités?

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26022016
مُساهمةLes croyances pratiques : les valeurs sont-elles des vérités?

 les valeurs  sont-elles des vérités?
par Sylvain Reboul 
(Société Angevine de Philosophie),
Intervention faite dans le cadre des "Rencontres de Sophie de Nantes" le 30/01/05 


Croire c'est non seulement adhérer  à une idée, mais se fier à elle pour agir. Les valeurs pratiques sont des croyances qui visent les fins et les moyens du bien-vivre ; elles prétendent définir les principes de l’action considérée, à tort ou a raison, comme universellement bonne ou juste. En cela l’adhésion à des valeurs pratiques est vitale : elles donnent sens à la vie de chacun dans un cadre universel et sont la condition d’un ordre social stable possible, car reconnu comme légitime par tous. Les valeurs pratiques sont donc toujours collectives ou prétendent le devenir et servent de lieu et de repère communs aux individus dans une société donnée afin de réduire des conflits entre les intérêts et les désirs particuliers. Elles normalisent les désirs pour les rendre compatibles et/ou complémentaires en exigeant que chacun les intériorise et s’y identifie de telle sorte qu’il s’y soumette volontairement en trouvant dans cette soumission motif à être reconnu et à se reconnaître comme valeureux. Les valeurs valorisent ceux qui y adhèrent et les pratiquent et par ce biais satisfont au désir le plus profond de chacun : le désir d’estime et/ou de reconnaissance de soi. Les valeurs pratiques sont donc constitutives de l’amour de soi et détermine le fait  que cet amour prend la forme d’un désir, plus ou moins fusionnel , de sociabilité et/ou d’identification collective.

Mais les valeurs pratiques ne sont pas nécessairement cohérentes entre elles et leurs conséquences sont souvent contraires à celles que l’on pourrait souhaiter, dès lors que leur mise en pratique s’avère problématique voire impossible. Elles peuvent en cela être source de désillusion et de conflits, surtout lorsqu’elles exigent un héroïsme sacrificiel excessif pour la majorité et/ou quand elles entrent en conflit avec les besoins ou quand elles génèrent et servent à légaliser la violence collective ou la domination vis-à-vis de ceux qui ne les partagent pas (les autres, étrangers ou barbares) . Facteurs de cohésion interne elles peuvent alors devenir facteurs de conflits interminables vis-à-vis de ceux à l’intérieur ou à l’extérieur qui les refusent et cela d’autant plus lorsqu’elle se présentent comme absolues, c’est à dire divines dans leur fondement et quand  elles prétendent à l’universel sans avoir les moyens ou les arguments suffisants pour en convaincre les autres. Les valeurs religieuses ne persuadent que les croyants. Etre croyant n’implique pas que ce a quoi on croit soit démontrable comme vrai, au contraire.. Sinon la croyance serait un savoir. Mais cela implique que l’on tienne pour vrai ce que l’on ne peut démontrer : l’existence de Dieu, la liberté humaine, l’immortalité de l’âme ou la résurrection etc…

En effet, lorsqu’elles se présentent comme religieuses et sacrées, c’est à dire transcendantes et incontestables, les valeurs pratiques entendent réconcilier les hommes-croyants  aux même valeurs sous l’autorité d’un Dieu surhumain qui détient le pouvoir ultime et irrésistible et récompenser et de sauver ou de condamner et de punir. Mais ce prétendu fondement religieux des valeurs qu’il ne faut pas confondre avec leur origine historique est, dans une société libérale et pluraliste, source de conflits forcément irréductibles dès lors que tous les individus ne sont pas croyants d’une même religion, que d’autres sont athées et que chacun a le droit et de bonnes raisons de refuser un tel fondement indémontrable. Or le pluralisme idéologique, condition de la démocratie politique, ruine l’autorité socialement incontestable et théocratique des valeurs dites religieuses et loin de provoquer la réconciliation, celles-ci entretiennent la discorde et le conflit (la guerre des dieux)  d’autant plus qu’elles se veulent absolues et par cet absoluité même inconciliables. On ne peut, en effet,  être conciliant qu’en relativisant sa propre position et en tolérant comme légitime celle des autres. La tolérance n’est donc pas une valeur précisément religieuse ; elle est, au contraire, le signe d’une déreligiosisation (désacralisation) des valeurs y compris celles qui se donnent comme religieuses dans le cadre d’un pluralisme reconnu et garanti.

