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  Le penseur et la marionnette

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الموقع : سرير الحبيب
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04122010
مُساهمة Le penseur et la marionnette

60La biologie théâtrale ne fait pas en effet que servir pratiquement Jouvet. Elle le sert intellectuellement en faisant surgir des relations causales qu’il aurait été incapable seul, d’anticiper. L’articulation, par l’intermédiaire de la notion d’ordre architectural, de l’idée de l’existence de formes culturelles propres à chaque société à la réalité technique de quatre types différents de scène viable socialement 52 fait jaillir une autre idée, qui dépasse le cadre strict de l’anatomie comparée, comme de la reconstitution historique. Elle le conduit à imaginer une explication rationnelle du théâtre comme organe vivant d’une société, et à dessiner un modèle d’organisation industrielle du spectacle vivant. Cette machine théâtrale garantira la vie du spectacle théâtral, en soumettant les individus vivants qu’il rassemble aux décisions rationnelles d’un homme unique, le metteur en scène, seul capable d’assurer son efficacité sur le spectateur.

  • 52 . Reconstituées par l’archéologie et l’histoire et mises en ordre par Jouvet qui distingue un “ ordr(...)

3.1. La machine artistique


61Jouvet met lui-même en scène le développement de la pensée que produit la métaphore biologique, ce qui lui permet d’attribuer à la science la responsabilité du rapprochement qu’il opère personnellement de l’ordre de la connaissance scientifique et de celui de la représentation artistique. Ce rapprochement “ scientifique ” l’autorise, en effet, à faire surgir une utopie théâtrale :

  • 53 . Ibid., p. XXIII-XXIV.

“ En considérant ces quatre organes dramatique [grec, italien, médiéval, shakespearien] l’idée vient à l’esprit qu’il y a sans doute un rapport étroit entre ces quatre formes architecturales et les représentations qui y ont été données, qu’il y a entre ces quatre instruments et les poètes, les comédiens, les machiniste et le public qui les ont utilisés aux différentes époques, une relation directe qui est celle de l’organe et de sa fonction.
C’est dans son histoire naturelle l’hypothèse de Darwin. Partant de l’idée qu’il y a entre l’organe et la fonction une pensée réciproque, Darwin explique ensuite avec facilité la transformation et l’évolution des espèces animales et végétales.
Profitant du syllogisme pour la clarté d’une démonstration, on pourrait ainsi, à l’inverse de Darwin, faire une étude de la fonction dramatique, c’est-à-dire des formes successives de le littérature théâtrale et de leurs moyens d’exécution, en les rapportant à ces quatre groupes d’architecture.
L’idée vient à l’esprit que, par une simple étude du déplacement de la scène dans le lieu de la représentation, on pourrait faire une histoire générale du théâtre qui, en englobant l’étude de ses participants et de ses techniques, expliquerait les particularités de chaque littérature, les écoles de comédiens et tous les procédés ou conventions en usage à chaque époque. Textes de l’auteur, modes de jeu des acteurs, habitudes des spectateurs, styles des costumes et particularités du maquillage, accessoires de scène, construction et aménagement de l’estrade, place des musiciens, boîte du souffleur, postes de régie ou de machinerie, et la machinerie elle-même, avec tous les détails matériels du spectacle seront ainsi définis, sinon expliqués par les conditions architecturales de la représentation.
Ce sont les conditions même de ce qu’on appelle la mise en scène.
Car la mise en scène au théâtre est […] la mise en œuvre du lieu et de ses ressources […]. Son but vise à l’expression dramatique de l’œuvre, c’est-à-dire à l’effet qu’elle doit produire sur le spectateur ”. 53



  • 54 . Yvette Conry, L’Introduction du darwinisme en France au xixe siècle, Paris, Vrin, cf. notamment, s(...)

62On pourrait gloser d’un point de vue épistémologique sur le caractère choquant de ce bricolage intellectuel qui déforme la vérité scientifique. Jouvet articule deux points de vue contradictoires, articulation qu’il attribue faussement aux savants qu’il réunit. Le primat de l’organe sur la fonction justifiait chez Cuvier la déduction anatomique, ce qui lui interdisait d’admettre un processus d’adaptation impliquant le primat de la fonction sur l’organe, contraire à sa théorie. De même, la présentation par Jouvet de “ l’hypothèse ” de Darwin (dont l’apport scientifique est le refus de toute forme d’explication téléologique du vivant) lui attribue le point de vue transformiste de Lamarck (qui privilégie cette forme d’explication), renversement étonnant qui confirme la thèse d’Yvette Conry sur l’introduction du darwinisme en France 54.

