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 Les valeurs et la métaphysique en lambeaux comme cadre de l’affrontement entre Heidegger et Nietzsche

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Les valeurs et la métaphysique en lambeaux comme cadre de l’affrontement entre Heidegger et Nietzsche Empty
25022016
مُساهمةLes valeurs et la métaphysique en lambeaux comme cadre de l’affrontement entre Heidegger et Nietzsche

Les valeurs et la métaphysique en lambeaux comme cadre de l’affrontement entre Heidegger et Nietzsche

Le geste philosophique de Heidegger concerne l’ontologie. Il fait une distinction conceptuelle entre le domaine de l’ontique où se déploie l’étant et celui de l’Être. Il reprend l’histoire de la philosophie pour en faire le bilan. Il opère comme le chasseur avec le gibier, sa proie c’est la métaphysique, il la travaille au corps, il tente d’en dépecer le cadavre pour comprendre en quoi elle nous trompe. Il part à la chasse de l’erreur métaphysique. Il est également possible d’utiliser une métaphore moins agreste : Heidegger serait comme l’informaticien qui cherche les “ bugs ” dans l’ensemble des logiciels hérités de l’histoire. Il faut reprendre les programmes un à un pour traquer l’erreur invisible en apparence. Derrière les évidences, Heidegger voit les ratés philosophiques de notre façon de penser l’Être. L'intention de Heidegger pourrait être présentée comme une déconstruction de la métaphysique occidentale afin d'y reformuler une ontologie. L’homme est vu comme le berger de l’Être ou comme la demeure de l’Être. L’homme est concerné par l’Être, par l’éclaircie de l’Être. L’homme est impliqué dans l’histoire de l’Être à partir de la manière dont il assume sa position à partir du rapport à l’Être. Pour Heidegger, l’homme a oublié ce lien, il le gaspille et le sacrifie sur l’autel du confort. Le règne du quantitatif et les objets ont pris le dessus sur toutes les interrogations existentiales et métaphysiques des humains.
L’oubli de l’Être est la base de notre façon de nous penser et de penser le monde. Il ne faut pas se demander “ qu’est-ce que l’Être ? ”, mais se poser la question du sens de l’Être. Au travers du Dasein, nous devons réfléchir et penser la question du rapport à l’Être. Pour y arriver, Heidegger nous propose de passer par la modalité du souci. La recherche de l’authenticité est cruciale. Il propose de se défaire du poids de la raison instrumentale. La technique a arraisonné le langage, la philosophie et toute l’existence humaine. Heidegger refuse l’anthropomorphisme théorique. Il critique la modernité parce qu’elle essaie de combler la place laissée vide par l’oubli de l’Être avec toutes sortes d’objets technologiques. La consommation frénétique ne peut remplacer l’angoisse du souci provoquée par la béance de l’oubli de l’Être, ni répondre à la question du sens.
Avec Heidegger, la philosophie se conçoit elle-même comme une parenthèse ouverte avec Platon et close au XXe siècle, une clôture qui ouvre sur une nouvelle perspective, qui est en même temps retour au plus ancestral : l'écoute de la voix de l'Être pour que l'homme se libère de l'enfermement ontique.
Ainsi la philosophie est plongée dans l'oubli de sa provenance, cette parole de l'Être qui se laisse encore entendre chez les présocratiques. Depuis, elle a été oubliée et livrée à l'étude de l'étant, elle se trouve exposée à céder devant la science, voire à capituler. La science dont le trait qui la caractérise est qu'elle “ ne pense pas ” nous dit Heidegger.
Ce philosophe ne cessera de creuser les questions qu'il pose à toute la philosophie, depuis les présocratiques, sous l'égide de la question de l'Être, et à partir d'une “ nouvelle compréhension de la vérité ”, non plus entendue comme adaequatio (entre réel et esprit, ou, en termes modernes, entre sujet et objet), mais comme alêthéïa (le non-voilé), comme dé-voilement de l'Être, qui se tient en retrait, comme ressource infinie de possibles.
