[size=32]Les psychologies réductionnistes[/size]
Juignet Patrick, Psychisme, 2011
Le réductionnisme a, dans la psychologie, des effets néfastes. Le réductionnisme, veut ramener les niveaux d’existence complexes à des niveaux simples, considérant qu’ils sont ontologiquement supérieurs et que le type de connaissance y afférent est plus valide. C’est dans la psychologie où ses effets sont, de nos jours, les plus évidents. Il se manifeste dans diverses tendances, assez différentes les unes des autres, que nous allons voir successivement.
PLAN DE L'ARTICLE
1/ Unité et diversité des doctrines
Nous allons décrire de manière synthétique les différentes tendances réductionnistes en psychologie,en détaillant leurs principes ontologiques, gnoséologiques et méthodologiques. Pour ce faire, nous avons unifié les tendances doctrinaires en quatre groupes, l’expérimentalisme, le comportementalisme, le biologisme, le computationnisme.
Pour éviter les malentendus, nous allons d'emblée nuancer nos propos. Toutes les tendances réductrices ne se rencontrent pas en même temps et, un même auteur, peut adopter certaines options et en récuser d’autres. Enfin un réductionnisme modéré peut être utile. Donnons des exemples.
Le choix gnoséologique computationniste ne s’accompagne pas d’expérimentalisme réducteur, car il est plutôt appuyé sur la théorie. Les cognitivistes dénoncent le behaviorisme. L’expérimentalisme en psychologie se lie volontiers avec le réductionnisme biologique dans la tendance neurocomportementale, mais pas toujours.
Henri Piéron, par exemple, fervent partisan de l’expérimentalisme en psychologie, lutte contre le réductionnisme, car il défend l’autonomie du psychologique. Wilhem Wundt (Principes de psychologie physiologique, 1874) et William James (Principles of psychologie, 1890), fondateurs de la psychophysiologie ne sont pas réductionnistes et défendent l’idée d’une « causalité psychique ».
Nous n’avons pas insisté sur les auteurs, qui peuvent avoir individuellement une pensée nuancée. Il ne s’agit pas ici de faire une histoire des idées, et encore moins de tracer des biographies, mais de cerner des tendances doctrinales qui dogmatisées sans nuance deviennent nocives et, prisent toutes ensemble, participent de l'idée d'une possible mécanisation de l'homme.
2/ L’expérimentalisme
Wilhelm Wundt, est regardé par beaucoup comme le fondateur de la psychologie expérimentale. C’est lui qui crée, en 1879, le premier laboratoire de psychologie à Leipzig avec l'intention de doter la psychologie d'une pratique expérimentale. Peu après, cette discipline se répand en Europe et le courant immédiatement se diversifie en fonction des inspirations des auteurs. Les laboratoires de psychologie expérimentale vont se multiplier dans les grandes villes. Dès la fin du siècle, un réseau universitaire de professeurs, chercheurs et techniciens, est mis en place.
Gustav Theodor Fechner, médecin, professeur de physique, à un moment donné de sa carrière, se tourne vers l'enseignement de la philosophie et de la psychologie. Il se préoccupe des rapports de l'âme et du corps, cherchant à introduire la notion de quantification et trouve en 1860 la loi psychophysique fondamentale selon laquelle la sensation croît comme le logarithme de l'excitation. Certains de ses successeurs iront, comme le très connu Wilhelm Ostwald, dans le sens d’un réductionnisme psychophysique accentué. En France, c’est le philosophe Théodule Ribot qui déclenche le mouvement expérimentaliste. Il pense qu’avec la psychologie expérimentale, une nouvelle discipline scientifique est née.
Pour ses partisans, l’expérimentation présente de nombreux avantages, car, même modeste, elle « en apprend plus qu’un volume de spéculations ». Surtout, elle permet de laisser de côté la métaphysique et tous les problèmes insolubles. Cette orientation sera défendue par Alfred Binet et Henri Piéron. Le premier développera l’étude de l’intelligence ce qui aboutira à la fameuse « échelle métrique d’intelligence » (1903) et le second organisera l’enseignement universitaire de la psychologie expérimentale. Nous reviendrons plus tard sur les autres développements, en particulier béhavioristes.
Donnons un exemple de l’abord expérimental au sujet des perceptions visuelles et sensitives étudiées par Henri Pierron. Ce dernier écrit « On arrive à faire fonctionner, artificiellement, des processus élémentaires, non sans difficulté, car la solidarité organique vaut toujours…Mais grâce à un isolement relatif, on peut suivre la relation de deux variables, la stimulation et la réponse, et obtenir ainsi des lois, les lois de la sensation » il y faut un « effort scientifique d’analyse visant à isoler des fonctions élémentaires dans le complexus des réactions normales de l’organisme » (Psychologie expérimentale, Paris, Armand Colin, 1939).
Tout est dit du procédé : analyse conduisant à la recherche de l’élémentaire, ramené à des variables dans une situation artificielle, anormale. Est dit aussi ce qui est exclu : la complexité, la solidarité, les situations ordinaires. On voit se dessiner les limites assez étroites du champ d’investigation.
Dans son fondement, la psychologie expérimentale n’est pas nécessairement réductionniste, elle cherche avant tout à amener des critères de scientificité. Ce fondement est défini ainsi par Paul Guillaume (Manuel de psychologie, Paris, PUF, 1966) : Il s’agit, « à l’exemple des sciences de la nature, de décrire des faits et de déterminer leurs conditions, c'est-à-dire d’autres faits dont l’observation montre le rapport constant avec les premières ; en d’autres termes on se propose d’établir des lois ».
En principe, les expérimentations sont irréprochables sur le plan de la scientificité. Mais en pratique, elles sont réductionnistes, car les faits considérés, pour rentrer dans le cadre défini, sont réduits à leur minimum. Ce sont des faits directement observables, suffisamment simplifiés pour être quantifiés, ce qui élimine les faits qui ne s’y prêtent pas et réduit considérablement le champ d’investigation.
La psychologie expérimentale a eu une visée expansionniste en psychologie. Elle ne se contente pas d’asseoir la psychologie humaine sur des données expérimentales, mais a l’ambition de rendre la psychologie toute entière expérimentale. Elle tente d’éliminer l’approche clinique considérée comme non scientifique. Elle est actuellement en forte régression et il semble que l'expérimentation retrouve la place qui lui convient celui d'un moyen d'étude.
الجمعة فبراير 19, 2016 9:22 am من طرف سوسية