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 Épistémologie critique

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الموقع : سرير الحبيب
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Épistémologie critique Empty
04122010
مُساهمةÉpistémologie critique

23Mais derrière la question de la philosophie spontanée du savant se pose celle de la science supposée du philosophe. L’intérêt pour la science ne doit pas se substituer à un travail philosophique sur la science. D’acteur, le philosophe est aujourd’hui devenu témoin, tant à cause de la spécialisation des savoirs qu’en raison des intérêts sociaux. Le système académique, l’Académie des sciences (1666) par exemple, a dû peu à peu laisser la place aux laboratoires, comme l’a montré Bruno Latour 13 et la sociologie des sciences, et aux revues spécialisées afin d’évaluer la portée des travaux scientifiques. Les pratiques et les objets scientifiques ont changé : de nouveaux objets, invisibles ou artificiels, exigent des structures et des investissements internationaux ou privés. Le prix de la science ne réside plus seulement dans les découvertes fondamentales. Une continuité est désormais établie entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Les spécialités scientifiques, qui ont fait apparaître des objets nouveaux comme les supraconducteurs, le génie génétique ou la chimie, dépendent désormais des structures industrielles de Recherche et Développement. Parce que les investissements sont lourds, la rentabilité économique exige des sciences et des scientifiques eux-mêmes un maximum d’efficacité.

  • 13 . Bruno Latour,La Science en action. Introduction à la sociologie des sciences[1987], trad. fr. M.(...)



  • 14 . Robert Fox R., 1995, « Science et pratique industrielle en France et en Grande-Bretagne 1750-1850 (...)

24Dès lors il convient aussi de comprendre les sciences à partir de leur industrialisation : l’économie devient l’objet même des sciences. Il n’en a pas toujours été ainsi. Comme l’a analysé Robert Fox 14, deux démarches s’opposaient pendant la Révolution industrielle : d’une part le modèle anglais, pragmatique et empiriste, dans lequel des dynasties engageaient leur propre fonds dans la production scientifique ; alors que d’autre part l’instruction des savants et la littérature technique rendaient la pratique industrielle plus interventionniste. Cette opposition, si éclatante dans l’industrialisation de la machine à vapeur, aura vécu jusqu’à la révolution biologique de la fin du xixe siècle. L’essor des laboratoires, comme celui de A. E. Wright (1861-1947) dans lequel A. Fleming (1881-1955) a pu mettre au point l’utilisation de la pénicilline comme antibiotique, s’apparente à la logique industrielle qui occasionna la découverte de L. Pasteur. En effet la vaccination lie l’industrie et les sciences de la vie en mettant en avant la santé, la prévention, l’hygiène comme un nouveau rapport au corps. De l’hygiène des lieux à l’hygiène mentale, la démocratie de la santé accompagne le paysage productif par une industrie de l’assurance et de la prévention : construction de logement, prescription obligatoire de vaccin, campagne d’information. L’histoire de la maladie, comme l’analyse François Delaporte, impose de lier la raison théorique avec la quête des remèdes pratiques.


  • 15 . Jean-Paul Gaudillere, « Molecular Biologist, Biochemist, and Messager RNA : the birth of a scienti(...)
  • 16 . Jacques Testart, L’Œuf transparent, Paris, Champs Flammarion, 1986.