La mise au jour de la vérité de l’Être est propre à chaque époque. C’est ce constat qui structure l’interprétation de Heidegger. Pour lui, le contexte social et historique n’est pertinent que pour ce qui excède l’homme : l’Être.
Le mot de Nietzsche “ Dieu est mort ” explique métaphysiquement les divagations du monde par l’insensé et le nihilisme de la technique, par la subjectivation de la nature et l’oubli de l’Être dont Nietzsche est l’aboutissement avec la volonté de puissance, qui est volonté de la volonté. Heidegger nous signale que la volonté est chose humaine, elle n’est pas une modalité de l’Être. Il veut surmonter les forces mécaniques du marché et du progrès technique qui nous éloignent de l’Être.
Dans le passage extrait du texte “ Le mot de Nietzsche “ Dieu est mort ”, Heidegger montre que la volonté de puissance est toujours active, par définition elle veut toujours se dépasser. Le déploiement de la volonté de puissance, c’est le débordement d’elle-même.
L’éternel retour du même est le mode d’existence de l’étant dans son entier. Il y a deux aspects à prendre en compte : l’essence et l’existence.
La métaphysique a une difficulté avec l’origine et son origine, elle ne pose pas la question de son essentia, l’Être comme séparée de son existentia, l’étant. L’oubli de l’Être est le résultat du dévoilement – voilement de l’Être qui se donne en se voilant. Ce rapport essentiel est à penser. L’exposition de ces deux composantes n’est pas compréhensible immédiatement. Chez Nietzsche nous trouvons deux axes : la volonté de puissance et l’éternel retour du même. La métaphysique pense l’étant comme volonté de puissance. L’étant est devenu la base instituante des valeurs.
La volonté de puissance a pour horizon les valeurs. Chez Nietzsche on trouve un critique de l’autorité des valeurs, la dévalorisation des valeurs anciennes et donc un renversement des valeurs.
La métaphysique dans la modernité s’appuie sur la certitude. Le moment cartésien est fondamental. Descartes reprend Aristote sur la notion de l’hypokeiménon. Au départ cette notion parlait de l’étendue ou de la substance. Avec Descartes, après les romains, nous sommes au niveau du subjectum. La vérité devient recherche de certitude. Celle-ci est basée, chez Descartes, sur l’ego cogito. Le “ je pense ” est présent constamment. L’ego sum devient subjectum. Nous avons alors au niveau conceptuel un déplacement vers le sujet, le sujet humain devient “ conscient de soi ”. La certitude de la conscience permet à la subjectivité d’exister. Il s’agit d’assurer son état et sa constance comme une valeur nécessaire.
Il est possible d’évoquer un autre déplacement vers la subjectivité, qui s’est produit très longtemps avant la modernité cartésienne. Il s’agit du moment stoïcien. En focalisant l’attention humaine sur “ ce qui dépend de soi ”, le stoïcisme a préparé la mise en place de l’intériorité chrétienne. L’individu n’existait pas dans l’antiquité.
La volonté de puissance nietzschéenne justifie la nécessité d’assurer tout étant. Il y a deux modalités de la vérité, la vérité comme adéquation et la vérité vue comme une garantie, comme une certitude. La certitude et la volonté de puissance sont inséparables chez Nietzsche. La vérité comme certitude est devenue une valeur nécessaire. La forme moderne de la vérité c’est la certitude depuis Descartes.
Nietzsche remonte jusqu'à l’essence de la volonté de puissance. La question des valeurs est centrale pour la volonté de puissance. Heidegger pose, lui, la question de la métaphysique et de son histoire. Cette histoire est celle de l’oubli de l’Être puisque la philosophie s’est focalisée sur l’étant.
Chez Nietzsche nous avons deux idées structurantes : la volonté de puissance et l’éternel retour. Ces deux axes sont liés à l’institution des valeurs. L’horizon des valeurs est l’ultime modalité de la métaphysique. Le moment moderne avec Descartes a mis en avant la certitude, ce qui opère un déplacement important vers le sujet. La base de la certitude cartésienne c’est le cogito. La certitude comme base subjective de la vérité permet de fonder l’assurance de tout étant. Le déplacement moderne vers le sujet permet à Nietzsche de mettre en avant les valeurs, il ne reste que cette dimension dans la métaphysique et l’oubli de l’Être est total. La technique parachève le parcours pour Heidegger.
