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 DE (Arts et culture) Les sciences

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فدوى
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فدوى


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14022016
مُساهمةDE (Arts et culture) Les sciences

NDE (Arts et culture)Les sciences
DE (Arts et culture) Les sciences V120066
DE (Arts et culture) Les sciences V120068

L'histoire des sciences, au sens où nous l'entendons en Occident, a bénéficié d'apports spécifiques de l'Inde, au moins dans trois domaines : l'astronomie, les mathématiques et les sciences médicales. D'autres disciplines scientifiques, la physique par exemple, n'ont pas été cultivées en Inde, sinon sous une forme purement spéculative. À bien des égards, la médecine, qui n'est pas sans parenté avec la médecine hippocratique fondée sur lathéorie des humeurs, reste préscientifique, mais elle a suscité une masse considérable d'observations et les méthodes de classification biologique sont très intéressantes. On décrira ici les temps forts et les acquis de l'activité scientifique dans l'Inde ancienne et médiévale, en indiquant les échanges d'idées qu'ils ont suscités entre l'Inde et l'Europe, d'abord au contact de la civilisation grecque et, quelques siècles plus tard, par l'intermédiaire des Arabes.
On considérera donc les sciences au sens moderne du mot, et principalement l'astronomie, les mathématiques et la médecine, qui occupent une position éminente dans l'histoire de la science ancienne, en dehors même des frontières de l'IndeDE (Arts et culture) Les sciences Td_tableau. Cependant, parmi toutes les disciplines savantes qui se sont formulées en sanskrit, ce ne sont sans doute pas les plus caractéristiques. Le droit, la science du dharma (les normes brahmaniques), est plus important, car il imprègne toute la vie quotidienne. La grammairede Pāṇini est la plus hindoue de toutes les sciences, parce qu'elle place d'emblée au cœur de toute recherche intellectuelle la maîtrise de la langue sanskrite. D'autres disciplines, enfin, portent le nom sanskrit de « sciences », śāstra, au sens indigène ou traditionnel du mot, comme l'architecture (śilpaśāstra) ou la science politique (arthaśāstra). Elles réclament d'autres méthodes, un autre éclairage que celui de l'histoire des sciences, et l'on n'en parlera pas ici.
DE (Arts et culture) Les sciences V120066Tableau
[size=13]Inde : repères chronologiques pour une histoire des sciencesRepères chronologiques pour une histoire des sciences dans l'Inde. 

Crédits: Encyclopædia Universalis France[/size]
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Mais l'astronomie, les mathématiques et la médecine partagent avec toutes les autres disciplines savantes un certain nombre de traits caractéristiques et de difficultés d'expression liées à la langue sanskrite et à la versification systématique de la plupart des textes scientifiques en sanskrit. Les textes classiques sont toujours en sanskrit et, en principe, ils sont l'œuvre d'un brahmane. Le genre littéraire le plus couramment pratiqué est mixte et combine un texte de base souvent elliptique (des aphorismes ou des strophes qu'on apprend par cœur) et une abondante littérature de commentaires en prose. Le mode d'enseignement pratiqué depuis toujours est la récitation commentée d'un texte doué d'autorité. De plus, les arts du langage – grammaire et rhétorique – ont usurpé la place d'honneur dans la classification des sciences. Certains auteurs de textes scientifiques ont consciemment cherché à faire œuvre littéraire, et l'on cite souvent l'exemple de Mahāvīra, mathématicien du IXe siècle, qui fait de l'énoncé d'un problème d'arithmétique un poème du plus pur style hindou : « Les branches ployaient sous les fruits et les fleurs ; c'étaient le jambosier, le citronnier, le bananier, les aréquiers et les jaquiers, les dattiers et les paludosa, les lataniers, les muscades, les mangues ; autour des bassins de lotus, les abeilles tournaient, des bandes de perroquets, des coucous chantaient emplissant tout l'espace ; des voyageurs fatigués, à la lisière de ce bois frais et pur, entrèrent, joyeux. Ils étaient 23 ; ils comptèrent 63 régimes de bananes, y ajoutèrent 7 bananes et se partagèrent le tout à parts égales ; dis la mesure d'un régime » (trad. P.-S. Filliozat résumée ; les solutions théoriques forment une suite arithmétique de premier terme 5 et de raison 23, mais concrètement les régimes de bananes portent de 30 à 40 fruits à de 150 à 170 fruits suivant les espèces : les réponses possibles sont donc 51, 74, 97, 120, 143, 166).
La versification a suscité l'emploi de clichés pour noter les chiffres. À travers le jeu illimité des synonymies qui caractérise la langue sanskrite, la valeur numérique des données astronomiques est notée avec précision, au moyen de symboles naturels ou fixés par la tradition. Ainsi nayana (œil) ou bāhu (bras) pour le nombre 2, agni (feu) pour 3 (parce qu'il y a trois feux rituels védiques), adri (montagne) pour 7 (les sept montagnes de l'Inde dans la géographie religieuse), etc. Les mots sanskrits pour « ciel » ou « espace » désignent le zéro, car il s'agit déjà de la numérotation à base dix. L'ordre de l'énoncé des chiffres à l'intérieur du nombre est l'inverse du nôtre et 23 s'écrit par exemple agni-nayana... Mais bien d'autres synonymes peuvent être forgés pour les besoins de la métrique. Ce procédé de notation favorise la conservation du nombre à travers l'incessante retranscription des textes, autre caractère commun à toutes les sciences dans une région du monde où le climat limite la durée de vie des manuscrits à deux ou trois siècles en général, parce qu'ils sont détruits par les moisissures ou la vermine. Le mot symbole, en effet, risque d'autant moins de s'altérer (sous la plume d'un copiste négligent) qu'il est fixé dans le texte par les exigences de la métrique.
À la seule exception des textes d'astronomie, où les nécessités mêmes du calcul réclament de l'auteur qu'il indique avec précision l'époque (le point fixe du temps) où il se situe, un autre caractère commun à l'ensemble des littératures techniques en sanskrit est l'extrême difficulté que nous avons à dater les textes et à identifier leur auteur. Les indications biographiques qui permettraient de localiser et de dater telle ou telle œuvre dont l'auteur paraît être un personnage de légende ont été comme soigneusement gommées pour donner à cette œuvre une dimension immémoriale et, par là, plus d'autorité. Ce procédé scolastique est particulièrement employé dans la littérature médicale. Les seuls indices dont nous disposons, dans de nombreux cas de ce genre, sont les témoignages indirects des voyageurs et des auteurs arabes.
Enfin, le découpage qui est le nôtre, la classification traditionnelle des sciences en Europe, reste étranger à l'esprit des savants indiens. Lorsque l'historien des sciences délimite son champ de recherche selon des critères géographiques, linguistiques et culturels – comme c'est ici le cas, puisque nous voulons décrire des faits spécifiques de l'Inde, des avancées scientifiques formulées en sanskrit –, il convient de respecter la classification des sciences indigènes. On s'est inspiré de l'ordre adopté dans l'Amarakośa (présenté plus loin) en commençant par l'astronomie (le Ciel) pour conclure sur la médecine (l'Homme).[/size]
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فدوى
رد: DE (Arts et culture) Les sciences
مُساهمة الأحد فبراير 14, 2016 11:17 am من طرف فدوى