25Avec la génétique un pas supplémentaire est franchi dans le lien entre recherche et vérité. Les historiens des sciences de la vie, comme Jean-Paul Gaudillère 15, constatent un désengagement relatif de l’État, jusque-là providentiel, dans le secteur biomédical. Ce désengagement, dès la fin des années soixante-dix, n’a pas été compensé immédiatement l’investissement privé. Il faut attendre 1976 pour voir la création de GENENTECH (Genetic Engineering Technology), afin de mettre au point les techniques susceptibles de réaliser la synthèse biologique par génie génétique. D’ici l’an 2000, on devrait voir passer de 1300 à 350 le nombre des sociétés biotechnologiques en raison d’une recomposition industrielle des capitaux et des risques liés à ce type d’investissement à long terme. Le génie génétique reproduit artificiellement ce qui avait été découvert par la recherche fondamentale au moyen d’une expérimentation artificielle sur des éléments naturels : cette substitution de la nature par l’artifice du clonage libère l’industrie du génie génétique en ouvrant la voie de la fabrication artificielle de la nature et bientôt de l’homme. Face aux techniques de fécondation in vitro, les structures de la parenté et les processus de filiation doivent être repensées. La décision, inégalée, de Jacques Testart 16 de réorienter ces recherches sur l’œuf transparent vers de nouveaux traitements de la stérilité n’est pas seulement bioéthique : elle accuse la science d’être devenue une économie politique du vivant.


  • 17 . Axel Kahn A., « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan », Médecine Sciences, janvier 1996,(...)

26Le développement des sociétés biotechnologiques privées réduisent la recherche fondamentale à la recherche appliquée de brevets. La méthodologie traditionnelle allait de la théorie à la pratique, de la recherche à la clinique. En se précipitant sur les essais cliniques, la Recherche-Développement a cru pouvoir vérifier les stratégies thérapeutiques dans le moment même de leurs formulations théoriques. Le rôle du médecin, par sa relation privilégiée avec les patients, favorise l’introduction de protocoles compassionnels ; avec le SIDA et le cancer, le médecin met en œuvre le rapport recherche/clinique. Ainsi l’activité clinique expérimentale, estime le généticien Axel Kahn 17, ne devrait pas être séparée des impératifs de la recherche expérimentale. La clinique s’est développée sous l’effet de la médiatisation des thérapies géniques et de l’appropriation par l’opinion de l’imaginaire médical : ainsi, la diffusion et la publicité des succès cliniques a pu laisser croire à une découverte rapide de solutions thérapeutiques.

27Ce désordre méthodologique trouve sa raison dans la compétition interne au secteur de l’économie scientifique. La modification du rapport clinique/thérapie rend d’autant plus nécessaire les comités scientifiques internationaux et les revues spécialisées afin d’évaluer la recherche fondamentale dans son histoire plutôt que de diffuser d’indéniables succès qui s’inscrivent dans le court terme. Car les dérives de l’argumentation scientifique, rappelle la philosophe Dominique Terré, valorisent seulement les résultats en occultant le temps de gestation de la création scientifique. Une image instantanée et fixe de la science est vulgarisée alors que la science est discursive et contradictoire, sans cesse éprouvée par l’expérimentation et la vérification. Les objets de la science sont en déplacement incessant si bien que compréhension exige une information précise et des remaniements conceptuels pour qui voudrait penser les sciences. Épistémologie critique


28Dès lors comment une épistémologie critique peut-elle s’exercer si les sciences subissent de telles modifications de méthode et d’objet et si leur évaluation relevait seulement de l’éthique ? En 1620, Francis Bacon (1561-1626) dans son Novum Organum, distinguait deux classes de philosophes traitant des sciences : les empiristes et les dogmatiques. Ce conflit est au cœur de toute épistémologie. L’empirisme est venu porter un frein à l’excès idéaliste des théoriciens : il rappelle que tout dogme théorique est une vue arrêtée du travail scientifique. À l’inverse le dogmatisme réclame de la théorie l’exposé de premiers principes qui se verront nécessairement confirmer par l’expérience. Pourtant les sciences ne peuvent être neutres : elles impliquent la présence d’un sujet dont la prétention est de connaître tout phénomène comme un objet indépendant de ses représentations.

  • 18 . Gilles Gaston-Granger, Pour une connaissance philosophique, Paris, Odile Jacob, 1988.