63Il convient plutôt de souligner un constat pratique. Le dénonciateur de la technique au nom du respect du vivant, non seulement s’accommode parfaitement des tensions qu’introduit la référence à Cuvier, c’est-à-dire à un modèle d’explication mécaniste, dans un discours vitaliste. Mais surtout, il s’enthousiasme pour un travail de rationalisation scientifique de l’entreprise théâtrale permettant de garantir une efficacité réelle du jeu de l’acteur sur le spectateur, mais qui exige que l’acteur se soumette au jugement scientifique de l’expert – le metteur en scène – qui a conçu ce dispositif artistique, et accepte de n’être que le rouage de cette machine théâtrale.
64C’est ce lieu commun, on le sait, qui informe aujourd’hui l’organisation du “ spectacle vivant ” en France, et qui sert notamment à justifier le statut artistique du metteur en scène du théâtre public. Comme on le voit, ce lieu commun, qui sert à produire pratiquement la qualification artistique de l’événement, et la satisfaction de la famille théâtrale qu’il constitue, conduit, lorsqu’on le transforme en critère général de la qualité théâtrale, à attribuer au metteur en scène le statut d’un ingénieur de l’âme.
65Cette conséquence inattendue de l’utilisation de la métaphore biologique, celle d’une sociologie déterministe de l’art théâtral, qui articule dans une visée taylorienne, la “ philosophie de l’art ” de Taine à la “ science des institutions ” de Durkheim peut nous servir à élargir notre réflexion sur le sens de la modernité artistique. Elle doit inclure, nous semble-t-il, une réflexivité trop souvent absente dans les réflexions actuelles sur l’art.
66Il importe en effet de rappeler l’importance du contexte politique et culturel pour la pratique artistique de l’artiste moderne, contexte sur lequel il prend appui pour l’orienter et la rendre acceptable dans le futur à ses contemporains. Cette représentation devant ses contemporains de la temporalité dans laquelle il s’inscrit est ce qui justifie à ses propres yeux l’action de l’artiste moderne. Les moyens de cette représentation ne sont cependant pas, comme l’image qu’il donne de lui-même, dépendants de sa seule volonté. Ils sont les outils qu’un contexte culturel met à sa disposition, contexte auquel il s’attache par l’intermédiaire des outils de représentation qu’il choisit d’utiliser. Dans la mesure où ces instruments de représentation sont aussi des instruments du jugement, une philosophie de la technique est donc la condition d’une meilleure maîtrise par l’artiste de son action. C’est dire que l’affirmation d’une rupture avec la tradition ou avec l’académisme ne suffit pas à l’effectuer, surtout s’il s’agit d’une tradition du nouveau ou d’un académisme de la subversion.
67C’est de ce point de vue qu’on peut considérer le “ spectacle vivant ” que veut être aujourd’hui le théâtre français, dans la continuité de la rhétorique de la qualité théâtrale élaborée par Jouvet. L’affirmation de l’aspect spectaculaire du théâtre vivant ne résulte donc pas que d’une adaptation de ses caractéristiques aux exigences de la lutte contre un nouveau concurrent, la télévision, à une époque où le cinéma, lui-même en difficulté, acquiert une dignité culturelle. Mais elle rend compte de la généralisation d’une industrie théâtrale dans laquelle l’image vivante d’un acteur est reproduite régulièrement aux yeux du spectateur, ce qui exige une organisation très centralisée qui confie au seul metteur en scène le statut d’auteur humain de la représentation. L’acteur vivant, argument de la supériorité du théâtre sur le spectacle, y est donc transformé, aux yeux du public, en simple outil vivant de la représentation d’un auteur. 3.2. L’outil du théâtre vivant