La mise en relation de Nietzsche avec Descartes pour montrer la continuité métaphysique entre ces deux auteurs est surprenante au premier abord. Nietzsche critique la prétention analytique du cogito cartésien, celle à partir de laquelle on prend, de façon trompeuse, un "je pense" comme une causalité du "je suis". Cette démonstration est trompeuse dans sa forme même, c'est, pour Nietzsche, une fausse démonstration. Le "je pense, donc je suis" est bâti sur une prémisse qui est sa condition de validité, prémisse qui reste cachée. Si on présente la formule de Descartes sous l’angle d'un syllogisme, cela donnerait une formulation de ce type :
- ce qui pense est un étant,
- je est pensant,
- donc je est étant.
On constate que cette démonstration est tautologique, pour Nietzsche elle est donc vide. Suite aux divers débats en philosophie, la nécessité de la démonstration n'implique plus la nécessité évidente du démontré. Un terme connote toujours mais ne dénote plus nécessairement. La coupure est radicale et totale entre le signifiant et le statut ontologique du signifié.
Mais Heidegger ne se place pas sur le plan logique, il se situe sur le plan du rapport à l’Être. Le rapprochement entre Descartes et Nietzsche est légitime pour lui, parce que Descartes est une étape dans la voie de la subjectivation de la métaphysique. Le déplacement vers la notion de sujet passe par Descartes.
Pour Nietzsche, il faut abandonner tout principe transcendant sur lequel repose la prétention à la vérité. Ce qui conforte Heidegger dans sa critique de l’oubli de l’Être à l’époque technique. Heidegger nous transmet une virulente critique du “ on ” au quotidien. Nous devenons anonymes et indifférents inclus dans la banalité de la masse. Dans son livre “ Être et temps ”, il recherche le lien entre l’Être et la temporalité de l’étant. L’être-là, le dasein peut utiliser la modalité de l’angoisse, autre nom du souci de l’être pour la mort. Ensuite, Heidegger pensera l’homme toujours comme un étant, mais un étant à part qui peut avoir accès à l’Être. L’homme est un habitant pour qui l’éclaircie de l’Être est un don. Il est en capacité de recueillir la parole de l’origine sous la forme de la poésie, d’où la proposition d’habiter la terre en poète. L’homme peut advenir comme “ poè Être ” s’il daigne se soucier de son essence au travers de son existence. L’origine de l’homme est alors à penser comme un don de l’Être.
Si Nietzsche est interprété comme un penseur métaphysique par Heidegger, c’est parce qu’il théorise ou poétise la volonté de puissance et l’éternel retour du même comme liés à une seule vérité : la justice des valeurs. La philosophie ne peut plus démontrer le fondement transcendantal ou divin, ce que Nietzsche énonce sous une forme très provocatrice : “ Dieu est mort ! ”. Il ne reste que des sujets et donc des points de vue. La relativité est alors maximale et l’oubli de l’Être total, selon Heidegger. L’homme est devenu le seul critère de vérité possible, la pensée est anthropocentrée. Rien n’est pensable au-delà de l’étant humain.