29Or, comme réflexion sur nos modes de connaissance, l’épistémologie, rappelle Gilles Gaston Granger 18, doit démontrer la rapport de la rationalité à ses contraires. Dans son épistémologie de la raison, le philosophe démontre combien l’irrationnel est une dimension nécessaire pour l’élaboration même du raisonnement scientifique comme dans les mathématiques. Toute découverte scientifique repose sur des formes de raisonnement (induction-déduction), des procédés de vérification (expérimentation-falsification) et des modélisations (paradigmes). Or ces formes de raisonnement prétendent établir une universalité rationnelle dans parvenir toujours à faire oublié leurs origines subjectives et irrationnelles : ainsi le hasard, pur donné irrationnel de la nature, est rationalisé par l’esprit humain.


  • 19 . Jurgen Habermas, La Technique et la Science comme idéologie [1969], trad. J. R. Ladmiral, Paris, G(...)

30J. Habermas 19 dépasse cette opposition de la rationalité et de l’irrationalité pour en dégager les causes idéologiques. Aussi ce qui apparaissait comme la conséquence universelle d’une méthodologie scientifique, se révèle porteur d’idéologie interne et externe grâce au travail épistémologique. L’« idéologie interne » est l’ensemble des représentations et des valeurs véhiculées dans la démarche scientifique, tandis que l’« idéologie externe » est le contexte dans lequel cette démarche peut se réaliser. L’idéologie interne produit des représentations du monde comme celle de la continuité ou de la discontinuité de la matière, selon que l’accent est mis sur sa nature corpusculaire ou ondulatoire. Elle produit aussi des modèles universels : ainsi la méthodologie de la médecine expérimentale devait-elle susciter un très vif débat sur les vertus de l’induction par rapport à la déduction. L’ignorance ou l’occultation de cette idéologie interne produit une réduction idéologique : car si toute science pratique une réduction méthodologique en isolant l’objet dans l’expérience, elle peut également diffuser une réduction idéologique. Lorsque cette réduction est consciente, le biologiste peut devenir sociobiologiste, le généticien eugéniste, le physicien taoïste, le paléontologiste finaliste, etc. Aussi, par épistémologie critique, il faut entendre ici l’organisation systématique de représentations, implicites ou explicites, à l’intérieur du travail méthodologique des sciences. Ces représentations peuvent être, elles-mêmes, extraites de leur contexte de production pour, présentées sous la forme d’un discours, apparaître vraies de manière synthétique. La volonté d’isoler l’épistémologie de l’analyse de ces réductions idéologiques, ce que l’on pourrait désigner comme l’« ascèse épistémologique », pourrait être comprise comme une purification de l’objet épistémologique : celui-ci prendrait seulement en charge la dimension cognitive du rapport du sujet au savoir, à travers l’analyse des modèles.

31Ainsi l’analyse des idéologies scientifiques révèle combien ce qui est projeté à l’extérieur du champ expérimental y est déjà présent en tant qu’idéologie interne. L’idéologie interne d’une science admet que toute production scientifique peut avoir des effets sociaux. Toute science transporte dans son développement des idéologies qui modifient les représentations sociales. Louis Althusser reconnaissait à la philosophie la « fonction majeure de tracer une ligne de démarcation entre l’idéologique des idéologies d’une part, et le scientifique des sciences d’autre part ». En ce qui concerne les idéologies internes, la ligne de démarcation est plus difficile à situer, puisqu’il faut à la fois décrire le champ de la science dans l’histoire de ses modèles et de ses concepts et situer les idéologies produites implicitement dans la constitution de cette science.

  • 20 . D. Lecourt, Lyssenko. Histoire réelle d’une « science prolétarienne », 1976, Paris, Maspero, rééd.(...)

32L’analyse de l’affaire Lyssenko par Dominique Lecourt 20 accomplit cette ligne de démarcation en distinguant la réduction méthodologique (les travaux sur l’hérédité de G. Mendel par rapport à ceux d’A. Weismann), de l’utilisation idéologique interne (réalisée par Lyssenko lorsqu’il présente l’histoire de la biologie comme une arène des luttes idéologiques) et enfin de l’idéologie sociale (par laquelle la biologie devrait devenir prolétarienne). Lyssenko assimile les lois de l’hérédité de Mendel et de Weismann à une théorie raciste et réactionnaire. L’utilisation idéologique des sciences atteint ici un point d’aveuglement exemplaire : il s’agit, dans la réduction idéologique, de diffuser l’idéologie interne d’une science et d’en faire une idéologie externe à celle-ci afin de construire dans le champ social, artificiellement et sans aucun rapport avec une science objective, un discours idéologique susceptible de réduire jusqu’à la caricature tous les phénomènes et d’éliminer ses opposants.