Mais, s’il n’y a plus de valeurs religieuses fondatrices, et si la tolérance devient à son tour une valeur positive, cela veut dire qu’il n’y a plus de valeurs que l’on puisse affirmer plus authentiques ou vraies que d’autres et le relativisme généralisé des valeurs font de celles-ci l’enjeu des désirs particuliers plus ou moins raisonnés de chacun. Les valeurs pratiques se confondent alors avec le désirable et l’éthique avec la recherche du bonheur, idéal de l’imagination subjective. Les droits subjectifs priment voire absorbent le droit objectif qui exige et contraint au nom de valeur collectives considérées comme supérieures.

Or, si l’éthique perd de son caractère de vérité pour tous, elle risque de  ne plus permettre de fonder un ordre social harmonieux et solidaire. Pour éviter le chaos ou l’anomie sociale (Durkheim), il devient alors indispensable de fonder la morale et le droit non sur un pouvoir transcendant décrédibilisé ni, non plus, sur une éthique universalisable impossible du bonheur, mais sur des règles formelles qui autorisent chacun à faire usage de sa liberté (ses propres désirs) en vue de son bonheur sans nuire à l’égale liberté formelle des autres. La vraie morale moderne (dans une société pluraliste) ne peut être que  libérale et individualiste, formelle et non plus substantielle, elle ne peut faire référence à aucune conception positive religieuse ou philosophique du bonheur (à chacun le sien), ni au salut des hommes et des sociétés, mais au simple fait d’éviter la violence et la domination, par la mise en œuvre des droits universels formellement égaux et particulièrement du droit de propriété qui seul rend possible, voire nécessaire, une authentique autonomie individuelle. C’est cette reconnaissance et la garantie de la liberté d’individus propriétaires de leur bien et de leur corps qui devient la condition nécessaire sinon suffisante de possibilité d’une solidarité consentie et désirable, car nécessaire au bien-être de chaque individu qui resterait entièrement libre d’en définir le champs et les limites par contrat.

En quel sens cette croyance dans la valeur de la liberté peut être dite vraie  ou plus vraie qu’une croyance qui affirmerait que les hommes doivent se soumettre inconditionnellement  à Dieu et/ou à la tradition pour bien vivre ? en deux sens : un sens théorique et un sens pratique

Croyance et vérité

Sur le plan théorique, deux  sens de la vérité sont possibles : 

- En un premier sens, est vraie  une proposition qui est, dans son contenu, conforme ou adéquate à une réalité phénoménale dont on peut faire l’expérience.

- En un second, est vraie une proposition dont le contenu  extra expérimental (métaphysique) est exigé pour comprendre, à titre de fondement,  le monde et donner un sens cohérent à l’expérience que nous avons de l’existence humaine, en ce qu’elle a d’universel. 

La proposition : « L’homme est libre » n’est vraie au premier sens que si les institutions sociales, politiques et juridiques promeuvent et garantissent l’exercice des droits fondamentaux encore appelés droits de l’homme et du citoyen ; la liberté de réaliser ses désirs dans le respect de celle des autres est donc une question politique ; la valeur de vérité de cette proposition est relative et circonstancielle, elle dépend des marges de manœuvre et du pouvoir d’autonomie qu’ont les individus-citoyens par rapport aux autres et aux autorités sociales et politiques; au second sens la proposition l’homme est libre signifie qu’il faut considérer tous les hommes comme capables de se déterminer eux-même (libre arbitre) indépendamment de la pression des circonstances extérieures et de  leurs désirs (ou passions). Or, nous savons depuis Kant qu’une telle affirmation est métaphysique et donc que sa vérité n’est ni démontrable formellement, ni prouvable expérimentalement. Il s’agit donc d’une croyance subjective sans valeur objective à qui, malgré cela, on confère une telle valeur supposée ; il s’agit d’un postulat de la pensée et non d’une proposition de connaissance ; or une croyance est illusoire lorsque l’on fait d’un postulat une vérité objective et que l’on tient une proposition pour vraie sans preuve rationnelle ou expérimentale suffisante possible, l’expérience vécue (subjective) de notre liberté intérieure pourrait être une illusion de la conscience comme le souligne Spinoza. Néanmoins supposons qu’elle soit vraie au sens où elle donne un sens positif à l’action humaine puisqu’elle a pour conséquence de fonder l’exigence de respect universel de l’homme par l’homme et de combattre le risque de violence et de domination, nous ne sommes alors plus dans le cadre de la connaissance de ce qui est mais de la détermination de ce qui doit être ; la proposition devient une principe régulateur de la moralité et/ou de l’éthique. Cette croyance a une valeur normative ou pratique de justification et non plus théorique d’explication. Or cette distinction entre proposition normative et proposition explicative ne va pas de soi, comme ne va pas de soi, dans une perspective que j’appelle idéaliste, la distinction entre le vrai et le bien entre ce que les hommes sont et ce qu’on désireraient, à tort ou à raison, qu’il soient. Si je dis que les femmes sont inférieures aux hommes, mon propos est ambigu : il est vrai qu’il en est encore ainsi dans nombre de sociétés et que certaines inégalités perdurent dans la nôtre, mais elle est fausse si j’affirme qu’il doit en être ainsi du point de vue de la nature des sexes et des rôles sexuels ; ou plus exactement elle n’est ni vraie ni fausse, elle est hors du champs de la connaissance et de la vérité ; mais elle est fausse en cela qu’elle se prétend vraie, comme l’ont fait  la grande majorité des philosophes d’Aristote à Hegel qui ont, à un degrés ou un autre, « essentialisé » les inégalités en prétendant les expliquer par la nature intemporelle des choses ou l’ordre du monde. Qu’est-ce que cela signifie ?

