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19022016
مُساهمةPage 1 sur 3 Claude Lévi-Strauss et la fonction symbolique

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Claude Lévi-Strauss et la fonction symbolique
 
JUIGNET Patrick. Claude Lévi-Strauss et la fonction symbolique. Philosophie, science et société. 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com
 
Pour Claude Lévi-Strauss, les structures mises en évidence par l’étude des faits socioculturels permettent de comprendre « l’esprit humain ». Elles sont le produit d’une "fonction symbolique" commune à tous les hommes. Qu'est-ce que la fonction symbolique ? Peut-on reprendre ce concept ? 
 


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PLAN
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  • 1/ Le référent de la recherche
  • 2/ La fonction structurante de l’esprit humain 
  • 3/ Une critique possible
  • 4/ Reprendre les acquis de Claude Lévi-Strauss
  • 5/ Conclusion





 

1/ Le référent de la recherche lévistraussienne

Toute recherche d’inspiration scientifique débute par la désignation d’un référent. Nous nommons ainsi l'aspect de la réalité qu’elle désigne de manière inaugurale et la manière dont elle va s’y intéresser. Ce référent est constitué à la fois par un aspect de la réalité (des faits) mais aussi par la manière de l’aborder. Nous allons étudier ici l’un des référents majeur de la recherche de Lévi-Strauss (sans prétendre qu’il soit le seul évidemment) qu’il nomme la "fonction symbolique". Lévi-Strauss s’intéresse à l’homme en général, mais plus précisément à ce qui fait sa spécificité, c'est-à-dire à son fonctionnement intellectuel vu sous l’angle d’une fonction symbolique fondamentale, d’une capacité mentale de base. Cette fonction serait commune à tous les hommes et constante dans le temps et l’espace géographique ; ce serait une caractéristique de l’esprit humain. Cette visée est présente du début à la fin de ses travaux. Voyons en quelques expressions.
 En 1949 on peut lire : « Chaque enfant apporte en naissant, et sous forme de structures mentales ébauchées, l’intégralité des moyens dont l’humanité dispose de toute éternité pour définir ses relations au Monde et ses relations à Autrui » (Les structures élémentaires de la parenté, Paris et La Haye, Mouton, p. 108). On trouve une autre formulation de cette idée, en 1952, dite à la conférence de Blumington : « Culture et langue sont deux modalités d’une activité fondamentale de l’esprit humain, … dont une science, … l’anthropologie entendue au sens le plus large, nous révélera un jour les secrets » (citation de mémoire). Dans un entretien avec Raymond Bellour, en 1967, on retrouve cette même visée : « Dans tout ce que j’ai essayé de faire, j’ai essayé de comprendre comment fonctionne l’esprit des hommes » (citation de mémoire). Ce sera réaffirmé en 1971 : Je cherche à « dégager certains modes d’opération de l’esprit humain, si constants au cours des siècles et si généralement répandus, qu’on peut les tenir pour fondamentaux » (L’homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 571).
Malgré quelques variations dans les énoncés, la signification est toujours identique. Il s’agit de montrer et d’expliciter une fonction intellectuelle, une capacité cognitive universelle, qui serait caractéristique de l’humanité et qui générerait la culture au-delà des particularismes locaux (en particulier Lévi-Strauss ne prend pas la culture occidentale pour référence). Cet aspect est désigné de noms divers tels que « l’esprit humain » ou « la structure symbolique » ou « la fonction symbolique ».
Un référent implique de trouver une méthode, une manière de l’aborder. Lévi-Strauss conduit sa recherche d’une manière très particulière. Il ne vise pas directement la fonction de l’esprit humain qui l’intéresse, il l’aborde au travers de ses produits socioculturels et en passant principalement (mais pas seulement) par l’ethnographie. Il s’agit de retrouver une structuration identique et donc commune à ces différentes manifestations qui vont de la parenté à l’art, en passant par les mythes, la musique, ou encore les classifications botaniques. Cette structuration cachée dans la diversité et l’hétérogénéité du manifeste est par hypothèse la marque de l’esprit qui les a forgées.
Dans cette veine, l’auteur écrit en 1955 : « L’ensemble des coutumes d’un peuple est toujours marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n’existent pas en nombre illimité, et que les sociétés humaines, comme les individus dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu’il serait possible de reconstituer » (Tristes tropiques, p. 183).
Cette méthode structurale, qui concerne l’homme, est aussi une manière de voir le monde en général. Repérant un ordre dans la réalité, (des régularités, des discontinuités, des symétries), l’idée vient d’en chercher l’intelligibilité d’en déduire l’organisation, la structure. Les conduites humaines surtout collectives, les productions culturelles, les formes d’organisation sociale, les manifestations culturelles, derrière leur diversité et leur chatoiement esthétique, manifestent un ordre dont il convient de rendre compte. Pour Lévi-Strauss, cet ordre n’est pas auto engendré, il est la marque de l’esprit humain.