  • 21 . Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique [1937], Paris, Gallimard, Tel, 1996, p.(...)

33Ainsi, la réduction idéologique interne est utilisée pour déplacer, de manière implicite, les concepts et les modèles à l’intérieur même de la pratique scientifique. Ce processus de légitimation interne exige une attention rigoureuse, moins pour rectifier que pour révéler l’illusion de neutralité (M. Horkeinmer 21). Une fois dégagée la question de l’idéologie interne, le réductionnisme idéologique doit être aussi compris à la fois dans les modèles et les idéologies produites à l’extérieur du champ de production de la science, c’est-à-dire dans le champ social, et dans celui des applications et des dérives des sciences propres au domaine de la vulgarisation scientifique.
Histoire ou sociologie des sciences ?


34L’histoire des sciences doit pourtant être distinguée de cette analyse des idéologies scientifiques. L’historien des sciences se contentera d’étudier les réductions méthodologiques internes au travail de la science. Il reconnaît la construction historique et conceptuelle d’une science : une science doit être étudiée dans une période donnée afin de délimiter les concepts, les modèles, les techniques, les expérimentations et les idées. L’histoire des sciences n’établit pas entièrement la vérité chronologique de la découverte scientifique. Car cela supposerait une exhaustivité et une objectivité de l’historiographie à la manière d’une reconstitution exacte. Or une telle cristallisation ferait disparaître à la fois la temporalité propre à la découverte scientifique et la succession des représentations. Selon Jacques Roger « l’histoire des sciences découpe donc dans la trame de l’histoire un ensemble de faits et d’idées dont la rationalité historique est ailleurs, et impose à cet ensemble une rationalité extérieure, fondée sur la science moderne » 22. Ce découpage de l’histoire doit faire face à des mythes, entretenus par un discours scientiste, selon lesquels il y aurait une science pure qui suivrait son cours normal et dont le développement se ramènerait à une série continue de progrès. Ainsi, selon M. D. Grmek 23, quelques mythes méthodologiques sont récurrents en histoire des sciences : le mythe de l’unité du découvreur et de la localisation spatio-temporelle de la découverte entretient l’idée du héros scientifique. En effet la définition d’une découverte scientifique fournit une illusion historique en simplifiant et schématisant le point d’origine, le scientifique pouvant ainsi se présenter comme un précurseur.

  • 22 . Jacques Roger, « Pour une histoire historienne des sciences », Pour une histoire des sciences à pa(...)
  • 23 . M. Gamek, « Introduction », Histoire de la pensée médicale en Occident [1993], Paris, Seuil, 1995.(...)


35Pourtant, la reconstitution chronologique indique toute la complexité d’une découverte scientifique qui ne saurait donc être attribuée à une intuition soudaine, même si le scientifique lui-même le croit. Une multiplicité de données (informations scientifiques, possibilités techniques, concepts, représentations philosophiques, méthodologie), dont l’étude analytique peut être effectuée, autorise la description en réseau de la découverte scientifique. Cette modélisation n’attribue pas à un seul élément le pouvoir déterminant de la cause de la découverte. Pour cette double raison, complexité de la découverte scientifique et modélisation successive d’une même découverte scientifique, il serait donc vain d’attendre de l’histoire des sciences une synthèse définitive. Seule est construite une représentation, à un moment donné et par une société donnée, d’une science produite dans le passé. Le concept de « projection épistémique » pourrait convenir pour exprimer ce mouvement d’interprétation par lequel une société élabore l’histoire d’une science. Il faudrait donc toujours situer une histoire des sciences produite par une société (S1) sans croire être parvenu à l’identité parfaite entre S1 et la société qui a produit la découverte scientifique S2. Autrement dit l’histoire des sciences n’échappe pas au paradoxe de l’historien.

