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 Les habits neufs de la politique mondiale »,  Empty
25022016
مُساهمة Les habits neufs de la politique mondiale »,

Wendy Brown, 
« Les habits neufs de la politique mondiale », 
« Néolibéralisme et néo-conservatisme », 
Editions Les Prairies Ordinaires, Collection « Penser/croiser », 
Diffusion Les Belles Lettres, Paris, Novembre 2007, 140 pages, 12 Euros. 
Note de lecture : Philippe Coutant

Pour Wendy Brown, le capitalisme est entré dans une nouvelle période. Elle analyse la réalité à partir de l’expérience des USA. Cette nouvelle étape se caractérise par une dé-démocratisation par la rationalité politique néolibérale. C'est-à-dire que jusqu’à maintenant, il existait une tension entre la rationalité politique démocratique et la rationalité économique non démocratique. Cet écart permettait des limitations au règne du tout économique. Aujourd’hui, il s’agit, pour les néo-conservateurs, d’évacuer cette tension, de supprimer cet écart. Son analyse est valable pour les USA, mais l’arrivée de Sarkozy au pouvoir est typique de cette nouvelle donne, me semble-t-il.
Il s’agit d’une vision totalisante, qui concerne le domaine politique, le social, la sphère économique et l’intime. Elle essaie d’analyser la manière dont le néolibéralisme déploie ses efforts pour organiser tous les aspects de la vie. On peut retrouver ici la notion de biopolitique, la politique qui prend toute la vie. Wendy Brown s’appuie sur l’analyse de la gouvernementalité proposée par Michel Foucault. Elle n’emploie pas le terme « biopolitique », mais celui d’une nouvelle gouvernementalité. La voie néolibérale anti-démocratique essaie de façonner l’individu néolibéral, les institutions, la société et bien sûr l’économie. Ceci a des effets durables et profonds sur l’articulation de la citoyenneté, du social, de l’Etat. Le discours politique dans son ensemble est touché. Le néolibéralisme est beaucoup plus large qu’une simple politique économique. Ce sont des ordres discursifs : des modèles de pensée, un modèle de gouvernance, une culture politique diffusée partout, et une efficacité pratique. L’objectif est clair, c’est une mise à mal de la démocratie, il faut vider de tout contenu le gouvernement par le peuple.
Le mot « libéralisme » pose un problème de définition. Wendy Brown admet la difficulté, pour ma part je préfère celui de capitalisme. Elle emploie ce terme parce que c’est celui employé par les opposants/es au système et qu’elle pense que nous n’en n’avons pas d’autre. Elle insiste sur cette nouvelle rationalité, le libéralisme veut à la fois définir le sujet citoyen et pousser au développement des pratiques impérialistes. C’est une sorte de continuum de l’individu au monde entier ou du monde à l’individu, selon d’où l’on part. Cette gouvernementalité :
« … consiste plutôt dans l’extension et la dissémination des valeurs du marché à la politique sociale et à toutes les institutions… » Page 50
La politique et toute la société sont soumises à cette rationalité politique. Tous les domaines de la vie sont modelés ou doivent l’être par la seule rationalité marchande. Tout doit obéir à des considérations d’efficacité et de rentabilité. Toute action est vue sous l’angle d’une entreprise, donc sur la base du calcul d’utilité, de l’évaluation, de l’intérêt et de la satisfaction. Une grille micro économique présentée comme « neutre » touche tous les domaines, qui, à terme, sont ou seront soumis à la logique marchande. C’est une position normative, un projet constructiviste qui ne s’occupe pas d’ontologie (théorie de l’être). L’intervention institutionnelle est là pour orchestrer l’ensemble, ce n’est pas un laisser faire, comme les versions antérieures du libéralisme.
La question de la légitimité est posée. Qu’est-ce qui fonde l’État ? Soutenir et nourrir le marché et garantir l’activité économique, c’est cela le rôle de l’État, selon cette approche. Le bien public n’est plus à l’ordre du jour. Nous sommes donc plongés/ées dans un calcul généralisé des coûts. L’État doit devenir un acteur du marché, son rôle n’est pas lié à la régulation, c’est la seule croissance qui fonde la légitimité de l’État.