Valeurs et illusion
Les valeurs définissent des idéaux éthiques et/ou politiques (courage, intelligence, inégalités naturelles, culte de la tradition, soumission à l’autorité, versus respect des droits de l’homme, égalité, liberté individuelle,  démocratie etc..) qui prétendent valoir pour tous, y compris lorsqu’elles hiérarchisent l’humanité,  car elles visent, dans toutes les cultures, à légitimer et inscrire dans les corps et les pratiques routinières, voire  ritualisées ces valeurs  non seulement aux yeux des dominants, mais aussi et surtout aux yeux des dominés la soumission qui est exigée d’eux (soumission que La Boétie appelle "volontaire"). Leur fonction est en effet de produire un ordre social stable, c’est à dire acceptable et accepté  et pour ce faire elles sécrètent dans l’imaginaire de chacun et dans ses pratiques corporelles codées le ciment social qui lie ensemble les individus et groupes sociaux afin qu’il se sentent obligés  ou requis à coopérer dans l’intérêt prétendument commun à la préservation de cet ordre, qu’i soit égalitaire ou non. En cela les croyances morales ne sont pas seulement des représentations idéales et/ou idéalistes du bien-vivre, mais elles sont chevillées aux corps ; ou mieux ces représentations resteraient labiles sans les pratiques culturelles, techniques et symboliques qu’elles accompagnent  en les légitimant : « priez et vous croirez » disait Pascal , c’est à dire : « mettez vous à genoux et la foi en un Dieu tout puissant viendra » versus « redressez-vous et vous serez libre, c’est à dire sans Dieu ni maître absolus». Rien de mieux pour obtenir ce résultat que de « naturaliser » les croyances et les pratiques qu’elles accompagnent en les présentant comme inscrites dans l’ordre, non seulement symbolique de la culture, ordre toujours contestable, mais dans celui, éternel,  des choses quand ce ne peut plus être, dans une société non-théocratique, de la volonté divine…C’est dire qu’aucune valeur pratique ne peut, pour s’imposer sans débat, se dispenser de se présenter comme une vérité objective indiscutable inscrite dans les finalités de la nature. La confusion entre vérité théorique et croyance pratique est donc le facteur idéologique décisif de ce qu’il faut appeler l’autorité des valeurs sur et dans les esprits et les corps individuels considérés comme devant former un seul corps social.