La métaphysique s’est construite sur une interrogation fondamentale : “ qu’est-ce que l’étant ? ”. La philosophie avait alors comme tâche unique de comprendre ou de mettre à jour le principe du déploiement de l’Être. Mais chez Nietzsche, l’essence de l’étant est la volonté de puissance et le mode d’être l’éternel retour. Il faut remonter à l’essence à partir du fondement d’où elle se réalise et s’actualise. La temporalité n’est plus celle de l’être jeté dans l’ex istential, mais celle de l’éternel retour du même. La pensée de l’être fonctionne sur le mode de la constance. Cette présence toujours renouvelée peut être comprise comme une fiction nécessaire à l’activité de la pensée, pour rendre compte de notre permanence. La métaphysique comme pensée a priori rend possible la constance de l’étant. Le parcours heideggerien qui relie Descartes à Nietzsche est construit sur ce type d’analyse. Vue ainsi, l’histoire de la métaphysique est le passage de la pensée de l'Être dans la sphère de la subjectivité. L’a priori étant contenu dans la pensée du sujet humain, les deux axes de la pensée moderne lui donnent corps : la mise en avant de l’objectivité scientifique et de la subjectivité vont de pair. Le pas de deux devient un ballet qui va s’accélérant, plus la chorégraphie humaine va vite, plus dans notre vie l’oubli de l’Être augmente, plus la vision de l’Être est brouillée pour Heidegger.
Descartes contribue à mettre l’homme au centre du monde avec la notion de certitude. Chez Nietzsche les valeurs sont centrales parce que le sujet ne désire que l’augmentation de sa volonté de puissance. L’homme étant l’unique producteur de valeurs, il devient l’unique producteur de l’être.
Heidegger propose à l’inverse un déploiement de la philosophie en tant que le “ se donner ” de l’Être puisse être reconnu comme tel. Il faut être capable de recueillir la donation à l’intérieur de la présence. L’événement n’est plus strictement mondain, il est l’écoute de l’Être.
Après la faillite de la transcendance située à l’extérieur du monde humain, après l’échec de son désir de politique, Heidegger propose une voie qui est une veille, une attente de la manifestation de l’Être. Est-ce une immanence pour autant ? Du point de vue de Heidegger, il est difficile de répondre oui, sauf si cette immanence pouvait inclure l’Être et pas seulement l’étant ontique au sens de la technique moderne. Par définition, l’Être déborde l’étant et est un excès de cette immanence. Il ne s’agit pas ici d’une philosophie de la puissance au sens classique, il s’agit plutôt de la puissance de l’Être qui nous échappe. C’est en ce sens que la recherche de l’authenticité acquiert une valeur fondamentale. Le bruit et la fureur du monde constituent l’obstacle majeur pour atteindre “ la dignité authentique de l’homme ”, le seul véritable humanisme au sens heideggerien du terme.
Heidegger nous propose de nous tenir dans la position du guetteur éveillé. La philosophie est un vaisseau humain qui navigue toutes ouïes ouvertes et attentives sans radar ni satellites. C’est ainsi qu’il pense que nous pouvons assumer ce qui nous dépasse. Nietzsche avait résolu cette question en parlant du “ surhomme ”, qui développe sa vitalité avec la puissance de l’art. Heidegger ne néglige pas l’art, puisqu’il s’appuie sur la poésie comme voie privilégiée pour accéder à l’Être. La valorisation de ce genre artistique passe par les hommages à certains poètes comme Hölderlin. Le souci de l’Être se fait alors esthétique.
Sur les lambeaux de la métaphysique, l’affrontement entre Heidegger et Nietzsche porte sur la question des valeurs. Dans ce dialogue, Heidegger se place du point de vue de la déconstruction. En utilisant cette méthode, nous pouvons nous demander si Heidegger ne fait pas des concessions importantes à Nietzsche. En premier lieu, nous pouvons noter le privilège accordé à la poésie. Il valorise cette forme artistique chez au moins trois poètes : Hölderlin, Paul Celan et René Char. D’autre part, Heidegger évoque l’attente des manifestations de l’Être, attitude qui contient l’idée d’un retour possible. L’homme ne peut pas exprimer la parole de l’Être de sa propre initiative. Sans le retour de la voix de l’Être, l’homme ne peut rien. Le thème du retour est également très nietzschéen.
Si l'œuvre poétique est porteuse d'une philosophie de l’Être, c'est également la philosophie qui est appelée à prendre une forme artistique, poétique en l’occurrence, pour Heidegger. Le dialogue et le corps à corps avec Nietzsche ne signifient donc pas la mise à mort de Nietzsche, mais bien son absorption et sa réinterprétation dans la pensée de l’Être.
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