D’autre part, cette rationalité politique contient une prescription comportementale pour les sujets citoyens. La seule morale possible, c’est le sens des affaires, le calcul basé sur les coûts et les bénéfices. Il n’y a pas de place pour les préoccupations vis-à-vis du bien commun. Le consumérisme généralisé est la règle, y compris dans les relations humaines, la gestion de son capital santé, par exemple. C’est aussi valable pour les relations amicales ou amoureuses.
Cette nouvelle rationalité politique propose une pleine responsabilité individuelle. S’il existe des fautes, elles sont dues à des erreurs de jugement. L’acte en lui-même n’est pas en cause, la bienveillance pour les maltraitances est donc normale. Il n’y a pas d’acte condamnable a priori.
Tout doit être envisagé sous l’angle de coûts faibles et d’une productivité élevée. Les privatisations, ce ne sont pas des démantèlements, mais un mode de gouvernement en phase avec la bonne gestion néolibérale. La politique sociale est réduite le plus possible, elle coûte cher et ne rapporte pas grand-chose. La rationalisation est toujours rapportée au modèle de la rationalité économique. Il n’y a pas de sens, pas de morale, pas de foi, pas d’héroïsme, pas de grand destin, au mieux c’est une rhétorique de façade, une moralisation de surface.
Il n’existe plus d’indépendance des institutions, mais une intégration discursive et pratique dans l’ensemble mercantile mondial. C’est pour cette raison que Wendy Brown parle d’une dé-démocratisation, d’une liquidation de la démocratie. Jacques Rancière a intitulé un de ses derniers livres « La haine de la démocratie », il s’agit de la même chose ici. (1)
En France, la politique de Sarkozy participe de cela. Le néolibéralisme est l’ensemble des techniques de contrôle d’autrui et de soi par un accroissement officiel de la liberté plutôt que par une diminution de la liberté. La liberté étant réduite à l’acte de choisir, comme au supermarché. Le passage aux postes de dirigeants des hommes de lois aux hommes d’affaires est significatif de cette logique : Sarkozy était avocat d’affaires, Berlusconi est toujours un homme d’affaire, la famille Bush est liée aux multinationales, G W Bush était dans le pétrole, Ben Laden et sa famille sont eux aussi dans les affaires, parfois les mêmes que celles de la famille Bush, notamment dans le pétrole en Amérique latine.
Les individus sont donc encouragés à être des calculateurs, à tout baser sur l’intérêt. Si tout est centré sur l’individu, c’est sur le modèle du client et de l’entrepreneur. Cela est valable y compris pour la vie privée, il faut gérer ! En outre, la sécurité devient une question individuelle, il faut se protéger comme il convient. Le pauvre, le déviant peuvent être une menace, le souci de l’autre n’est plus nécessaire. Il n’y a pas d’exclusion, mais des places différentes. À chacun ou chacune d’œuvrer pour réussir.
Le renforcement de l’État et de son autorité va de pair avec la dépolitisation individuelle : isolement, amoralité, cynisme, etc. En cas de difficultés, on demande de l’aide à des procédures ou à des produits : drogues, médicaments, prothèses, rééducation comportementale, etc. La solidarité collective est souvent remplacée par du « non humain ». Etre dans le coup, c’est être connecté/e au réseau seul/e devant son ordinateur, pas d’avoir une vie sociale épanouie.
Le désintérêt pour le bien commun est conjoint d’une vison du collectif comme étant le résultat de la somme des enrichissements personnels. La mise en avant du chef est normale : « Il est fort ! ». La quête de spiritualité peut rencontrer le syncrétisme new age, entre autres. Cela peut se faire selon la forme marchande, c’est même encouragé. Par exemple, cela se déploie fréquemment sous la forme des diverses modalités du « développement personnel » ou du « coaching ». (2) Dans ce cadre, rencontrer des sectes comme la scientologie n’est pas un problème. Pour cette façon de voir le monde, ce qui compte, c'est l’efficacité, le rapport qualité/prix, le reste on s’en tape !
La crispation conservatrice est donc assez générale. Nous l’avons constaté en France en Mai 2007 avec le vote sécuritaire.