Or nous savons, depuis Spinoza et Kant, que ces prétendues finalités naturelles , si on les considèrent comme des causes déterminantes ou explicatives des phénomènes spontanés, comme tout idée de cause finale globale dans le nature en général, ne sont que des projections anthropomorphiques et que la nature, comme ensemble des phénomènes, est objectivement indifférente aux valeurs. S’il y a des finalités internes aux êtres vivants, elles sont des fonctions, conséquences de programmes physico-chimiques mécaniques ouverts aux conditions épigénétiques (apprentissage possible), articulés d’une manière aléatoire et sélectionnés en aveugle par les conditions de l’environnement. Toute conception finaliste globale interne de la nature et a fortiori  externe (Dieu créateur transcendant) ne peut être qu’une croyance valant pour nous, mais subjective au sens du sujet universel de la connaissance et de l’action, éventuellement nécessaire pour nous faire examiner ces fonctions avec précision sous la forme d’un mécanisme complexe et rétro-actif (action réciproque) dans le domaine de la connaissance ou, dans le domaine pratique, nous encourager à penser une possible compatibilité pensée (et non pas connaissable) entre la nature et la liberté humaine qui se donne des fins extra-biologiques (éthiques, sociales  culturelles et historiques) conscientes de l’ordre du désir en non pas du seul besoin naturel et/ou de la raison. Nous rencontrons là la position de Kant (Critique du jugement) qui, après Spinoza, refuse de faire de la cause finale un moyen de connaissance objective des phénomènes naturels. Il distingue, en effet,  les jugements déterminants qui subsument le particulier sous une loi universelle vérifiable  et les jugements réfléchissant qui extrapolent le général du particulier d’une manière invérifiable et non réfutable (c’est moi ici qui précise ce dernier point), pour ne faire de celle-ci qu’une croyance réfléchissante qui peut être utile si on en fait bon usage mais qui devient source d’illusion faisant obstacle à la connaissance si on oublie son statut: celui de principe régulateur (ou directeur) de la pensée humainequi s’efforce de s’orienter et non celui de loi objective du monde. Remarquons, en effet, que cette confusion entre penser et connaître permet de se satisfaire d’une explication qui n’explique rien car elle prétend tout expliquer et/ou qui explique ce qui est par ce qui n’est pas encore, sans montrer comment on peut passer de la fin aux moyens, comment ce qui n’est pas encore (la fin supposée ) peut produire ce qui est (le moyen prétendu). Ainsi l’explication (à distinguer de la compréhension) par les causes finales ne peut être qu’un avatar de celles qui invoque des causes magiques et/ou, au mieux, une variante de l’idéalisme théorique qui explique ce qui est par l’idée de ce qui doit être ou désirons pour nous, comme l’avait déjà expliqué Spinoza. 

Cette critique du naturalisme finaliste rend rationnellement illégitime toute tentative de naturaliser les valeurs pratiques : les jugements de réalités ne sont pas et ne peuvent prétendre être des jugements de valeur et vice versa. Or l’illusion idéologique consiste toujours à fusionner ces deux types de jugements afin d’inscrire à tort les valeurs dans le champs de la vérité objectivement connaissable ; c’est dire que l’illusion consiste toujours à prendre ses désirs pour la réalité et à considérer que ce qu’on estime souhaitable est au fondement de ce qui est et peut objectivement être. L’idéalisme volontariste est l’autre volet du finalisme naturaliste. Nous devons poursuivre ce que nous désirons, car ce que nous poursuivons est déjà programmé dans l’enchaînement des phénomènes naturels commandés par des causes finales objectives : ce que nous voulons est nécessaire.
Sur fond de cette critique et si nous revenons à notre exemple des valeurs du libéralisme philosophique, à savoir le primat des droits individuels (droit de propriété) sur les droits collectifs et l’égalité en droit de tous les hommes, femmes comprises , il convient de dire  que ces valeurs ne sont pas inscrites dans les faits, ni dans une prétendue nature humaine métaphysique, mais qu’elles relèvent d’une décision politico-juridique car elles constituent des normes sociales et des principes régulateurs des relations entre les individus d’une part et entre eux et les pouvoirs institutionnels d’autre part, dans un contexte historique déterminé. Or cette désinscription  des valeurs hors du champs de la vérité provoque immédiatement le risque  de les considérer comme arbitraires et donc contestables dans leur fondement. Risque qui génère le relativisme généralisé  et fait du conflit des valeurs un conflit sans fin ni enjeu universel possible. Mais c’est peut-être justement cette idée qu’il  y aurait besoin d’un fondement logiquement suffisant, voire qu’un fondement quelconque serait  requis, pour garantir la valeur des valeur qui devient , au regard de cette critique, problématique.   Qu’est ce qu’un principe normatif ? C’est un principe qui ne vaut que par les conséquences empiriques, c’est à dire, les effets de sociabilité, que génère son application dans un contexte donné ; sa valeur est d’absolue et fondamentale que si l’on admet à tort qu’il doit valoir dans tout contexte de jeu social, or ceci est infirmé par l’expérience historique et sociale : les principes régulateurs des relations amoureuses et des relations commerciales sont radicalement différents (et non pas contradictoires car ils n’appartiennent pas au même objet) et font qu’on ne peut, par exemple confondre l’amour et la prostitution. Comment, dans ces conditions prendre la mesure de la valeur de la valeur de liberté?  La réponse à cette question est que cette valeur des valeurs, si elle ne trouve pas un fondement suffisant dans une conviction métaphysique  réside dans leurs conséquences dans une configuration sociale donnée, à savoir  aux effets de réduction de la violence vécue (physique et psychologique) et d’accroissement de la coopération volontaire qu’ils produisent dans ce contexte.
En quoi et dans quelles limites contextuelles les valeurs libérales de notre exemple sont-elles efficaces ? Certainement et directement dans le jeu commercial et indirectement dans le jeu social dans la mesure où il vaut mieux échanger des biens et des services selon une forme contractuelle et  négociables que de ce faire la guerre ; l’échange marchand est globalement plus pacifiant que le vol ou la razzia. Mais il a un défaut majeur : il n’oblige à aucune réciprocité durable et il a tendance à faire se volatiliser toute coopération ou échange de service de long terme : il privilégie dans les échanges la satisfaction à court terme du désir d’avoir sur celui du désir d’être reconnu à long terme. C’est pourquoi l’échange amoureux ou les relations familiales ne peuvent obéir aux mêmes règles que l’échange commercial, sinon sous la forme paradoxale qu’ est la prostitution ou l’utilisation des enfants comme salariés familiaux, au mépris des conditions, qui s’inscrivent nécessairement dans le durée et la stabilité affective, de toute éducation de la sensibilité et de l’esprit à l’autonomie personnelle.