2/ La fonction structurante de l’esprit humain

Un fonctionnement cognitif

L’ordre repérable dans les diverses activités humaines n’est pas intrinsèque, auto-généré, il est la marque de l’esprit humain. Pour Lévi-Strauss, le terme d’esprit n’a aucune signification idéaliste. C’est le  « terme par lequel nous désignons une fonction » dit-il, fonction qui génère des structures (voir après la discussion). Il s’agit uniquement d’une fonction intellectuelle, une capacité cognitive ou logique. Qu’il y ait de nombreuses fonctions intellectuelles, Lévi-Strauss ne le conteste pas, mais sa recherche porte sur un fonctionnement fondamental et central. Il n’entre pas dans le détail de telle ou telle capacité car son objectif n’est pas du tout une psychologie cognitive. 
Par rapport à la réalité factuelle concrètement descriptible des pratiques et des produits socioculturels, la structure est l’armature invisible qui la génère et la soutient. Elle existe parce que la fonction symbolique, en œuvrant, produit de l’ordre qui organise le monde humain et fonde la culture. Pour l’auteur un même fonctionnement est à l’œuvre derrière ces divers phénomènes humains. (Lévi-Strauss C., Anthropologie Structurale, Paris, Plon, 1958, p. 117 et 224. Nous avons là une autre hypothèse fondatrice du référent lévistraussien, celle d’un rapport de genèse de l’un à l’autre.
Il cherche quelque chose de général, c'est-à-dire s’appliquant à toutes sortes de données en de nombreuses circonstances et possédé par tous les hommes. Pour cela, il fait l’hypothèse d’une fonction universelle de structuration qui organise les matériaux dont elle s’empare, c'est-à-dire toutes les formes de représentations, et qui dirige les actes relationnels ou créatifs et donc la sociabilité. Cette fonction est inconsciente ou plutôt pas nécessairement consciente.
Pour Philippe Descola, c’est « dans la nature de l’homme, dans des schèmes formels et universels profondément inscrits dans son esprit, mais pas toujours consciemment appréhendés, que réside le fondement des institutions matrimoniales et, plus largement, de la culture elle-même, dont la prohibition de l’inceste marque l’émergence. (La lettre du Collège de France, hors série, 2008, p.4).

Ce fonctionnement est inconscient

On trouve l’expression d’un rapprochement avec l’inconscient en 1958. Les structures, dit l’auteur, ne sont pas conscientes et donc forment l’inconscient (Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 224). C’est une nouvelle version de l’inconscient qui voit le jour : « l’inconscient cesse d’être l’ineffable refuge des particularités individuelles, le dépositaire d’une histoire unique, … il se réduit … à la fonction symbolique » ( Ibid , p. 224), commune à tous les hommes.
L’aspect inconscient vient de ce que la finalité imposée par le fonctionnement de l’esprit échappe aux protagonistes. Prenons l’exemple du mythe. D’un point de vue pratique, cela veut dire que la structure d’un mythe, n’est pas connue des divulgateurs du mythe. Il veut indiquer par là que les utilisateurs n’ont pas connaissance de la forme logique contenue dans les mythes. Cette méconnaissance est-elle un trait spécifique des processus culturels collectifs ou est-ce une caractéristique de l’esprit humain lui-même ? Lévi-Strauss penche en faveur de la seconde hypothèse.
Vers 1958 Lévi-Strauss étend même à l’affectif la fonction structurante. Elle « se borne à imposer des lois […] à des éléments inarticulés qui proviennent d'ailleurs : pulsions, émotions, représentations, souvenirs » (Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 232, 233). Pourtant il se méfie de l’affectif, notion qu’il juge vague et incertaine. Il se place plutôt du côté d’Auguste Comte : Soit on est dans le biologique (émotionnel), soit on est dans l’intellectuel (et donc le social). Bien que s’inspirant de la méthode psychanalytique, il est, dans l’ensemble, très éloigné de ce dont elle s’occupe : le pulsionnel, l’histoire individuelle, et leur retentissement affectif. Son référent n’est pas là.

Ce fonctionnement fait lien

Lucien Scubla fait la remarque suivante : « si les "lois structurales" mises en œuvre par l'inconscient sont universelles, celui-ci n'est pas seulement le principe organisateur de la subjectivité individuelle, c'est en même temps un « terme médiateur entre moi et autrui », et donc un opérateur synthétique propre à engendrer le lien social » (La revue du Mauss).
C’est à peu près ce que pense Lévi-Strauss. Cette structuration fondamentale sert de médiation entre les hommes et constitue ce qui fait société. Le fonctionnement inconscient de l’esprit vu sous ce jour de l’ordre symbolique est un terme médiateur entre soi et autrui car il est la condition de la vie mentale « de tous les hommes et de tous les temps ». Il concerne donc autant la vie inter individuelle que la constitution de la communauté.
L’échange et la réciprocité, qui sont régis par la fonction symbolique, font société dit Lévi-Strauss.




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