1.  Astronomie

L'astronomie en Inde naquit pour répondre aux besoins du rituel. Cette première mission des astronomes est formulée dans le Jyotiṣavedāṅga (Ṛk, 36) : « Les Veda ont été promulgués pour les besoins du sacrifice et les sacrifices suivent un ordre fixe dans le temps ; qui donc possède ce jyautiṣa, la science des divisions du temps, possède la science des sacrifices. » Une seconde motivation des calculs astronomiques, fixer la position des planètes pour en tirer des horoscopes, devint prépondérante à partir duIIe siècle après J.-C. L'application de l'astronomie aux problèmes géographiques est demeurée très rudimentaire ; lorsque les modèles grecs de mouvement planétaire fondés sur l'idée d'orbites circulaires furent introduits en Inde, au Ve siècle de l'ère chrétienne, il fallut modifier la cosmologie traditionnelle telle qu'elle était exprimée dans les Purāṇa et autres textes religieux ; les astronomes transformèrent le disque du Jambūdvīpa (le continent central dans la géographie mythique) en une sphère, et le mont Meru (centre du monde) devint le pôle Nord, tandis que les quatre villes imaginaires de Laṅkā, Siddhapura, Yamakoṭi et Romaka idéalement placées sur l'équateur à 900 de distance les unes des autres définissaient quatre méridiens cardinaux : c'est là l'essentiel de ce que l'astronomie apporta à la géographie indienne.
L'histoire de l'astronomie indienne se divise en trois périodes. À l'époque védique (Xe-IVe s. av. J.-C.) s'est constituée une science du calendrier, grâce à laquelle nous est parvenu leJyotiṣavedāṅga (« Appendice astronomique du Veda ») qui avait pour objet d'établir les dates auxquelles devaient avoir lieu les sacrifices périodiques. Même si ce texte est de composition beaucoup plus récente, les notions qu'il fait connaître sont nées au début du Ier millénaire avant l'ère chrétienne. C'est essentiellement la notion de nakṣatra, ouconstellations, et le schéma d'un calendrier luni-solaire dépourvu d'ère et d'échelle des temps. Le Jyotiṣavedāṅga, texte très bref de 36 vers dans la recension incorporée auṚgveda et attribuée à un astronome du nom de Lagadha, fut composé (d'après David Pingree) aux alentours de 400 avant J.-C., lorsque les Achéménides contrôlaient Gandhāra. Introduisant la notion de jour lunaire ou tithi (unité de temps qui était en usage dans les tablettes babyloniennes et qui représente un trentième de la révolution synodique de la Lune) et traitant les nakṣatra non plus comme des constellations, mais comme des mesures d'arcs de 130 20′ chacun sur l'écliptique, le Jyotiṣavedāṅga de Lagadha inaugure une deuxième période de l'astronomie indienne (du IVe s. av. au Ve s. apr. J.-C.), que caractérise l'influence des astronomies étrangères, d'abord mésopotamienne, puis grecque. Au cours de cette période, lorsque, aux IIe et IIIe siècles après J.-C., l'astronomie planétaire des Grecs est introduite en Inde, il s'agit d'un ensemble composite de notions babyloniennes et d'inventions proprement grecques comme celles de libration et de précession des équinoxes, qui viennent d'Hipparque (IIe s.). Deux textes sanskrits portent témoignage de cette astronomie gréco-babylonienne en Inde : le Yavanajātaka(« Horoscopie des Grecs ») de Sphujidhvaja (269-270 apr. J.-C.), qui traduit un original grec malheureusement perdu, et le résumé de plusieurs siddhānta ou « traités d'astronomie » gréco-romains composé postérieurement par Varāhamihira dans saPañcasiddhāntikā (VIe s.). Enfin, une troisième grande période de l'astronomie indienne s'ouvre aux Ve et VIe siècles avec le développement d'une astronomie savante, caractérisée par la mise en œuvre de la fonction trigonométrique sur des modèles planétaires grecs (révolutions à double épicycle, etc.).

  Calendrier, constellations et lunaisons ; instruments astronomiques

Dans le calendrier hindou, l'année civile se compose de douze mois lunaires de trente jours. Le calendrier solaire, que l'Inde emprunta à l'astronomie grecque dans les premiers siècles de l'ère chrétienne en même temps que les signes du zodiaque et la semaine de sept jours, n'a jamais supplanté le comput traditionnel fondé sur les notions de nakṣatra (division de la sphère sidérale et groupe d'étoiles qui détermine cette division) et de tithi (un trentième de la lunaison). Les mois lunaires ont des noms dérivés de celui du nakṣatra (constellation) dans lequel se trouve la pleine lune correspondante. Dès l'époque védique, les textes religieux marquent une hésitation entre 27 et 28 nakṣatra, qui tient au fait que le mois sidéral compte près de huit heures de plus que les vingt-sept jours solaires. Cette hésitation disparaît quand la notion de nakṣatra passe dans le domaine de l'astronomie savante, où elle sert seulement à diviser l'écliptique en 27 arcs égaux. Tandis qu'avant l'introduction des signes du zodiaque en Inde le nakṣatra (au sens de constellation d'étoiles) était utilisé aussi bien pour le repère et le catalogue d'influences des planètes, l'astronomie savante en réserve l'usage aux divisions du mouvement sidéral de la Lune. Il devient une unité de mesure, une division aussi artificielle que le tithi, qui, lui, s'applique au mouvement synodique. Le mois lunaire, défini par la révolution synodique de la Lune écoulée entre deux conjonctions successives avec le Soleil, est divisé en deux moitiés. De la nouvelle à la pleine lune court la « moitié blanche » (śuklapakṣa), et de la pleine lune à la nouvelle la « moitié noire » (kṛṣṇapakṣa). Chaque pakṣa est divisé en quinze tithi. Mais l'année lunaire synodique, composée de six mois de trente jours et six mois de vingt-neuf jours, ne compte que 354 jours vrais au total. La computation du temps à partir des lunaisons entraîne rapidement un décalage entre les mois et les saisons. Dès l'époque védique, on corrigeait cet écart en intercalant un mois supplémentaire tous les deux ans et demi. Les premières tables astronomiques étaient versifiées en utilisant les symboles et les synonymies dont nous avons parlé. Le Sūryasiddhānta (version du IXe s. – VIII, 2) donne par exemple une table permettant de calculer la longitude des étoiles déterminatrices de chaque constellation. On sait que par définition chaque nakṣatra a une valeur angulaire de 130 20′. On mesurera donc la position de l'étoile déterminatrice en ajoutant à la somme des nakṣatra antécédents la distance angulaire de la déterminatrice dans son propre nakṣatra. Les distances angulaires, exprimées en dizaines de minutes, sont énumérées en śloka ou vers sanskrits de deux fois huit syllabes : aṣṭārṇavāḥ śūnyakṛtāḥ pañcaṣaṣṭir nageṣavaḥ... Ces mots désignent les uns des nombres – aṣṭa : 8 ; pañcaṣaṣṭi : 65 –, les autres des choses qui symbolisent des nombres : arṇavāḥ, « océans » = 4 (parce qu'il y a quatre océans) ; śūnya, « vide » = 0 ; kṛta « le premier âge du monde » (où l'ordre cosmique a quatre pieds) = 4 ; naga, « montagne » = 7 (il y a sept montagnes principales) ; iṣavaḥ, « flèches » = 5 (les cinq flèches de l'Amour). Ainsi décodé en rappelant que l'ordre de l'énoncé des chiffres à l'intérieur du nombre est l'inverse du nôtre, ce vers énumère : 48, 40, 65, 57, distances angulaires exprimées en dizaines de minutes de chaque étoile déterminatrice dans sa constellation respective. On peut disposer ces données sous forme tabulaire : Les tables astronomiques disposées par colonnes de chiffres, qu'on appelle koṣṭhaka (tableau compartimenté) en sanskrit, sont d'origine arable. Elles servent à fabriquer les pañcāṅga, ou almanachs, en indiquant le début et la fin des tithi (période durant laquelle l'élongation de la Lune au Soleil croît de 120), des nakṣatra (période durant laquelle la longitude de la Lune croît de 130 20′) et des yoga (période durant laquelle le mouvement combiné du Soleil et de la Lune égale 130 20′).
Le gnomon fut le premier instrument d'observation utilisé en Inde pour fixer les points cardinaux comme l'enseignaient les Śulbasūtra (« Les Aphorismes sur les cordeaux »), règles de géométrie édictées pour la construction des autels védiques. À partir du IVe siècle avant J.-C., le śaṅku (nom sanskrit du gnomon) et la nāḍikā (l'horloge à eau, la clepsydre) furent employés, avec recours aux fonctions linéaires en zigzag, pour déterminer le temps à l'intérieur de l'année solaire et à l'intérieur d'une période donnée de la journée. Les traités sanskrits d'astronomie enseignent un emploi plus élaboré du gnomon pour la mesure du temps local et de la longitude terrestre. Ils mentionnent aussi d'autres instruments qui servaient non pas à l'observation mais à l'illustration, comme la sphère armillaire qu'évoque brièvement Āryabhaṭa (Golapāda, 22). L'astrolabe fut introduit en Inde par les Arabes. Le premier texte sanskrit qui en décrit la construction et l'emploi est le Yantrarāja(« L'Astrolabe » [littéralement « Le Roi des instruments »]) écrit par Mahendra Sūri à la cour de Fīrūz Shāh en 1370. L'influence de l'astronomie islamique s'intensifia au XVIIe siècle avec la traduction de traités persans en sanskrit et culmina au XVIIIe siècle dans l'œuvre de Jaysiṅgh (Jayasiṃha), mahārāja qui fit construire les gigantesques observatoires encore visibles aujourd'hui à Jaipur, Ujjain, Delhi, Mathurā et Bénarès, en imitant ceux d'Ulugh Beg à Samarkand.