De plus,  la croyance que la valeur de liberté individuelle sous la forme de la liberté privée de posséder et d’entreprendre  comme axiome régulateur des sociétés sécularisée est dans son usage problématique car elle se heurte au fait des inégalités que génère la propriété privée des biens de production et d’échange. Les droits réels des propriétaires en terme de pouvoir social sur les non-propriétaires qui travaillent pour eux en tant que salariés sont réellement dominants et font, comme  l’a dit Marx, que le droit formellement égal à la  propriétés privée se transforme en droit des propriétaires à exploiter à leur profit la force de travail des non-propriétaires.  Le droit de propriété sur les biens sociaux que sont les biens de production et d’échange et plus généralement les droits de l’homme dans les conditions du capitalisme apparaissent alors comme le droit des bourgeois au service de leur intérêt particulier de classe. L’universalisme formel du droit de propriété  n’est plus alors que le paravent mystificateur de la domination des salariés par les possédants,  un instrument de la domination masqué, dès lors que ce droit prétend mensongèrement que tous peuvent devenir également propriétaires en fonction de leur capacités, de leur talent et de leur travail.  Cette mystification, déjà dénoncée par Rousseau, escamote, en effet, le fait que l’égalité des droits formels reste dépendante des moyens réels de les exercer et que le fonctionnement capitalisme dont le but est le profit privé maximum, suppose l’inégalité réelle croissante dans l’usage de ces  même droits. Même la prétendue égalité des chance dans la libre concurrence des compétences est un leurre dès lors que ceux qui disposent des capitaux  ont un accès privilégié aux ressources non seulement économiques, mais aussi culturelles qui sont nécessaires en tant qu’ instruments de pouvoir social , au développement des capacités, talents et initiative.  La valeur pratique de la liberté individuelle, dans le contexte de jeu de la société capitaliste  se heurte donc à celle de l’égalité dans l’usage des droits au point de devenir, selon la formule célèbre, « la liberté du renard libre dans le poulailler libre ». La légitimité de la valeur de la liberté est compromise au point d’être ressentie comme injuste, c’est à dire inégalitaire en fait et en droit, sans que cette inégalité puisse être justifiée durablement en terme de mérite individuel au service d’un quelconque intérêt commun aux yeux même de ceux qui en sont les victimes. La capitalisme a ceci de particulier qu’il décrédibilise constamment ses propres valeurs fonctionnelles (égalité des droits, égalité des chances etc…). Dès lors que celles-ci ne peuvent plus être présentées comme transcendantes et/ou procédant de Dieu, elle sont soumises au seul jugement des intérêts économiques et sociaux des individus et des groupes. Et ce jugement devient nécessairement critique, voire cynique. Et cette décrédibilisation des valeurs pratiques  tend à détruire toute confiance pourtant nécessaire au fonctionnement d’une société, y compris de la société capitaliste