  • 24 . Bruno Latour,La Science en action. Introduction à la sociologie des sciences[1987], trad. fr. M.(...)

36La sociologie des sciences accomplit aussi ce travail critique. Elle n’est, selon Bruno Latour, ni la sociologie des savants, ni une explication de l’erreur, de l’idéologie ou des aspects sociaux de la vérité scientifique : « la sociologie des sciences recherche empiriquement les multiples différences qui distinguent les sciences les unes des autres et les pratiques scientifiques d’autres pratiques » 24. En souhaitant renouveler le lien entre science et société, la sociologie des sciences cherche moins une réconciliation par le biais d’une analyse des laboratoires scientifiques, qu’à écrire une histoire sociale des techniques. Mais la sociologie des sciences appartient-elle à la philosophie des sciences ? R. K. Merton, en 1942, définit quatre normes régulatrices de l’activité des scientifiques : a) l’universalisme impersonnel des résultats scientifiques ; b) le désintéressement vise l’accroissement des connaissances et non la satisfaction personnelle ; c) la mise en commun des connaissances ; d) le scepticisme organisé autour de la vérification critique des résultats. Merton va utiliser ces normes idéales pour mesurer les écarts des comportements effectifs des scientifiques. Décrire donc le fonctionnement réel de la communauté scientifique (y compris les déviances, le fraudes, les techniques), tel est donc l’objet de la sociologie des sciences.
L’accès à la réalité


37Mais ne risque-t-on pas, par le constructionnisme sociologique et le relativisme métalinguistique, de renoncer à toute connaissance objective de la réalité ? La construction des sciences ne doit pas conduire l’homme à l’impossibilité d’atteindre une connaissance, sinon vraie, du moins vraisemblable. De même, s’il est vrai que toute science contient une idéologie interne et produit des représentations dans la société, faut-il relativiser toute description de la réalité ? La critique des modèles se produit en même temps que la révolution quantique en physique, la redécouverte des lois de l’hérédité en biologie et la théorie de la relativité. Depuis la fin du xixe siècle l’évolution des techniques confronte les scientifiques à des objets infiniment petits ou grands jusque-là invisibles : atomes, électrons, gènes, neurones, neurotransmetteurs, galaxies, etc. La structure de la réalité ne correspond plus aux apparences perçues. L’argument de la complexité, qui affirme que rien ne serait descriptible de manière rationnelle et définitive, pourrait être encore opposé au réalisme. Les sciences contemporaines inventent des éléments avant même de les découvrir. Cette efficacité heuristique du virtuel renouvelle la question du réel : le réel n’est pas ce qui se voit mais état provisoire de notre vision. Pour reprendre l’expression de Philippe Quéau, le virtuel est un « état du réel » : les éléments virtuels des sciences ont une existence épistémologique car ils représentent les fondements de la réalité dont nous n’apercevons que l’apparence phénoménale.

  • 25 . Françoise Balibar, Galilée, Newton lus par Einstein. Espace et relativité, Paris, PUF, Philosophie(...)