  L'œuvre d'Āryabhaṭa

Āryabhaṭa vivait probablement à Patnā (Pāṭaliputra), la capitale des Gupta, au début du VIesiècle. Il indique lui-même (Kālakriyāpāda, 10) qu'il avait vingt-trois ans révolus en 3600 de l'âge Kali, soit le 21 mars 499 après J.-C. Son œuvre, qui domine l'histoire de l'astronomie indienne, ne se limite pas au seul traité qui nous soit parvenu, l'Āryabhaṭīya, mais il écrivit un second traité, malheureusement perdu, où il développait la procédure de calcul astronomique « en minuit » et qui a servi de modèle au Sūryasiddhānta de Lāṭadeva (505 apr. J.-C.). Le traité de Lāṭadeva, lui aussi perdu, ne nous est connu que dans le résumé qu'en a fait Varāhamihira dans sa Pañcasiddhāntikā (milieu du VIe s.). Il faut soigneusement distinguer ce Sūryasiddhānta ancien d'une version remaniée quelques siècles plus tard (IXe s.), qui jusqu'à présent l'occultait. La « redécouverte » du Sūryasiddhānta de Lāṭadeva et la découverte d'une étroite affinité entre les deux canons astronomiques de l'Āryabhaṭīyaet du Sūryasiddhānta ancien sont deux acquis très importants de l'historiographie contemporaine (que l'on doit à P. C. Sengupta, R. Billard et D. Pingree). Roger Billard a démontré que les longitudes moyennes calculées à partir de l'un et l'autre de ces canons convergent et correspondent avec une étonnante précision aux données astronomiques qu'un excellent observateur aurait pu recueillir dans les années 506-515 ; Āryabhaṭa avait alors entre trente et trente-neuf ans. Il y a polémique sur la conclusion à tirer de cette découverte : Āryabhaṭa a-t-il effectué lui-même ces observations, tout à fait remarquables pour l'époque, ou travaillait-il au contraire en pur calculateur sur la base de tables astronomiques importées de Grèce ? Il y a contradiction, ou du moins un « étonnant amalgame » (R. Billard), entre l'exactitude des données astronomiques et l'aberration des spéculations sur la théorie des yuga.
Il semble qu'Āryabhaṭa ait été le premier à spéculer en astronome sur le thème cosmogonique des âges du monde, en élaborant la théorie des yuga, qui assujettit les durées des révolutions astrales à de communs multiples. Le yuga est un cycle au terme duquel se produit un retour des neuf éléments – Soleil, Lune, ses apside et nœud, les cinq planètes – aux même positions moyennes. Au début et à la fin du yuga, tous ces éléments se retrouvent en conjonction moyenne parfaite au point d'origine des longitudes, définissant ainsi une époque charnière entre deux âges du monde. La théorie des yuga, bien qu'elle fût dépourvue de toute signification physique, et les calculs purement fantastiques qui se greffent sur elle pour déterminer des époques purement fictives ont été littéralement sacralisés dans l'Inde classique ; ils imprègnent l'astronomie savante jusqu'au XVIIIe siècle. En pratique, les époques fictives ainsi extrapolées à partir des observations astronomiques disponibles au temps d'Āryabhaṭa, par calcul rétrospectif, se réduisent à celle du Kaliyuga, le début de l'âge Kali, daté du 18 février 3102 avant J.-C. Les canons d'Āryabhaṭa posent à ce moment une conjonction générale des Soleil, Lune, planètes en longitude moyenne au point origine. Précisons que les longitudes sont comptées à partir d'un point de la sphère sidérale, d'un point origine supposé fixe par rapport aux étoiles ; la longitude indienne est ce qu'on peut appeler une longitude sidérale. L'effet de la précession des équinoxes n'entre en compte que dans la conversion des coordonnées écliptiques en coordonnées équatoriales ou locales, l'équinoxe ayant une longitude non nulle. En s'abandonnant au calcul des yuga, l'astronomie perd son caractère « scientifique » au sens moderne du mot pour s'intégrer au système des « sciences » brahmaniques dont l'objet n'est pas de décrire des faits empiriques mais de justifier une cosmogonie religieuse. La théorie des cycles et des conjonctions périodiques des neuf éléments de l'astronomie ancienne a joué le rôle d'un postulat à partir duquel Āryabhaṭa s'est appliqué à retrouver dans la réalité astronomique les nombres d'or, si l'on peut dire, ou valeurs absolues de constantes dont ce postulat impliquait l'existence.
L'Āryabhaṭīya est un traité d'astronomie et de mathématiques extrêmement concis, qui se divise en quatre parties. Le Daśagītikāpāda (« Quart des dix stances en mètre gīti ») exprime des nombres astronomiques importants au moyen d'une notation numérique en puissances de cent à l'aide de l'alphabet sanskrit, très originale, mais restée sans suite en Inde. Les 25 consonnes occlusives dans l'ordre alphabétique traditionnel valent de 1 à 25, soit : ka = 1, kha = 2, ga = 3, gha = 4, ṅa = 5, etc. Le reste des consonnes, semi-voyelles, sifflantes et la consonne aspirée représentent les dizaines de 30 à 100, soit : ya = 30,ra = 40, ..., ha = 100. La valeur de position des chiffres notés par les consonnes est gouvernée par les voyelles et diphtongues : iu, etc., qui les multiplient respectivement par 102, 104, 106, etc. Ainsi : ga = 3, gi = 300, gu = 30 000, ya = 30, yi = 3 000,yu = 300 000, etc. Des abréviations sont possibles, qui permettent d'écrire, par exemple,khyu pour khuyu, comme dans khyughṛ, qui exprime le nombre d'années composant un yuga : khyughṛ = khu + yu + ghṛ = (2 × 104) + (30 × 104) + (4 × 106) = 4 320 000 ans. La dixième stance de cette première partie témoigne des innovations introduites par Āryabhaṭa en trigonométrie – passage d'une table des cordes à une table des sinus – en produisant les différences premières de la table des sinus de base 3438 ou « sinus en minutes d'arc » (3438′ étant la valeur arrondie d'un radian). La deuxième partie du traité, le Gaṇitapāda(« Quart sur le calcul »), en 33 stances, est le plus ancien texte de mathématiques, au sens strict, en sanskrit. Les questions traitées (numérotation décimale à valeur de position ; carrés et cubes ; racines carrées et cubiques ; aires du triangle, du rectangle, du trapèze, du cercle ; volume de la pyramide ; cordes et sinus d'arcs de cercle ; valeur de π ; mesures de l'ombre sur le gnomon ; cercles sécants ; sommes de diverses séries ; solutions d'équations quadratiques ; proportions ; solutions d'équations indéterminées du premier degré à l'aide de fractions continues) sont des questions qui intéressent essentiellement les astronomes. L'étude des cercles sécants servira, par exemple, au calcul des éclipses, et les équations indéterminées serviront à calculer le nombre de rotations des planètes dans un yuga. C'est l'astronomie qui donne ici aux mathématiques leur finalité et leur contexte empirique. La troisième partie du traité d'Āryabhaṭa, leKālakriyāpāda (« Quart sur le temps et les mouvements »), en 25 stances, fixe les unités de temps, décrit deux modèles géométriques de mouvement planétaire, l'un excentrique avec épicycle et l'autre concentrique avec deux épicycles, et donne des règles de calcul des longitudes vraies. La quatrième partie, le Golapāda (« Quart sur la sphérique »), en 50 strophes, étudie le globe terrestre, explique les mouvements apparents des corps célestes et résout des problèmes de trigonométrie sphérique, dont les éclipses. La célèbrestrophe 9 énonce la théorie de la rotation terrestre : « Tout comme d'un bateau allant au fil de l'eau on voit [le rivage] immobile se déplacer en sens contraire, ainsi vont plein ouest, sous l'équateur, les étoiles tout aussi immobiles. » Cette idée que la terre tournait fut rejetée et parfois violemment stigmatisée par les commentateurs et successeurs d'Āryabhaṭa.