Du bon usage des croyances pratiques
Ainsi, si les croyances pratiques n’ont plus de valeur absolue mais ne valent que dans des contextes de jeu sociaux déterminés traversés par des conflits d’intérêt et de croyances éthiques, elles n’impliquent alors, contrairement à ce pensait Kant, aucun impératif catégorique. Ce que confirme indirectement  Kant, lui-même, qui faisait des  croyances en dieu, dans la liberté  métaphysique et de l’immortalité de l’âme, les conditions nécessaire de possibilité de toute moralité catégorique (ce que nous avons tendance à oublier lorsque nous tentons d’actualiser Kant). Ces croyances métaphysiques ne peuvent plus valoir comme fondement de l’éthique dans des sociétés laïques et traversées par des conflits sociaux, non seulement ouverts, mais moteurs de la vie politique. Il nous faut alors reprendre la distinction  de Max Weber entre la rationalité de conviction et celle de responsabilité pour choisir la seconde qui vise l’efficacité au regard de fins déterminées.
Pour cela il conviendrait de définir plus avant, ce que je ne peux faire ici, les conditions d’un usage non-illusoire, anti-utopique et anti-dogmatique des croyances pratiques. Mais ce bon usage implique que l’on considère les croyances pratiques en tant que fictions mobilisatrices non vraies plus ou moins efficaces du désir de l’ « être avec » et qu’on ne doit juger de la justesse de ces principes que pour leur seule efficacité régulatrice dans un champs de conflit d’intérêts et de convictions éthiques potentiellement violents dans des jeux sociaux déterminés. Disons, pour faire court, que la politique-citoyenne doit faire du débat sur ces principes en opposition et leurs conditions d’application en vue de compromis  permettant non pas le dépassement des conflits mais leur  régularisation ou pacification, son centre moteur. On peut et doit aussi , à la lumière des dernière élections aux USA, se demander s’il ne faudrait pas abandonner le terme de valeur, même sécularisé sous la forme des valeurs républicaines, car il reste  trop connoté par une vision transcendante et religieuse de la vie politique. S’interroger, en effet, sur la justesse des valeurs, c’est peu ou prou les dévaloriser, c’est à dire les désacraliser  pour ne plus en faire que des justifications toujours discutables de nos actions. Cette perspective critique radicale implique de défaire, à mon sens,  la double confusion entre vérité et croyance pratique et valeur et principe d’action et par là de mettre en question l’autorité absolue ou sacrée des prétendues valeurs que cette confusion produit.  Toute idéologie qui prétend inscrire les principes d’action dans le registre d’une vérité absolue politique et/ou religieuse et qui suppose le recours à une religion monolithique du peuple et de l’intérêt commun et qui justifierait la répression ouverte ou latente de toute autonomie critique des principes de l’éthique et du droit en interdisant l’examen rationnel de ces prétendues valeurs au regard des effets sociaux réels de violence et de domination qu’elles génèrent, est selon moi, incompatible avec la possibilité d’une démocratie vivante, ouverte, laïque et pluraliste. Mais me direz-vous la liberté et la démocratie ne sont-elles pas des valeurs ? Que dire si vous refusez ce terme ? Je réponds : Ce sont des principes régulateurs, des droits et des pratiques procédurières désirables et réalistes en vue de démilitariser et de désacraliser les conflits dans le contexte des sociétés modernes, pluralistes et sans fondement religieux; ni plus, ni moins et cela suffit.

Ma position relève-t-elle du nihilisme ?
Oui et non : Oui s’il s’agit de nier toute valeur transcendante et absolue qui exigerait un sacrifice de soi en vue d’un au-delà surnaturel du monde et de la vie bienheureux, voire d’un sens de l’histoire qui prétendrait surmonter et supprimer tous les conflits entre les hommes et toutes les contradictions de l’existence;  non  s’il s’agit de ne reconnaître qu’un sens et un usage  immanents au terme de valeur, à savoir, en paraphrasant Spinoza, de considérer que ne vaut que ce qui est raisonnablement désirable, c’est à dire  que ce qui peut nous être utile à nous donner durablement de la joie ici-bas par l’accroissement de notre puissance d’action qui trouve sa source dans la connaissance de ce qui est, ce qui implique de reconnaître que la raison nous conduit, en vue de cet accroissement, à désirer pour les autres ce que nous désirons pour nous-même.
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