Page 1 sur 2
La psychopathologie est-elle une science ?
La psychopathologie est-elle une science ? Sinon, peut-elle le devenir ? C’est, à notre avis, possible et souhaitable, mais il faudrait pour cela une volonté commune qui pour l’instant n’est pas acquise.
[size]
JUIGNET Patrick. La psychopathologie est-elle une science ? Philosophie, science et société, 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com [/size]
[size]
PLAN1/ Une définition de la psychopathologie2/ La méthode est spéciale3/ Le paradigme est spécifique4/ Conclusion : un objet et une méthode[/size]
[size]
1/ Une définition de la psychopathologie
[/size]
Pour répondre à cette question de la scientificité, nous allons d'abord proposer une définition de la psychopathologie comme une connaissance qui décrit et explique théoriquement les manifestations du psychisme ainsi que leurs formes pathologiques. Elle comporte deux pratiques : l’une à vocation descriptive (la clinique) et l’autre à vocation thérapeutique (la psychothérapie) dont les résultats ont valeur de vérification et de réfutation de la théorie. À partir de cette définition, on voit qu'elle possède un objet et une méthode, ce qui en fait une connaissance à vocation scientifique. Mais vocation ne dit pas toujours réalisation.
La psychopathologie ne répond pas et ne répondra jamais à certains critères communément attribués aux sciences traditionnelles, comme la méthode expérimentale et la réfutabilité de Karl Popper. Ces critères sont trop restrictifs pour une connaissance dont les variables sont très nombreuses, pas toutes accessibles, et dans laquelle le chercheur est mêlé à l’objet de la recherche puis qu'il a lui même un psychisme qui est difficile de mettre entre parenthèses. Nous ne partageons nullement les affirmations provocatrices de Feyerabend (1975) pour qui « tout est bon » en matière de méthode scientifique, mais nous adhérons à l’idée selon laquelle la scientificité ne dépend pas d’une seule méthode. Les seules conditions communes à toutes les sciences sont la rationalité, qui permet un raisonnement et une communication universelle, et la confrontation à un référent dans la réalité via une pratique. À partir de là, différentes voies sont possibles. Essayons de voir celle qui caractérise la psychopathologie en énonçant les principes épistémologiques qu’il serait souhaitable de suivre pour l’orienter vers la scientificité.
[size]
2/ La méthode est spéciale
Quatre procédés semblent utiles en psychopathologie. Nous allons les détailler successivement.
1. Se distancier du réalisme spontané (la relativisation)
[/size]
Le réalisme empirique prend appui sur le développement spontané de l’expérience, comme on l’a vu dans la psychogenèse. Cette croyance en une réalité extérieure indépendante est ancrée au plus profond de nous. Elle est indispensable et impossible à défaire. On ne peut donc que l’admettre. La connaissance empirique concernant l’homme se fait sur la base commune du réalisme spontané. Mais il est trompeur et ne permet pas une connaissance scientifique. De ce fait, la plus importante des procédures dans les sciences est la relativisation qui consiste à rapporter la réalité à l’expérience qui la fait percevoir. La relativisation de la réalité est absolument nécessaire en psychopathologie, compte tenu du caractère particulier des phénomènes humains. Tous les faits cliniques sont relatifs à l’expérience du praticien et il est impossible de le négliger sauf à rester dans une approche triviale et trompeuse. Cela nous conduit au second principe.
[size]
2. Se distancier de soi-même (la réflexivité)
[/size]
La réflexivité apparaît comme la seconde condition épistémologique indispensable à la psychopathologie, car il existe toujours une déviation de l’expérience par des facteurs subjectifs. L’expérience clinique est modifiée par des facteurs psychologiques personnels qui sont en grande partie inconscients. Il est indispensable de prendre en compte les déterminations psychiques inconscientes. Ceci passe par une analyse personnelle puis par un entraînement pratique qui donne l’habitude de constamment rectifier la part d’illusion qui entache l’expérience. Faute de cela, une partie du domaine clinique est soit inaccessible, soit grossièrement faussé. Sans réflexivité, il se produit une contamination qui fait de la psychopathologie un savoir ordinaire plus ou moins imprégné d’imaginaire et parfois même un pur rationalisme (c’est-à-dire un symptôme identique et en continuité avec ce qu’elle est censée étudier !).