  Astronomes et astrologues

Les textes que nous ont laissés les successeurs d'Āryabhaṭa sont l'œuvre moins d'astronomes que de compilateurs et de calculateurs. Ils analysent les révolutions du Soleil, de la Lune et des cinq planètes connues (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) autour du globe terrestre immobile. Ils ont développé les sciences annexes de l'astronomie, et en particulier l'astrologie appliquée aux prévisions météorologiques et à la géographie humaine ; dans ce domaine brille l'œuvre de Varāhamihira.
Varāhamihira vivait dans la région d'Ujjain, vers le milieu du VIe siècle. Nous avons déjà mentionné sa Pañcasiddhāntikā, qui résume des systèmes astronomiques légèrement plus anciens et nous fait connaître le Sūryasiddhānta de Lāṭadeva (qui date du 21 mars 505). Il est aussi l'auteur du Bṛhajjātaka, traité d'horoscopie qui fait autorité en Inde, duLaghujātaka, ouvrage plus court sur le même sujet, de trois petits traités de yātrā ou astrologie militaire et, surtout, de la Bṛhatsaṃhitā (« La Grande Collection »), une encyclopédie des arts divinatoires, qui couvre le domaine de ce que nous appellerions aujourd'hui les sciences de l'homme et les sciences naturelles appliquées : météorologieet calendrier agricole, arboriculture, domestication des animaux ; ablutions, vêtements, médecine pratique, érotique ; parfumerie, pierres précieuses, etc. En dépit de notre intention de ne parler ici que des sciences au sens moderne du mot, nous ne pouvons passer sous silence cette étroite parenté entre les spéculations des astronomes sur les conjonctions astrales et les postulats de l'astrologie, qui gouvernent tous les domaines de la vie pratique.
Deux astronomes et mathématiciens se sont illustrés au VIIe siècle. Un premier auteur, du nom de Bhāskara, composa en 629 un commentaire de l'Āryabhaṭīya, dont il éclairait les règles de calcul par de nombreux exemples, puis deux traités d'astronomie. Son rival, Brahmagupta, est l'auteur du célèbre Brāhmasphuṭasiddhānta (628) et duKhaṇḍakhādyaka (665). Le dernier texte important d'astronomie en sanskrit, leSiddhāntaśiromaṇi, fut écrit en 1150 par un autre Bhāskara, dont nous évoquerons plus loin l'œuvre mathématique.
L'astronomie indienne a été connue des Arabes dès le VIIIe siècle. Une version duBrāhmasphuṭasiddhānta de Brahmagupta fut en effet apportée à Bagdad et traduite en arabe par al-Fazārī en 771 ou 773 sous le titre de Al-Zīj al-Sindhind [= siddhāntaal-kabīr. Mais l'astronomie indienne s'est surtout diffusée en Asie du Sud-Est, au Siam, auCambodge, et jusqu'en Chine, où la Pañcasiddhāntikā fut une des sources du Chiu-chih licomposé à la Cour des T'ang en 718.

2.  Les mathématiques

Après avoir fait l'objet de controverses passionnées, l'originalité des mathématiques indiennes et la dette de l'Occident à l'égard de l'Inde ont été reconnues, assez tardivement et seulement depuis les années 1910. Certes, comme on l'a signalé, l'Inde a emprunté à la Grèce presque tout de l'astronomie. Mais nous devons reconnaître que les idées scientifiques ont cheminé en sens inverse dans le domaine des mathématiques proprement dites. Par l'intermédiaire des savants arabes présents en Inde dès leVIIIe siècle, la conquête musulmane du Sind datant de 712, l'Occident reçut de l'Inde deux acquisitions capitales, qui sont le système décimal (avec la notion de zéro) et la trigonométrie. La numérotation décimale fut incontestablement diffusée par l'Inde, soit qu'elle y ait été inventée, soit que ce pays ait servi de relais entre l'Égypte ou laMésopotamie et nous. La description la plus ancienne actuellement connue du système décimal à valeur de position est celle d'Āryabhaṭa (Gaṇitapāda, 2). Cependant, la notation alphabétique dont on a parlé plus haut, chez Āryabhaṭa, ne servait pas pour la calcul mais pour l'énoncé concis des tables astronomiques. Les textes sanskrits ne nous renseignent pas sur la façon dont, concrètement, on écrivait les chiffres au cours des opérations de calcul. Les chiffres dits arabes, tels que nous les employons, sont considérés par les Arabes comme indiens d'origine. Mais le premier témoignage concret sur l'emploi de ces chiffres dans une opération arithmétique nous est transmis par un traité d'al-Khwārizmī, probablement écrit à Bagdad au début du IXe siècle, dont nous ne possédons plus que des traductions latines faites au XIIe siècle. Al-Khwārizmī s'inscrit dans la tradition des « Sindhind » – traductions arabes de siddhānta sanskrits dont nous avons parlé – et son témoignage formel sur l'origine indienne des symboles numériques (pour les entiers et les fractions) est confirmé par un ensemble de textes d'arithmétique plus récents intitulés al-ḥisāb al-hindī (« calculs indiens ») par leurs auteurs arabes.
Il en est de même en trigonométrie. Les historiens sont aujourd'hui conduits à conclure que la notion de sinus fut une invention indienne. Ptolémée (IIe s.) n'employait pas les sinus, mais les cordes des arcs. Nous avons déjà dit comment Āryabhaṭa, repris par Varāhamihira puis par Brahmagupta avec des bases (ou valeurs de R) différentes, construisait une table des sinus en minutes d'arc de cercle (valeurs de R . sin α). Les mêmes auteurs enseignaient diverses formules pour calculer la valeur approchée de R . sin α. L'une des percées scientifiques ultérieures fut la découverte par Bhāskara au XIIesiècle de la règle d'addition des sinus, ainsi formulée dans le Siddhāntaśiromaṇi (Jyotpatti, 21) : « Les sinus de deux arcs donnés sont multipliés l'un par le cosinus de l'autre et chaque produit est divisé par le rayon ; la somme des quotients est le sinus de la somme des arcs, et leur différence est le sinus de leur différence. » Soit :
DE (Arts et culture) Les sciences V12f0067b01
La trigonométrie indienne ne s'est pas seulement transmise aux astronomes arabes. Un sinologue (C. Cullen) a récemment montré que le moine bouddhiste I-hsing, en 724, dans la Chine des T'ang, avait utilisé la table indienne des sinus à base 3438, qui était reproduite dans le Chiu-chih li (déjà mentionné), la convertissant en table des tangentes pour analyser les mesures de l'ombre du soleil à midi sur le gnomon effectuées en divers points du territoire chinois, dans le cadre d'une vaste enquête astronomique, et pour construire une table de longueurs des ombres, antérieure d'un siècle à celles que produiront les astronomes musulmans.

Dans le domaine algébrique, l'histoire est un peu différente. La méthode de résolution des équations indéterminées à l'aide des fractions continues apparaît chez Āryabhaṭa. Bhāskara l'ancien (VIIe s.) est le premier à la nommer méthode du fractionnement ou, plus littéralement, du « pulvérisateur » (kuṭṭakāra), pour connoter le processus de division continue. Brahmagupta élargit l'emploi de kuṭṭaka, le pulvérisateur, pour désigner l'« algèbre » en général. Il étudie sous ce titre dans le Brāhmasphuṭasiddhānta (chap. XVIII) différentes opérations avec zéro et les irrationnels, des équations quadratiques, des équations à plusieurs inconnues et des équations indéterminées du second degré (N . x2 + 1 = y2) pour lesquelles il possède une solution partielle. L'algèbre indienne dérive-t-elle de sources grecques ? On ne dispose à ce sujet d'aucun indice concluant. Au contraire, Jayadeva (IXe s. ?), cité dans la Sundarī d'Udayadivākara en 1073, puis Bhāskara au XIIe siècle dans le Siddhāntaśiromaṇi (Bījagaṇita, 75) enseignent une solution générale des équations indéterminées du second degré par la méthode cyclique, qui sera redécouverte de façon indépendante en Occident au XVIIe siècle. Il n'y eut vraisemblablement pas d'échanges directs en algèbre, contrairement aux interactions avérées en trigonométrie entre l'Inde et l'Occident, mais une riche tradition autonome de l'algèbre en Inde.
Une technique de calcul illustre le talent des savants indiens pour les permutations, combinaisons et compositions à tiroirs dont par ailleurs la littérature, les arts plastiques et la musique offrent tant d'exemples. C'est le triangle arithmétique, le triangle de Pascal, qui donne la solution d'un problème de mathématiques appliquées dans le domaine de la prosodie et de la métrique. Comment produire dans un poème la plus grande variété possible de mètres en jouant seulement sur les permutations entre syllabes longues [a] et brèves  ? Les traités de métrique annexés aux Veda enseignaient que dans un vers de 3 syllabes il y a 8 mètres différents possibles : aaa, aab, aba, baa, abb, bab, bba, bbb ; que dans un vers de 4 syllabes il y a 16 mètres possibles : aaaa, aaab, aaba, ..., bbbb ; etc. Nous savons depuis Newton que les combinaisons possibles entre longues [a] et brèves dans un vers de n syllabes sont au nombre de 2n et se distribuent dans l'ordre des coefficients du binôme (a + b)n. Les métriciens indiens sont intuitivement parvenus à calculer les divers coefficients de la puissance n du binôme en utilisant un triangle arithmétique ou en sankrit meruprastāra, « développement en pyramide »DE (Arts et culture) Les sciences Td_dessin, que Halāyudha (Xe s.), dans son commentaire aux Chandaḥsūtra ou « Aphorismes sur la métrique » de Piṅgala (chap. VIII, vers 34), décrit de la façon suivante. Au sommet on dessine un carré, puis deux carrés au deuxième étage en partant du haut, accolés l'un à l'autre et débordant chacun de moitié de part et d'autre, et l'on descend en ajoutant un carré par étage, 3 carrés au 3e, 4 carrés au 4e et ainsi de suite, jusqu'à ce que la base de la pyramide contienne un carré de plus que le nombre de syllabes dans le vers qu'on étudie. On inscrit le nombre 1 dans le carré du sommet, les deux carrés du deuxième étage et les deux carrés placés aux extrémités de tous les étages inférieurs. Dans chacun des carrés intérieurs, on marque la somme des nombres inscrits dans les deux carrés qui le chevauchent à l'étage immédiatement supérieurDE (Arts et culture) Les sciences Td_dessin. En procédant de haut en bas, le 3e étage développe les (1 + 2 + 1) = 4 combinaisons possibles entre longues et brèves dans un vers de 2 syllabes, le 4e étage développe les (1 + 3 + 3 + 1) = 8 mètres possibles en un vers de 3 syllabes, le 5e étage les (1 + 4 + 6 + 4 + 1) = 16 mètres possibles avec 4 syllabes, etc. Une lecture plus précise, mais que le texte sanskrit n'enseigne pas, indiquerait la répartition des longues et des brèves dans chaque sous-groupe :
فدوى
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مُساهمة الأحد فبراير 14, 2016 11:18 am من طرف فدوى