68Un retour sur le siècle de Mengs nous permet de confirmer le sens moderne de cette organisation du théâtre, par la théorie du spectacle qui se dégage, dans la France du xviiie siècle, des débats sur la modernisation nécessaire du théâtre. Cette théorie du spectacle articule une philosophie politique à une anthropologie culturelle. Elle est en effet le produit des philosophes des Lumières (à l’exception notable de Rousseau), qui se préoccupent de fonder la nouvelle société sur le respect d’un contrat rationnel et la conduite humaine sur l’apprentissage d’une morale naturelle. Dans cette perspective, le mécanisme irrationnel de la sensibilité populaire, c’est-à-dire non éduquée, que révèle l’attitude du peuple face au spectacle, constitue un danger politique qu’il faut réduire en organisant et en moralisant le spectacle.

  • 55 . Marivaux, Journaux et œuvres diverses, Paris, Garnier, 1969, p. 13.

69L’opinion publique française du xviiie siècle se construit donc sur la base de l’idée d’une perte de jugement inhérente au spectacle populaire, contraire aux exigences du pacte social “ Il ne faut pas, en effet, compter sur la religion du plus dévot personnage d’entre les peuples. De là vient aussi qu’il est aisé d’en corrompre le plus honnête ; car pour l’engager au crime, il ne s’agit pas d’en gagner son esprit, on a bon marché de cette pièce ; il faut seulement remplacer une impression par une autre […] l’impression la plus fraîche est la plus victorieuse ” 55.


  • 56 . Martine de Rougemont, “ Quelques utopies théâtrales du xviiie siècle ”, in Romanica Wratislaviensi(...)
  • 57 . Ibid., p. 62.

70Cet imaginaire du spectacle est ce qui fonde les utopies théâtrales produites par les philosophes, qui s’inscrivent dans la continuité du projet d’organisation du spectacle écrit par l’Abbé d’Aubignac, et s’opposent donc à la liberté des spectacles. “ Rendre les spectacles plus utiles à l’État ”, projet de l’Abbé de Saint-Pierre, est une obsession partagée par tous les amateurs cultivés et par tous les hommes de théâtre français du xviiie siècle, qu’ils soient révolutionnaires ou non. La fonction politique du théâtre et sa valeur d’enseignement sont valorisées, contre “ les spectacles qui corrompent l’âme, présentent le vice sous un aspect riant, et par leur multiplicité seule éloignent l’amour du travail en augmentant la sensibilité ” 56. Privilège et subvention étatiques d’un théâtre soumis à une censure n’autorisant que des “ ouvrages beaux et utiles ” 57 constituent un point d’accord entre tous les intellectuels français soucieux de régulariser le désir du peuple.


  • 58 . Ibid., p. 63.

71Le problème fondamental pour ces spectateurs philosophes est celui de la dépendance du fonctionnement de la machine théâtrale par rapport à l’acteur. Si Mercier peut déclarer qu’“ il n’y a aurait plus un seul acteur sur terre que le Théâtre subsisterait encore dans toute sa beauté ” 58, le problème reste de former des interprètes dignes de ce nouveau théâtre politique. Pas de théâtre réel, en effet, sans acteurs. Or, les comédiens se rapprochent du peuple, et leur immoralité ordinaire, leur ignorance et leur bassesse est à, quelques exceptions près, bien établies.


  • 59 . Ibid., p. 68.

72Le certificat de bonnes mœurs et un contrôle permanent de la moralité de l’acteur proposés par certains n’apparaissant pas suffisants pour garantir sa qualité personnelle et l’empêcher d’abuser de sa liberté face au public, une dépersonnalisation totale du jeu de l’acteur est même envisagée par certains utopistes. Réduire l’acteur à un pur outil humain au service de l’auteur est ainsi défendu “ comme un moyen triste, mais sûr ” de garantir l’efficacité morale de la machine théâtrale. Puisque réserver l’exercice du métier à des hommes de la Noblesse, ou à des citoyens aisés n’est pas possible, Restif de la Bretonne propose “ la formation d’Acteurs – Esclaves publics qui seraient comme des marionnettes de l’auteur ”. Mais qui pourrait accepter volontairement, dans la société française, le statut d’esclave ? Les “ enfants-trouvés, dont le Prince peut disposer ” à sa guise, constitue la solution idéale. Ils “ pourraient être préparés dès l’enfance aux Représentations Dramatiques en même temps qu’on interdirait sous les peines les plus sévères, cette occupation à tous les citoyens nés légitimes ” 59.