38Malgré ce caractère évanescent du réel, la physique corpusculaire a contribué à l’élaboration d’une philosophie dynamique de la matière. L’espace, le temps et la matière ne sont plus séparables mais constituent une continuité : ainsi à l’inverse de l’opposition classique entre l’hypothèse corpusculaire de Newton et l’hypothèse ondulatoire de Huygens, l’analyse de la lumière fonde, selon Louis de Broglie, une dialectique onde-corpuscule. La séparation entre deux descriptions d’un même phénomène ne conduit plus nécessairement à deux théories différentes et supposées inconciliables. Dans la physique des champs, la notion de système permet de concevoir les transformations qualitatives de l’ensemble à partir d’un de ses composants. La notion de champ, comme l’a analysé Françoise Balibar 25, est apparue pour décrire les phénomènes électriques et magnétiques. Les particules ponctuelles comme les protons et les électrons, chacune portant masse et unité de charge électrique, agissent l’une sur l’autre par l’intermédiaire des forces fondamentales électromagnétiques et de gravitation. Mais le doute quant à l’existence de l’objet réel reste entretenu par la découverte en 1956 des neutrinos, particules quasi indécelables car dépourvues de charge électrique. L’objet quantique est un objet de pensée : il n’a pas de position mais une probabilité de position, pas de vitesse mais une probabilité de vitesse. La réalité est élaboré par le langage mathématique sans pour autant que ce langage puisse soumettre l’objet quantique à la logique traditionnelle de la vérification expérimentale.


  • 26 . Niels Bohr, Physique atomique et connaissance humaine [1932-1959], Paris, Médiations, 1961.
  • 27 . Werner Heisenberg, La Nature dans la physique contemporaine, Paris, Gallimard, 1962.

39Ainsi la physique contemporaine paraît avoir réalisé au niveau de la réalité ce que les épistémologues avaient entamé au plan de la théorie scientifique. Niels Bohr 26 démontre le principe de complémentarité en confirmant la dualité onde-corpuscule de la matière : la matière est double, si bien qu’on peut la décrire d’une manière comme d’une autre sans constater de contradiction. C’est la raison pour laquelle la physique des quanta a souvent été comprise à travers le principe d’incertitude formulé par Werner Heisenberg 27 : l’étude de l’atome exige des instruments susceptibles de modifier la mesure même de l’objet. L’incertitude rendrait toute expérience inexacte par l’interaction de la lumière des instruments avec le mouvement des électrons. Mais cette impossibilité de connaître simultanément la vitesse et la position d’une particule élémentaire définit la science comme étude des relations plutôt que comme connaissance des états statiques. Il est vrai que l’échange des quantités d’énergie interdit l’application du modèle expérimental classique. Le principe de superposition des ondes, dégagée par Erwin Schrödinger, force le physicien à prendre en considération non seulement la densité de probabilité dans l’espace d’une particule mais aussi sa modification dans le temps.

40La modification des représentations de la matière, tant en physique corpusculaire qu’en physique de l’univers, prend désormais en compte le temps à l’intérieur même de l’objet scientifique. A. Einstein a remis en cause la notion de référence absolue en démontrant mathématiquement la relativité de tout système. L’univers est désormais à comprendre en quatre dimensions car la mesure de l’espace ne peut plus être séparée de celle du temps. Le temps en physique pose le problème de la nature du mouvement de l’univers : est-il en expansion ou en rétraction ? Les théories du chaos (R. Thom) s’efforcent de prendre en compte à la fois le caractère invisible de la structure cachée de l’univers et la discontinuité apparente des formes de la matière. Le caractère prédictif de la théorie physique ou de la médecine nous conduit en dehors de l’explication rationnelle : il convient désormais de se représenter les modèles comme des possibilités d’action plutôt que comme des potentialités qui s’actualiseraient de manière nécessaire.

  • 28 . Michel Bitbol, L’Aveuglante proximité du réel, Paris, Champs Flammarion, 1998, p. 121.