3.  Logique et physique

La physique dans l'Inde classique se réduisait aux théories philosophiques de l'école du Vaiśeṣika sur la structure atomique des cinq éléments : terre-eau-feu-vent-éther, les atomes et la causalité. La littérature musicale contient une étude des harmoniques. Mais la physique ne semble pas s'être constituée comme science. Formulé au départ dans des textes distincts, le Vaiśeṣika ou « système des discriminations » de la réalité tendit à fusionner avec le Nyāya, la « logique ». L'étude de cette tradition dite du Nyāya-Vaiśeṣika relève plutôt de la philosophie que de l'histoire des sciences. Elle constitue néanmoins le cadre conceptuel dans lequel s'est développée une véritable science de la logique formelle. La logique hindoue connaît aujourd'hui une vogue inattendue en Occident, pour au moins deux raisons. D'une part, la question des modalités du jugement – souvent ni vrai ni faux mais probable ou douteux, impératif ou optatif – et la question des rapports entre la logique et la grammaire, qui intéressent particulièrement les logiciens contemporains, sont abondamment discutées dans les textes sanskrits. D'autre part, l'essor des recherches historiques sur la logique ancienne en latin et en grec bénéficie aux études sanskrites et suscite un nouvel intérêt pour la « variété indienne » (I. M. Bochenski) de la logique.
L'histoire de la logique indienne se divise en deux périodes. De ses débuts dans lesNyāyasūtra, « Aphorismes sur la logique » (IIe s. apr. J.-C.), jusqu'au XIVe siècle, l'ancienne tradition du Nyāya fit fleurir une immense littérature où l'étude formelle des propositions et du raisonnement conclusif, associée à la physique purement spéculative du Vaiśeṣika, était engloblée dans la métaphysique et la théorie de la connaissance. Mais une autre tendance se fit jour, qui était d'éliminer du Nyāya les questions relevant de la philosophie générale ou de la religion pour ne produire plus que des livres de logique pure, des « traités de raisonnement » (tarkaśāstra). Une autre époque s'ouvre donc au XIVe siècle inaugurée par le Tattvacintāmaṇi, monumental traité de logique formelle de Gaṅgeśa, le fondateur duNavyanyāya, « La Nouvelle Logique ».
Le manuel de logique partout utilisé en Inde dans les collèges sanskrits à l'époque moderne est le Tarkasaṅgraha, « Compendium des raisonnements » ou « des topiques », composé au XVIIe siècle par Annaṃbhaṭṭa. Il enseigne deux formes traditionnelles d'« inférence » (anumāna), où les Européens croient retrouver les uns une variante dusyllogisme d'Aristote, les autres une forme canonique du raisonnement par induction de John Stuart Mill. La traduction suivante vise à donner aux mots importants leur sens technique : « Il y a deux sortes d'inférences, enseigne Annaṃbhaṭṭa (Anumāna, 2), une pour soi et une pour autrui. La première est preuve d'une conclusion qu'on tire pour soi-même. Ainsi, des observations répétées, dans la cuisine ou ailleurs, m'ont fait connaître une loi de concomitance : “Partout où il y a de la fumée, il y a du feu.” Je vais sur la colline, je veux éclaircir un doute sur la présence ou non d'un feu là-bas, j'aperçois de la fumée et je me souviens de la loi de concomitance : “Partout où il y a de la fumée, il y a du feu” [prémisse majeure]. Il s'ensuit alors une prise de conscience : “Il y a de la fumée sur cette colline, et pas de fumée sans feu” ; c'est ce qu'on appelle l'aperception du moyen terme [prémisse mineure]. D'où s'ensuit une nouvelle prise de conscience, la conclusion : “Il y a du feu sur la colline.” » Ce syllogisme présente une dissymétrie des prémisses tout à fait comparable à celle du syllogisme stoïcien : la prémisse majeure énonce un lemme sous la forme d'une proposition hypothétique (si l'on voit de la fumée, alors il y a du feu) ; et la prémisse mineure substitue à l'antécédent (si...), dans cette proposition hypothétique, une proposition déterminée qui déclare vraie une perception actuelle (or, effectivement, il y a...). Ce rapprochement avec la Grèce ne découle pas d'une observation isolée. L'étude comparative des sources sanskrites et grecques, qui se poursuit actuellement, met progressivement en lumière la parenté historique du Nyāya avec la logique stoïcienne.
L'inférence dite pour autrui est plus complexe, du fait qu'on distingue plusieurs niveaux d'énonciation, en glissant du plan psychologique au plan logique, ce qui multiplie les étapes du raisonnement. On distingue la « proposition » (pratijñā), l'« hypothèse » (udahāraṇa) et l'« assertion » (nigamana) :
1. « a est B » [proposition],
2. parce que a est A [preuve],
3. car pour tout x : si x est A, alors x est B, comme on le voit sur l'exemple d'x1[hypothèse],
4. or ici je vois que a est A [constatation],
5. donc a est B [assertion].
L'hypothèse est toujours étayée d'un exemple : « Partout où il y a de la fumée, il y a du feu, comme on le voit dans une cuisine. » L'inférence consiste en un déplacement de notre assentiment d'une représentation donnée (la fumée dans la cuisine) à une information immédiatement voisine (la fumée sur la colline). Une mise en forme négative permet d'obtenir des énoncés plus rigoureux en éliminant diverses illusions possibles : « Là où il n'y a pas de feu, il n'y a jamais de fumée, comme on le voit dans un lac. » On utilise aussi la composition nominale, les suffixes, les gérondifs et d'autres outils grammaticaux de la langue sanskrite pour formaliser les énoncés. On dira par exemple : « Un lac est le support d'une absence permanente de la propriété d'être en feu, absence dont le contraire a pour délimitateur la propriété d'être la fumée. » Un suffixe équivalent à « -ité » en français sert à fabriquer des néologismes équivalents à igné-ité et fumée-ité, qui ont pour seule traduction possible : la « propriété d'être » feu ou fumée. Ces suffixes ont évidemment valeur dequantificateurs logiques, pour dire : « jamais » de feu dans un lac, « jamais » de fumée sans feu. Dans des textes sanskrits d'une complexité redoutable, les logiciens ont mis au point non pas des symboles, mais un système de « clichés » (D. Ingalls), qui leur permit d'avancer dans la construction d'un système formalisé de logique « intensionnelle ». Chaque terme est défini en compréhension (intensionally, disent les logiciens de langue anglaise) par la ou les propriétés essentielles de la classe qu'il désigne.
La logique et la physique sont interdépendantes. La théorie de la structure atomique de la matière vient fonder dans la réalité empirique cette logique des concepts. Les exemples sur lesquels raisonne le logicien sont pris dans le domaine de la physique. C'est ainsi que la théorie de la chaleur, de la lumière et des couleurs, qui sont des incorporels et le produit de conjonctions transitoires entre atomes, fournit toute une série de modèles physiques illustrant des discussions logiques sur la partie et le tout, ou l'essence et l'accident.

