Edgar Morin et la complexité Dés le premier tome de La méthode, paru en 1977, Edgar Morin a introduit les idées d'ordre, de désordre et de complexité. Il en a fait des notions très générales, pouvant être appliquées à l'ensemble de la réalité. JUIGNET Patrick. Edgar Morin et la complexité. Philosophie, science et société. 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com Ordre et désordre
Selon Edgar Morin, pour comprendre le monde, il faut associer les principes antagonistes d’ordre et de désordre, en y adjoignant celui d'organisation. Reprenant les idées de W. Weaver, Morin oppose la complexité désorganisée et la complexité organisée. L'idée de complexité désorganisée vient du deuxième principe de la thermodynamique et à ses conséquences (entropie toujours croissante). La complexité organisée, elle, signifie que les systèmes sont eux-mêmes complexes, parce que leur organisation suppose ou produit de la complexité. Il y aurait une relation entre la complexité désorganisée et la complexité organisée.
L'auto-organisation
Le mot d’auto-organisation a été utilisé dès la fin des années 1950 par des mathématiciens, des ingénieurs, des cybernéticiens et des neurologues. La complexité, n’avait pas été perçue de manière nette en biologie, et c’est un biologiste français, Henri Atlan , qui a repris cette idée dans les années 1970 que l'on doit sa mise en exergue. Enfin l'idée a resurgi dans les années 1980-90 à Santa Fe (Californie), présentée à ce moment comme une idée nouvelle.
Edgar Morin nomme "auto-éco-organisation" le fait que l’auto-organisation dépende de son environnement, car elle y puise de l’énergie et de l’information. En effet, comme elle constitue une organisation qui travaille à s’auto-entretenir, elle dégrade de l’énergie par son travail, donc doit puiser de l’énergie dans son environnement. (c'est la thèse soutenue aussi par Von Bertalanffy).
Conséquence épistémologique de la complexité, les sciences doivent devenir pluridisciplinaires, voire transdisciplinaires. "Tôt ou tard, cela arrivera en biologie, à partir du moment où s’y implantera l’idée d’auto-organisation ; cela devrait arriver dans les Sciences humaines, bien qu’elles soient extrêmement résistantes", dit Edgar Morin.
La complexité générale
« Nous sommes encore aveugles au problème de la complexité. Les disputes épistémologiques entre Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, etc., la passent sous silence. Or cet aveuglement fait partie de notre barbarie. Il nous fait comprendre que nous sommes toujours dans l’ère barbare des idées. Nous sommes toujours dans la préhistoire de l’esprit humain. Seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance. » ( E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Editions du Seuil, 2005, p. 24 )
Qu’est-ce que la complexité « généralisée » ? Pour Morin, ce serait un paradigme qui imposerait de conjoindre un principe de distinction et un principe de conjonction. La complexité demande que l’on essaie de comprendre les relations entre le tout et les parties. Mais, la connaissance des parties ne suffit pas et la connaissance du tout en tant que tout ne suffit pas ; on est donc amené à faire un va et vient en boucle pour réunir la connaissance du tout et celle des parties. Ainsi, au principe de réduction, on substitue un principe qui conçoit la relation d’implication mutuelle tout-parties.
"Au principe de la disjonction, de la séparation (entre les objets, entre les disciplines, entre les notions, entre le sujet et l’objet de la connaissance), on devrait substituer un principe qui maintienne la distinction, mais qui essaie d’établir la relation".
"Au principe du déterminisme généralisé, on devrait substituer un principe qui conçoit une relation entre l’ordre, le désordre et l’organisation. Étant bien entendu que l’ordre ne signifie pas seulement les lois, mais aussi les stabilités, les régularités, les cycles organisateurs, et que le désordre n’est pas seulement la dispersion, la désintégration, ce peut être aussi le tamponnement, les collisions, les irrégularités".
Pour Morin, nous avons appris par notre éducation à séparer et notre aptitude à relier est sous-développée. Connaître étant à la fois séparer et relier, nous devons maintenant faire un effort pour lier, relier, conjuguer, car ceci est nécessaire dans tous les domaines.
Notre avis
Si nous partageons un bon nombre d'idées avancée par Edgar Morin, nous somme réticent par rapport à son ambition généralisatrice. Par exemple, Edgar Morin déplore que certains rejettent la complexité générale. Selon lui, ils la rejettent parce qu’ils n’ont "pas fait la révolution épistémologique et paradigmatique à laquelle oblige la complexité".
Dans le développement du thème de la complexité générale, il y a une extension qui est incertaine. En effet, on ne peut pas savoir si la complexité généralisée concerne tous les champs auxquels nous participons "en tant qu’être humain, individu, personne, et citoyen". Si par hasard, la problématique de la complexité devenait à la mode et envahissait tous nos horizons, dans ce cas, elle sera si générale qu'elle n'aurait plus beaucoup d'intérêt. La complexité est un concept philosophique et scientifique d'un usage limité.
Bibliographie
Morin E., La méthode 1, La nature de la nature, Paris, Le Seuil, 1977.
Morin E., La méthode 4, Les idées , Paris, Le Seuil, 1991.
Morin E., La Méthode 5, Humanité de l’humanité, , Paris, Le Seuil, 1995.
Morin , Introduction à la pensée complexe, Paris, Editions du Seuil, 2005
Webographie
Morin E., "Complexité restreinte et complexité générale", Colloque Cerisy 2005, sur le site http://www.mcxapc.org/docs/conseilscient/1003morin.pdf