Que faire face à ce déferlement ? Wendy Brown propose de développer une autre rationalité des êtres humains, une représentation différente pour la vie économique et pour la politique contre l’aspect mortifère de cette nouvelle logique.
Une nouvelle rationalité anti-capitaliste demande une mutation mentale. Il faut faire le deuil de la conception du pouvoir comme souveraineté, puisqu’il s’agit d’agencements, de dispositifs indépendants des personnes. Il faut oublier, pour l’instant, la notion de rupture politique. Il est nécessaire de faire le deuil du marxisme, le deuil de la critique existentielle et politique du capitalisme, selon cette auteure.
Il est possible d’appuyer sur les contradictions inhérentes au système :
- Il n’y a pas de frontières pour la circulation de la monnaie, des marchandises et du spectacle, mais dans le même temps il y a bien un appui conservateur sur la fermeture des frontières avec un repli identitaire, du patriotisme, une religion eurocentrée et des valeurs très occidentales.
- La base sociale de cette nouvelle politique est celle des retraités/ées, celle des professions indépendantes et d’une partie du peuple d’en bas assez populiste. Toutes ces catégories rejettent les classes supérieures, qui sont les agents réels du capitalisme actuel. Sur ce point, j’émettrai une réserve, cette base sociale peut être celle de l’extrême droite, elle demande du sécuritaire pas l’autogestion. L’Europe forteresse, elle est pour.
- Il faut renforcer l’État et transformer l’État avec les valeurs de l’entreprise : profit, efficacité, etc. Quid du bien commun, de l’utilité publique des institutions, de la volonté générale, de l’idée même du collectif ? Où est passée la référence à l’humain ? Pourquoi ça fonctionne comme ça ? Ici la difficulté c’est que ces questions puissent s’articuler à un rapport conséquent. Wendy Brown reste sur le terrain théorique.
Elle pense que l’enjeu c’est la définition même de la gauche. Il s’agit de penser et de proposer une nouvelle philosophie politique, qui intègre ces mutations. Il faut partir des offres néolibérales pour les sortir de leurs gonds. Si j’ai bien compris, il faut accentuer les contradictions pour, comme au judo, faucher notre adversaire en utilisant sa force pour le faire tomber.
Il est possible de partir de la liberté, qui existe, même si elle est minime, pour intensifier les usages et construire un projet théorique, politique et humain. On peut voir cela comme une nouvelle biopolitique, qui nous permettrait de définir ce qu’est l’autogestion dans cette nouvelle époque, que je considère être le capitalisme postmoderne.
L’analyse proposée par Wendy Brown correspond bien à ce que nous vivons en France en ce moment. Quand on entend les mots « réforme » et « rationalisation », il s’agit bien d’appliquer le fonctionnement des entreprises, de chercher la rentabilité hors de toutes autres considérations. La gauche est disqualifiée, c’est exact. Les protestations citoyennes semblent de plus en plus inutiles et hors de propos, c’est vrai. Les anciens modèles ne fonctionnent plus, c’est indéniable. Construire un nouveau projet, qui tienne compte des humains, c’est le but de l’autogestion, me semble-t-il. Il faut réinventer et expérimenter l’autogestion parce que la société a changé, parce que le capitalisme a évolué. Je suis d’accord ! Il faut attaquer le capitalisme sur le fond pour montrer l’amplitude de ses contradictions et le fait qu’elles sont sans issues, si on reste dans le cadre de capitalisme. Effectivement, c’est ce que nous devons faire pour avoir une chance que nos questions soient entendues.
Je pense que nous devons prendre conscience de cette nouveauté : le capitalisme postmoderne n’a pas besoin des sujets. La subjectivité humaine ne l’intéresse que s’il peut l’annexer pour le travail et la consommation, le reste n’existe pas. Ce qui compte c’est qu’on soit solvable ou pas. Le sens de la vie, la planète en danger, les émeutes de la faim, le capitalisme s’en fout ! C’est pour cela que Gunther Anders parlait de l’obsolescence de l’homme. Maintenant à nous d’innover, de nous faire entendre et de mettre en œuvre d’autres valeurs dans notre autogestion, tout en construisant un solide rapport de force.
Philippe Coutant CNT 44, Nantes le 18 Avril 2008
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