4.  Chimie et sciences naturelles

Les sciences naturelles sont infiniment moins développées que la médecine dans l'Inde traditionnelle. Il est vrai que, réciproquement, la science que nous avons pris l'habitude d'appeler médecine et qui se nomme Āyurveda en sanskrit, la « science de longévité », déborde le cadre d'une simple doctrine thérapeutique et englobe toutes les sciences naturelles, la nature offrant à l'homme une immense pharmacie puisque l'on peut tirer des substances médicinales de toutes sortes d'animaux, de végétaux, de minéraux. Cependant, il faut remarquer que la nature n'a jamais été étudiée pour elle-même, mais seulement dans ses aspects pratiques et dans ses effets sur l'homme, son utilité ou ses dangers pour la collectivité humaine. Ainsi, la zoologie est inexistante, mais nous avons en sanskrit de copieux traités d'art vétérinaire, où la doctrine de l'Āyurveda s'applique aux chevaux et aux éléphants. Il n'y a pas de botanique ni de géologie à proprement parler, mais une agriculture et des lapidaires (car l'Inde antique était un grand marché de pierres précieuses).
L'attitude naturelle au pandit, ou savant indien, est de collectionner les noms de toute chose, les synonymes ou périphrases qui la font connaître et les adjectifs qui connotent ses propriétés. Expliquer une notion, c'est énoncer tous les mots qui en cernent le sens. Les saṃhitā, les « collections » scientifiques et principalement les grands traités de médecine et d'astrologie, sont surchargées d'interminables listes de noms de plantes et autres réalités naturelles, ou de signes fastes et néfastes que le praticien cochera mentalement au cours d'une activité de diagnostic ou de pronostic. Dans certains domaines fondamentaux des sciences naturelles comme la zoologie et la botanique, il n'existait, jusqu'au XIe ou XIIe siècle (date des premiers commentaires spécialisés), aucune autre source documentaire que des dictionnaires particulièrement conçus à l'usage des médecins ou des dictionnaires plus généraux composés, dit-on, « à l'usage des poètes » et qui résument l'ensemble des connaissances traditionnelles sur les dieux, la nature et l'homme. Les premiers appelés nighaṇṭu, « dictionnaires de matière médicale », donnent pour chaque être vivant recensé ses noms et synonymes, des indications succinctes permettant de l'identifier sur le terrain (en forêt par exemple) et ses propriétés thérapeutiques, toujours sous la forme de séries de mots versifiées. Le modèle de ces dictionnaires médicaux est le Dhanvantarinighaṇṭu, dont le noyau plus ancien date peut-être du IVe siècle de notre ère, mais qui fut fixé dans son contenu actuel au XIIe siècle. L'autre catégorie de dictionnaires est celle des abhidhānakośa, « trésors de noms », tantôt synonymiques tantôt homonymiques. Le modèle de ces dictionnaires est l'Amarakośa, « Trésor d'Amara », composé par Amarasiṃha (IVe s. apr. J.-C.), dont l'étude et la récitation par cœur marquent (encore aujourd'hui dans les milieux traditionnels) le début de tout bonne éducation sanskrite. Dans sa partie synonymique, les mots sont groupés par thèmes, et la table des matières reproduit à peu près l'ordre du trailokya, l'ensemble des « trois mondes » régis par la loi du dharma, l'ordre social et cosmique selon lebrahmanisme. Livre I : les mondes céleste et infernal, les dieux et les démons, les serpents, les eaux (liées au monde souterrain), le catalogue des lotus et des poissons. Livre II : la Terre, qui fait l'objet d'une taxinomie en dix sections, la terre en général (définition géographique de l'Inde comme centre du monde aryen), la ville (autrement dit, l'espace habité), la montagne (l'espace sauvage), et, dans la montagne, les plantes de la forêt d'une part, les animaux sauvages d'autre part ; aux cinq premières sections qui concernent les sciences naturelles font pendant cinq sections sur ce que nous appellerions les sciences de l'homme, et d'abord l'homme en général (termes de parenté, noms de maladies, etc.), puis la hiérarchie des quatre varṇa ou catégories de la société brahmanique. C'est ici que l'on trouvera les matériaux linguistiques concernant la flore et la faune cultivées ou domestiquées : dans la section des kṣatriya (les nobles), l'élevage et le maniement des éléphants et des chevaux, animaux royaux en vertu de leur importance militaire ; chez les vaiśya (les producteurs), l'élevage, l'agriculture et la nomenclature des céréales, des légumes et des bovins. Cette taxinomie est purement utilitaire et anthropocentrique ; remarquons, incidemment, qu'elle fournit une clé de la classification traditionnelle des sciences en Inde, et c'est pourquoi nous avons plus ou moins suivi dans le présent article le plan de l'Amarakośa.
L'inventaire de la flore sauvage, les « plantes de la forêt » (vanauṣadhi), est suffisamment riche pour constituer aujourd'hui encore, dans les collèges de médecine ayurvédique, le premier des manuels de botanique. S'il n'en est pas de même du catalogue des animaux, lui aussi fort détaillé dans l'Amarakośa, c'est seulement que la matière médicale d'origine animale est tombée en désuétude. Les dictionnaires spécialisés, les nighaṇṭu, sont cependant plus riches en synonymes, et la synonymie est méthodiquement employée comme un outil de connaissance. Chaque synonyme ajoute un détail à la description de la chose étudiée. Ainsi, le ricin se nomme tour à tour « queue-de-tigre » (allusion à la forme des branches), « cinq-doigts » (forme des feuilles) ou « main de Gandharva » (voyezpalma-Christi en latin), « ennemi du vent » (ce qui connote ses propriétés antirhumatismales), etc. Cette technique de description des choses par accumulation des noms est caractéristique d'une culture centrée sur la parole, la transmission orale du savoir et les recherches linguistiques.
La partie de l'art médical qui traite du rasāyana, l'art du rajeunissement et la recherche de l'immortalité, contient déjà en germe l'alchimie, tradition sans doute aussi ancienne que l'Āyurveda classique (début de notre ère) mais dont les débuts nous sont très mal connus.Nāgārjuna, alchimiste fameux auquel sont attribués plusieurs traités importants et que mentionnent de nombreuses sources tibétaines, chinoises, arabes, pourrait faire un seul et même personnage avec le patriarche bouddhiste du même nom (IIe s. apr. J.-C.), si l'on suit la tradition indienne à ce sujet qu'attestait déjà au VIIe siècle le pèlerin chinois Hiuan-tsang dans son Mémoire sur les contrées occidentales. Le mot rasa désigne le « chyle » et les « sucs organiques » dans les textes médicaux anciens ; à partir du IVe siècle, il est employé dans des textes de chimie et de magie médicale pour désigner le « mercure » ou l'« essence » de corps pris à l'état natif, comme le cinabre (sulfure de mercure), et soumis à divers procédés d'extraction, purification et calcination. Rasāyana, qui désignait « la voie des sucs organiques » dans la médecine ancienne, autrement dit les cures de jouvence, est ainsi devenu le nom sanskrit de l'alchimie.
Les collections médicales de Suśruta et de Caraka (début de notre ère) décrivent, dans certaines recettes de pharmacie, des procédés chimiques comme la préparation de lessives concentrées servant de « caustiques » (kṣāra) ou le « traitement du fer » (ayaskṛti), entrant dans la composition d'un vin médicinal. Ce vin, prescrit contre le diabète, consiste en une calcination de feuilles d'acier en présence de sels devant aboutir à la formation d'un mélange d'oxyde, de chlorure et d'oxychlorure de fer ; ces sels de fer sont alors soumis à fermentation par macération avec plusieurs dizaines de substances végétales ; le vin ainsi obtenu, qu'on appelle Ayaskṛti, n'a jamais cessé d'être fabriqué de la même façon depuis deux millénaires, et on le trouve en vente aujourd'hui encore dans toutes les pharmacies ayurvédiques. Bien que la pharmacie ancienne de l'Inde fût essentiellement composée de substances végétales, les traités de Suśruta et de Caraka proposaient quelques prescriptions contenant de l'or ou d'autres métaux, argent, cuivre, fer, étain ou plomb ayant subi des traitements chimiques, et d'autres substances minérales comme les pyrites, le réalgar, le soufre. Il y a des incertitudes et des débats entre les historiens sur l'interprétation des noms de substances chimiques en sanskrit. Il ne semble pas que Caraka ait mentionné le mercure. Apparaissant une seule fois, semble-t-il, dans la collection de Suśruta (Cikitsā, chap. XXV, stance 39), le mercure entre dans la composition d'un onguent à appliquer sur le visage contre certaines éruptions cutanées. Il devint par la suite une véritable panacée, et, dès le VIIe siècle, dans la collection de Vāgbhaṭa, sont prescrites plusieurs préparations mercurielles à prendre par voie buccale.
La métallurgie indienne s'est développée de bonne heure. Au temps du Périple de la mer Érythrée, texte grec du début du IIe siècle de notre ère qui nous renseigne sur le commerce de l'Inde avec l'Occident, le fer était un article d'exportation ; il s'agissait certainement d'un acier de cémentation produit à partir de magnétite dans le sud de l'Inde. Les textes arabes ne tarissent pas d'éloges, jusqu'au XVIIIe siècle, sur les lames de sabre qu'on forgeait, à Damas en particulier, avec l'« acier indien ». D'autres témoins de la perfection des techniques métallurgiques sont les piliers anciens en fer presque pur, comme celui qui fut dressé à Delhi au XIe siècle, mais fabriqué vraisemblablement au IVe siècle. Opérations et appareils de chimie sont décrits dans une littérature spécialisée, dont l'interprétation est difficile, et accessoirement dans les chapitres de pharmacie des textes médicaux. Deux traits de la chimie indienne sont particulièrement remarquables : une opération donnée (ébullition, calcination, etc.) est souvent répétée un très grand nombre de fois (101 fois, ou même 1 001 fois recuite, dit-on) pour aboutir à un produit quasi « pur » (siddha) ou « parfait » (saṃskṛta) ; d'autre part, les substances organiques sont largement employées comme réactifs. Le chimiste dispose d'un arsenal de réactifs naturels : urines, beurre clarifié, lait, vinaigre de paddy, latex ou jus végétaux acides ou astringents, écorces saponifiantes, etc. La chimie reste en continuité avec les sciences de la nature.