41Cela signifie-t-il que la réalité atteinte par les sciences est façonnée exclusivement par nos catégories mentales ? Ou que la connaissance de la matière est le résultat de la projection de représentations humaines ? Cette thèse tendrait à mettre l’accent sur le subjectivisme indéfini des sciences : celles-ci ne cesseraient d’approcher la matière qui se déroberait à toute appréhension définitive. Il est vrai que le progrès de nos connaissances confirme cette hypothèse d’une recherche continue du réel. Le réel est-il pour autant voilé, comme l’affirme Bernard d’Espagnat, à moins qu’il ne faille comprendre nos progrès vers lui comme le dévoilement nécessaire de nos erreurs ? Face à ce réalisme structural, l’historien de la physique contemporaine Michel Bitbol s’interroge: « la question de savoir en quoi une théorie physique peut révéler quelque chose de la structure du réel reviendrait à se demander dans quelle mesure le sujet peut appréhender indirectement, à travers son investigation d’un objet par la physique, les préconditions structurales de l’émergence conjointe de lui-même et de cet objet » 28. Le renversement copernicien révélait déjà pour Kant non seulement que toute connaissance est une représentation mais surtout que les phénomènes ne sont que l’apparence de noumènes. Les sciences peuvent-elles prétendre désormais à une connaissance nouménale ? Même s’ils sont invisibles, les atomes, les gènes ou encore les neurones sont des éléments réels de la matière. Nos modèles découvrent les structures de ces éléments : elles ont toujours été là mais nous sont demeurées inconnues en raison des limites de nos techniques et de l’aveuglement de nos représentations. Ce voilement du réel provient d’abord de notre incapacité à être en adéquation avec lui. Les objets toujours nouveaux de la matière ne sont pas de pures fictions mais témoignent de l’effort continu de la rationalité pour rejoindre le réel.


  • 29 . Antoine Danchin, La Barque de Delphes, Paris, Odile Jacob, 1998.

42La tentation finaliste serait ici de croire à une direction de la matière : l’homme, issu de l’évolution naturelle, rejoindrait son origine en établissant des sciences de plus en plus exactes de la réalité matérielle. Kant montrait comment la finalité devait rester un jugement réfléchissant plutôt que déterminant. La tentation est grande d’attribuer une intention à la matière vivante au cours de son développement : or, critique le biologiste Antoine Danchin, rien n’assure que la vie poursuive un sens y compris après le décryptage du génome 29. L’homme aura dû vaincre son orgueil anthropocentriste pour accepter, tout juste au début de ce siècle, le caractère partiel des sciences. En réalisant une psychanalyse des sciences, plutôt qu’un simple dévoilement de l’idiosyncrasie des savants comme le recommandait F. Nietzsche, G. Bachelard proposait d’étudier l’imaginaire des sciences. S’il est vrai que le refuge imaginaire reste toujours une tentation pour s’éloigner de la réalité, l’imagination scientifique peut cependant avoir l’intuition d’une réalité jusque-là cachée.

43Pourtant n’existe-t-il pas dans la matière des sortes d’Idées intelligibles, structure du réel dont la mathématique réaliserait la formalisation ? Comme l’affirmait déjà Platon, les idéalités existent réellement sans que nous puissions nous en saisir tant que les sciences restent au niveau des phénomènes. Que savions-nous de l’ADN et des localisations des gènes avant la modélisation mathématique de la double hélice par F. Crick et J. Watson ? Ce platonisme mathématique, défendue par B. Bolzano (1781-1848), G. Frege (1948-1935), G. Cantor (1845-1918) et B. Russell (1872-1970) affirme que toute question mathématique concerne des objets réels. Il s’oppose au constructivisme selon lequel les objets mathématiques sont des êtres de raison qui n’existeraient que dans la pensée du mathématicien. Comme le platonicien, et contrairement au formalisme (conçu par D. Hilbert [1862-1943] et le groupe N. Bourbaki), le mathématicien constructif reconnaît une certaine réalité aux objets mathématiques mais les différencie, à l’inverse du platonicien, des objets réels. B. Russell critiquera, après l’avoir admis en 1903, le réalisme ontologique pour adopter une théorie des descriptions qui donnera une forme logique aux mathématiques.
44La réalité matérielle peut donc être décrite à l’intérieur d’une logique au moyen des mathématiques. Même si la formalisation paraît nous éloigner de cette réalité, elle facilite la description des structures de la matière. Les sciences ne parviendront jamais à épuiser le réel mais ce mouvement indéfini, que l’on qualifie de progrès, n’est pas linéaire. Au contraire, la discontinuité et la complexité caractérisent la vie et l’univers au point que nos modèles doivent désormais décrire la construction, l’adaptation, la régulation et l’évolution.
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