Page 1 sur 4
L’objet de la connaissance scientifique
Par "objet de science" on désigne généralement ce qui fonde une science, ce qui centre son activité de connaissance. Le terme évoque les objets ordinaires et reprend l’opposition classique objet/sujet, deux significations qui sont étrangères à l'objet de science et dont il faudra se méfier.
- PLAN
- 1/ La conception classique de l’objet
- 2/ L’inflexion positiviste
- 3/ L’inflexion quantique
- 4/ La conception de l’école française d’épistémologie
- 5/ La conception dite « constructiviste » dans les sciences sociales
- 6/ La conception proposée
1/ La conception classique de l’objet
Le schéma organisateur de la connaissance dans la science moderne suppose qu’il existe un monde naturel indépendant, contemplé et expliqué rationnellement par le sujet. Le chercheur est considéré comme un sujet unifié, isolé, source de la perception et de la pensée, noté par le « Je » qui pense de Descartes. C’est un sujet transcendantal, point d’origine abstrait, unité originaire synthétique de l’aperception, hors du temps et hors du monde. Le monde extérieur au sujet est conçu sur le mode du réalisme empirique traditionnel selon lequel les objets sont présents extérieurement à nous, dans la réalité qui existe indépendamment du sujet.
Dans cette conception l’objet est la partie de la réalité que la science étudie. Il s’agit pour la science de le repérer, de le délimiter correctement et de le purifier en dépouillant la réalité des apparences sensibles trompeuses. En effet, le réalisme empirique avouant vite ses limites on lui a adjoint la distinction entre qualités premières et qualités secondes. Ces dernières issues de notre perception empirique sont trompeuses. Il faut les ramener aux qualités premières plus vraies. Pour saisir correctement l’objet, il conviendrait de faire preuve d’objectivité, c'est-à-dire se départir de la subjectivité, qui biaise notre perception de la réalité, afin d'accéder aux qualités premières.
Le sujet de la science (observateur neutre pourvu d’une pensée rationnelle) découvre les qualités premières d’une partie du monde qui constituent son objet de recherche. Une fois repéré, on peut travailler sur cet objet, rechercher les constantes qui le caractérisent, constantes qui pourront être traduites rationnellement en lois, qui une fois trouvées seront vérifiées expérimentalement. Le savant est le contemplateur neutre d’une nature extérieure à lui.
Cette conception qui naît au XVIIe siècle est encore d'actualité, mais elle a été remise en cause à partir du XIXe siècle.
2/ L’inflexion positiviste
La conception positiviste (au sens du positivisme scientifique) naît dans la première moitié du XIXe siècle, vers les années 1830. Elle vient du néo kantisme surtout présent dans les pays germaniques et du positivisme philosophique d’Auguste Comte en France. À partir de ce moment on considère que le monde n’est plus d’une seule pièce, il se divise en réalité empirique et monde en-soi (réel). La réalité empirique est donnée par l’expérience et le réel en soi est conçu par la pensée. Seule la réalité empirique peut être objet de science.
Le positivisme ne veut considérer que les faits (les phénomènes) et renonce au réel en soi dont il estime l'étude impossible (il la laisse à la métaphysique considérée comme illusoire). On qualifie à juste titre le positivisme de phénoménisme. Il ne considère et ne s’intéresse qu’aux faits et non « à la nature des choses ». En particulier le positivisme est non substantialiste, il ne prétend pas que les faits dérivent d’une ou de plusieurs substances. On peut citer à ce sujet le discours célèbre de Du Bois Raymond nommé recteur à Berlin (1870) dans lequel il expose la doctrine en associant un déterminisme strict concernant les faits à un agnosticisme concernant leur fondement. Le titre du discours était « Ignorabimus », on ignorera la nature des choses.
Du coup, l’objet de science se précise comme l’ensemble des faits étudiés par une science. Dans cette perspective on appelle objet de science un ensemble des faits observables, qui donne des manifestations identiques lors d’expériences répétées. La collection des faits est quelque chose de durable, possédant des caractères constants, repérés lors des expérimentations réitérables. Cet ensemble constitue une part de la réalité, il est extérieur au sujet, ne dépend pas de lui.
Avec le positivisme logique, la doctrine se radicalise en ne tenant compte que des faits empiriques observables d’un côté et du logico-langagier de l’autre cherchant la mise en adéquation des deux. L’objet devient ce qui peut être mis dans une telle adéquation, le reste étant éliminé de la science. Cette reformulation du positivisme a eu un grand succès dans la philosophie des pays anglo-saxons, mais elle n’a pas été adoptée par la communauté scientifique. C’est une doctrine qui n’a, à ma connaissance, pas été appliquée dans le monde des sciences.