5.  Médecine ou science de la vie

Parmi les trois sciences qui furent les plus développées dans l'Inde, astronomie, mathématiques et médecine, cette dernière est celle qui répond le mieux au modèle brahmanique traditionnel des sciences. Les sciences brahmaniques sont normatives, elles fixent des règles de vie sur le chemin de la sagesse, elles enseignent ce qu'il convient de faire pour atteindre « les quatre buts de l'existence humaine » (puruṣārtha), le plaisir, la prospérité, la vertu et la délivrance. Or, dira le médecin, la santé non seulement participe de la nature des deux premiers buts de l'homme, le plaisir et la prospérité, mais elle est aussi la condition nécessaire des deux autres buts, la vertu et la délivrance. L'Āyurveda, la « science » (veda) visant à protéger et prolonger la « longévité » (āyus), est une biologie au service de l'homme, une science subordonnée aux impératifs de la sagesse.
Les maîtres de l'Āyurveda ressemblent aux premiers savants de la Grèce ancienne qui se nommaient des physiologues. Les ayurvédiques partagent avec les physiologues grecs plusieurs traits caractéristiques : ce sont des observateurs de la nature, ils sont en quête d'une sagesse, et leur système du monde est vitaliste. Une force vitale, pensent-ils, anime chacun des règnes de la nature, elle sourd du sol sous la forme de sucs, de sèves, d'humeurs, de fluides nourriciers ; cette idée fondamentale, développée en Inde et en Grèce, a donné naissance à la théorie des humeurs.
فدوى
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مُساهمة الأحد فبراير 14, 2016 11:18 am من طرف فدوى

  La théorie des humeurs

Comme la médecine d'Hippocrate, la médecine ayurvédique de l'Inde est humorale ; les maladies et le tempérament du patient résultent de l'altération ou de l'équilibre de certains fluides vitaux comme la bile et le flegme. Les historiens (en particulier J. Filliozat) ont mis en évidence de nombreuses similitudes entre les théories grecques et indiennes concernant les humeurs et le pneuma (souffle ou vent circulant comme un fluide dans l'organisme). Ces idées se sont largement diffusées dans le monde antique, tant au Moyen-Orient qu'en Asie du Sud-Est, au cours d'échanges très anciens et peut-être antérieurs aux conquêtes d'Alexandre (IIIe s. av. J.-C.). D'un côté l'Égypte et la Perse, et de l'autre le Tibet et la péninsule malaise ont joué le rôle de carrefours de civilisation. Mais, tandis que les historiens des sciences et les philologues, hellénistes et sanskritistes, étudient les traditions savantes dans les textes d'Hippocrate, de Suśruta, de Caraka et deGalien, les ethnologues et les linguistes spécialisés en ethnoscience (l'étude des taxinomies populaires) ont effectué de nombreuses enquêtes locales, et ils ont décrit des versions populaires ou vernaculaires de la théorie des humeurs, fondées sur une dichotomie entre nourritures froides et nourritures chaudes, sur une polarité du froid et du chaud. Bien qu'elle soit tout à fait obsolète, si on la juge selon des critères purement scientifiques, la théorie des humeurs est une question d'actualité pour les ethnologues. D'une part, en effet, elle fournit des repères et des éléments d'explication à ceux qui cherchent à comprendre la vogue des « médecines douces » en Occident et les résistances de la société contemporaine à la médecine scientifique. D'autre part, cette question suscite un débat entre les historiens et les ethnologues. Les théories savantes ont-elles systématisé des croyances populaires ? Ou bien, à l'inverse, les versions locales de la théorie des humeurs, dans les langues vernaculaires, résultent-elles d'une diffusion, d'une vulgarisation des doctrines savantes ? Les historiens et les ethnologues qui étudient actuellement la médecine ayurvédique veulent élucider les processus de traduction des idées scientifiques d'une langue dans une autre, et en particulier les rapports entre la langue savante (le sanskrit) et les langues vernaculaires.
La physiologie et la pathologie sont construites sur les interactions de trois humeurs : le vent, la bile et le flegme. Les humeurs sont à la fois des fluides nourriciers, des fonctions physiologiques et, par l'équilibre ou le déséquilibre de leur jeu à trois, les causes les plus générales des maladies. En schématisant à l'extrême, on peut dire que l'excès de vent entraîne des troubles comme la cachexie ou les rhumatismes, l'excès de bile certaines formes d'hémorragie, l'excès de flegme des œdèmes. En réalité, c'est toujours une subtile combinaison des trois humeurs qui expliquera une situation pathologique donnée. Les connaissances anatomiques sont restées très rudimentaires. Certes, depuis le XIXe siècle sous l'influence de la médecine occidentale, les praticiens de la médecine ayurvédique se sont accoutumés à visualiser le corps humain et à localiser les parties affectées par telle ou telle maladie interne dont ils ont posé le diagnostic ; mais cet intérêt pour l'anatomie est le résultat d'un effort pour mettre à jour les connaissances et les méthodes traditionnelles. La carence de l'anatomie comme science dans l'Inde s'explique d'abord par les interdits religieux, les règles de pureté brahmanique, qui détournent le praticien de tout contact avec le sang et les cadavres. On trouve succinctement décrite, dans la collection de Suśruta (Śārīra, chap. V, paragr. 49 en prose), l'étude anatomique de cadavres qu'on a laissés se décomposer au fil de l'eau pendant plusieurs jours ; mais cette curieuse indication reste isolée. De nombreux organes étaient répertoriés, mais l'idée qu'on se faisait de leur rôle – le rôle de l'estomac, du cœur, des poumons – restait confuse. La méconnaissance de ce que l'on appelle aujourd'hui le « trajet anatomique » des fonctions vitales s'explique encore par une autre raison. C'est que le corps humain n'était pas vu comme un système d'organes ayant une forme fixée, déterminée et localisable sur une planche d'anatomie, mais comme un faisceau d'énergies fluides.
Les fluides vitaux se diffusent à travers le réseau très ramifié des canaux du corps : le vent circule comme un influx nerveux animant les mouvements corporels, la bile est un feu liquide qui alimente en énergie les fonctions de digestion et de vision, le flegme fournit l'élément aqueux et assure la cohésion des parties du corps, la souplesse et la solidité des articulations. Aux trois humeurs s'ajoute une série de sept autres principes actifs de l'organisme : le chyle, le sang, la chair, la graisse, l'os, la moelle et le sperme, qui s'engendrent les uns les autres par une série de cuissons successives à l'intérieur du corps. Le sang résulte de la cuisson du chyle, la chair de la cuisson du sang, etc. Cette physiologie fantastique, où les parties solides du corps résultent de la cuisson des liquides, reproduit à petite échelle le jeu des grandes forces de la nature, le feu et l'eau, et l'image de la circulation des sèves végétales mûries par le soleil. La théorie des humeurs est donc aussi une théorie des correspondances entre les forces de la nature et les principes actifs de l'organisme humain. Correspondances qui expliquent que les saisons, le climat, les habitudes alimentaires d'une région donnée conditionnent le tempérament et l'état de santé de ses habitants. La médecine humorale s'intéresse moins à l'individu qu'à la collectivité. Situant toujours la personne du patient dans son environnement climatique et social, la pathologie prend la forme d'une écologie et d'une biologie des populations.