  • 60 . Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien, Paris, Presses Pocket, 1995, p. 105.

73Ce délire rationaliste donne tout son sens au rêve de Diderot d’un grand comédien qui serait comme “ un pantin merveilleux dont le poète tire la ficelle et auquel il indique à chaque ligne la véritable forme qu’il doit prendre ” 60. Le Paradoxe sur le comédien est certes, à l’opposé d’une conception esclavagiste, un effort rationnel pour reconnaître un “ mécanisme ” autonome du comédien, qui lui accorde la capacité personnelle de réfléchir la nature et de la prendre pour modèle. Mais il s’inscrit malgré tout dans le cadre d’une conception rhétorique du “ théâtre ”, qui appréhende le comédien comme une pure métaphore de l’idée, un exemple vivant, un simple porteur de sens. C’est contre cette tradition rhétorique, qui est en même temps une tradition étatique, que Kleist élabore cette petite machine de guerre contre le théâtre français qu’est son texte Sur le Théâtre de Marionnettes.
3.3 La mécanique du spectacle


74Kleist donne, dans les premières lignes de son texte, toutes les indications permettant à ses contemporains cultivés de comprendre la visée polémique du texte. Il restitue une simple conversation – elle n’a pas la dignité du dialogue philosophique ni de la grande conversation qu’est le poème dramatique français – qui se passe dans un “ Jardin public ” et réunit des citadins ordinaires. Ces deux promeneurs ont l’habitude, qui justifie leur reconnaissance mutuelle, de se mêler “ sur la place du marché ” à la “ populace ” venue se réjouir de spectacles vulgaires qu’on lui propose. Ils n’hésitent pas non plus à prendre le “ réel plaisir ” qu’ils ressentent à un spectacle populaire comme base d’une conversation sérieuse. Et cette conversation consiste en une explication technique, par un artiste-professionnel du ballet français à un spectateur profane, de l’intérêt artistique de ce théâtre mécanique qu’est le théâtre de marionnettes.

  • 61 . Le Ballet était alors un art typiquement français.
  • 62 . Puisque l’opérateur se rend prisonnier du mouvement qu’il donne à la marionnette, et doit réagir p(...)

75On comprend, par sa seule description du dispositif narratif, la ruse de Kleist et la force polémique de son texte. Il s’agit ni plus ni moins de faire confirmer rationnellement par l’artiste “ français ” 61 la supériorité naturelle du spectacle populaire allemand sur “ l’art français ” du théâtre, en utilisant un savoir-faire manuel comme instrument de la preuve rationnelle de cette supériorité. Substituer, en d’autres termes, au critère professionnel de la qualité de la représentation de la figure humaine, écrite par l’auteur, exécutée par l’acteur, et analysée par le spectateur cultivé, celui de l’efficacité sensible, et éprouvée par tous, d’une simple technique de manipulation, agissant en même temps sur celui qui l’exécute (l’acteur), et sur celui qui la regarde (le spectateur) 62, deux statuts que la pratique du théâtre de marionnettes interdit de distinguer. Cette situation contraint, de plus, à attribuer le statut de celui qui maîtrise l’action, “ l’auteur ”, aussi bien à “ l’acteur ” qu’au “ spectateur ”. Le manipulateur des marionnettes de bois est, en effet dans l’action, à la fois l’auteur, l’acteur, et le spectateur de l’image qu’il produit, et qui doit satisfaire le public. Il en va de même pour le spectateur, qui apprécie le spectacle parce qu’il se met à la place du manipulateur.


  • 63 . Kleist emprunte à Lessing cette idée de la “ grâce ”, en tant qu’effet esthétique supérieur au “ b(...)

76Certes, la pratique du théâtre de marionnettes n’est qu’un métier mécanique, et le mouvement des figurines le résultat d’un simple mécanisme. Mais ce mécanisme, dit Kleist permet pourtant de produire des mouvements plus gracieux, car ils sont plus humains que celui de certaines danseuses expérimentées, qui ne font que reproduire automatiquement des figures de convenance. C’est que le mécanisme qui meut les marionnettes n’est qu’un prolongement du corps de “ l’opérateur ”, qui ne peut réfléchir en agissant dans l’instant et devant le public, à ce qu’il doit faire, mais doit ajuster spontanément le mouvement des marionnettes à ce qu’il peut faire. La réalisation des aptitudes naturelles de son propre corps et non les règles de l’art explique le sentiment de grâce 63 ressenti par les spectateurs et le plaisir que procure le rapprochement, qu’ils produisent en le regardant, du mouvement de la marionnette avec un mouvement humain.


  • 64 . Les ballets font partie de la grande pièce française, dont ils sont souvent, par le plaisir import(...)

77Le mouvement le moins élaboré, le plus mécanique du point de vue des amateurs de l’art français, apparaît donc plus juste que celui de l’acteur du théâtre 64, car il ne tient compte que d’une pesanteur naturelle qui s’impose à tous, et non du centre de gravité artificiel que représente la volonté de se plier aux convenances. Il peut même servir à réaliser un idéal artistique supérieur, dans la mesure où la marionnette échappe à un certain moment à la pesanteur qui emprisonne le corps humain, et apprend donc à l’homme à mieux maîtriser ses mouvements spontanés. Dans cette perspective, l’opposition entre mécanisme et vitalisme est dépassé au profit de la reconnaissance d’un devenir-machine de l’homme qui le rend créateur et penseur de son propre action, en rappelant que l’on doit aussi penser l’outil comme le prolongement du corps.

78Il n’importe pas de justifier ici, par les techniques élaborées de l’histoire de l’art, notre interprétation du théâtre de marionnettes de Kleist. Mais de souligner qu’elle nous sert ici à affirmer l’impossibilité de produire un jugement esthétique, indépendant d’un jugement technique et éthique du spectacle qui nous permet de le produire.
79C’est ce qui rend par la même injustifiable philosophiquement non seulement l’image sociale du spectacle utilisée par l’artiste, et la généralisation de son utilisation. Comment en effet penser l’art, sans tenir compte du corps qui nous permet de ressentir mais aussi de juger le sens du spectacle ? Ce que Kleist fait dire selon nous au stupide morceau de bois incapable de parler et de penser par lui-même, se révèle fondé objectivement, dès lors que nous acceptons de comprendre, par l’intermédiaire de l’action de notre corps, son utilisation.

  • 65 . Sous le couvert de Guy Debord, qui rappelle pourtant ironiquement que “ Le concept critique de spe(...)

80Méconnaître ce sens du spectacle, c’est méconnaître le sens de la pensée de l’art, en le déshumanisant, c’est-à-dire nous laisser entraîner à penser mécaniquement, en déduisant automatiquement de la technique intellectuelle que nous utilisons, ce que l’on doit penser de la technique. Refuser le spectacle et tout faire pour le détruire, mot d’ordre artistique souvent ressassé de notre modernité 65, exige de prendre au sérieux sa réalité sociale et technique, pour faire justice des images qui dégagent notre responsabilité au moment où nous l’affirmons.

81Le “ spectacle ” est, souvent, en effet le moyen par lequel nous refusons de reconnaître les limites et de notre goût, et de notre pensée, en refusant généralement aux individus ordinaires la capacité de juger et de penser. C’est ce que nous permet de penser l’examen sans complaisance d’une image sociale du spectacle et de la rhétorique artistique qu’elle permet de produire. Aucune image ne permet de faire l’économie d’une justification éthique de l’action, qui interdit d’exclure autrui, au nom de la cité scientifique, de la commune humanité de la cité artistique, ni de sa justification objective, qui interdit de confondre l’image et la réalité.
82Voilà pourquoi notre critique de la critique du spectacle ne débouche sur aucune consigne d’action artistique et politique, dont la proposition réinterrogerait la capacité des individus à juger par eux-mêmes, dans l’action, le sens collectif de cette action, qu’elle soit “ artistique ” ou “ technique ”. Voilà pourquoi l’image nous est précieuse, puisqu’elle nous permet de penser et de réaliser l’ajustement de notre conduite personnelle à une situation justifiable humainement, et pourquoi nous la haïssons, lorsqu’elle nous oblige à reconnaître notre difficulté collective à construire un monde à la mesure de l’homme qui l’habite.
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