  Les collections de Suśruta, de Caraka et de Vāgbhaṭa

Un signe évident de la position centrale de la biologie (l'Āyurveda qui, nous l'avons dit, est bien plus qu'une médecine) parmi les sciences dans l'Inde, c'est que les śāstra, les textes classiques, sont dans ce domaine beaucoup plus anciens qu'en astronomie ou en mathématiques. L'astronome par excellence, Āryabhaṭa, vivait au VIe siècle, et le mathématicien dont les manuels se sont imposés comme classiques, Bhāskara, ne vient qu'au XIIe siècle parachever l'œuvre de ses devanciers. La doctrine classique de l'Āyurveda apparaît, au contraire, sous une forme parfaitement achevée dès le début de notre ère. L'énorme littérature de textes sanskrits médicaux qui s'est développée par la suite, et jusqu'au XXe siècle, se compose essentiellement de résumés, de commentaires et de glossaires des grandes collections antiques.
Les textes fondamentaux sont deux gros traités fixés au début de l'ère chrétienne dans la forme où ils sont parvenus jusqu'à nous, mais résultant d'une longue élaboration : laSuśrutasaṃhitā, « collection de Suśruta », et la Carakasaṃhitā, « collection de Caraka ». Comme souvent dans les littératures techniques de l'Inde ancienne, il serait illusoire de proposer une date plus précise. Les données que transmettent ces textes sont antérieures de plusieurs siècles sans doute à la période de leur rédaction finale, et certains passages, certains chapitres sont beaucoup plus anciens que d'autres, comme le laissent entrevoir de nombreuses discordances internes. Mais ces collections n'ont encore fait l'objet d'aucune étude philologique approfondie. Parmi tous les flottements doctrinaux qu'un lecteur attentif perçoit intuitivement et qui seraient utilement précisés par des analyses de style et la statistique lexicale, deux au moins méritent d'être mentionnés. Il est possible, tout d'abord, que des chapitres plus récents, où le vent (le pneuma) est décrit comme la plus importante des trois humeurs, aient été ajoutés à des chapitres plus anciens, qui ne faisaient seulement état que d'une dichotomie de la bile et du flegme. Le pneumatisme, la théorie du vent organique, paraît être d'invention plus récente que les idées de bile et de flegme. Il est aussi possible que certains chapitres d'anatomie qui exposent la théorie desmarman, les « points vulnérables », soient l'écho d'une tradition différente et concurrente de la médecine des humeurs. Dans d'autres chapitres, en effet, où la théorie des humeurs gouverne l'exposé, la notion de points vulnérables est redéfinie ; il ne s'agit plus des lieux du corps dont l'atteinte, par une blessure au cours d'un combat par exemple, entraîne une syncope ou la mort, mais de lieux affectés par des flux de vent, dans le mouvement des humeurs qui se portent à la tête, au cœur, à la vessie. Faute de tenir compte de ces glissements de sens, les traductions actuellement disponibles ne sont pas fiables.
Au VIe ou au VIIe siècle, Vāgbhaṭa (Vāhaṭa dans les graphies du sud de l'Inde) a condensé l'enseignement de Suśruta et Caraka en un troisième traité dont le rayonnement fut immense, l'Aṣṭāṅgahṛdayasaṃhitā, « collection de l'essence de [la science en] huit articles ». Ce traité, très tôt traduit en tibétain et connu jusqu'en Perse, fit l'objet de nombreux commentaires médiévaux, et l'on rencontre encore dans le sud de l'Inde de rares érudits capables de réciter de larges portions de ses huit mille distiques qu'ils ont appris par cœur au cours de leurs études. L'ensemble des trois saṃhitā (« collections ») de Suśruta, Caraka et Vāgbhaṭa constitue la « Grande Triade », autrement dit le socle littéraire de la doctrine classique. Elles formulent en gros le même enseignement, tout en se distinguant entre elles par leur orientation et la région de l'Inde où leur autorité scientifique est dominante. L'école de Suśruta privilégie la chirurgie et le centre de son rayonnement est dans l'est, à Bénarès. L'école de Caraka se dit surtout compétente en médecine interne ; elle domine dans l'ouest, par exemple à Jamnagar (Gujerat) où fonctionne une importante université ayurvédique. L'école de Vāhaṭa a fleuri dans le Sud et spécialement au Kerala ; on admire surtout le « Livre des principes » (Sūtrasthāna), dans la collection de Vāgbhaṭa (Vāhaṭa), parce qu'il est plus concis et plus systématique que ses prédécesseurs. La tradition classique fondée sur cette Grande Triade est restée parfaitement vivante jusqu'à nos jours, à l'exception notable de la chirurgie dont nous parlerons plus loin.
D'autres traités fameux furent composés en sanskrit, tels le Siddhasāra de Ravigupta (VIIe s.) dont on possède des versions en khotanais et en tibétain, et, surtout, leMādhavanidāna, « Étiologie de Mādhava » (VIIIe s.), qui remania la classification traditionnelle des maladies et fixa l'ordre désormais canonique dans lequel on décrit les maladies dans les écoles de Suśruta et de Caraka. Suśruta, Caraka, Vāgbhaṭa et leMādhavanidāna étaient connus en Perse ; ils sont mentionnés et brièvement résumés en arabe dans le Paradis du savoir de ‘Alī b. Sahl al-Ṭabarī (849-850 apr. J.-C.). À partir duXe siècle s'est développée une abondante littérature de commentaires sans lesquels le texte des traités anciens serait aujourd'hui incompréhensible et qui donnent parfois l'équivalent des noms sanskrits de plantes médicinales dans telle ou telle langue régionale, ce qui permet de les identifier. Des dictionnaires de matière médicale, des textes de vulgarisation composés en vers sanskrits jusqu'au début du XXe siècle, complètent la littérature savante de la médecine ayurvédique. Malgré les remaniements introduits par Vāgbhaṭa et Mādhava, la doctrine était constituée dans tous ses détails dès le début de notre ère, et l'histoire n'est ici qu'une longue scolastique. Il est frappant de retrouver aujourd'hui dans les pharmacies en Inde plusieurs centaines de remèdes ayurvédiques dont la recette, fort complexe comme on va voir, est strictement fidèle à des textes deux fois millénaires.

  Structure d'un traité de médecine

Accompagné dans les éditions savantes de tel ou tel de ses commentaires les plus autorisés, chacun des trois grands traités classiques occupe près de mille pages imprimées in-80. Ils ont la même structure d'ensemble, qui diffère beaucoup de la division primitive du domaine médical. Comme l'indique le titre de la collection de Vāgbhaṭa, la médecine indienne était à l'origine une science en huit articles : médecine interne, médecine de la tête et de la gorge (les yeux et l'oto-rhino-laryngologie), chirurgie, toxicologie, psychiatrie, pédiatrie, cures de rajeunissement, aphrodisiaques. Ce schéma s'efface dans les traités classiques dont l'orientation est encyclopédique. Ils commencent tous par un Livre des principes, suivi d'une Étiologie, d'une Anatomie, d'une Thérapeutiqueet d'une Pharmacie ; les spécialités médicales « oubliées » dans les livres précédents sont rejetées dans un Appendice. (Caraka complique ce schéma, sans vraiment le modifier.) Nous présentons ici ces textes de manière à faire ressortir non pas les aspects médicaux (car ce n'est pas le sujet de cet article), mais la visée scientifique. Voici le sommaire de l'Aṣṭāṅgahṛdayasaṃhitā, la collection de Vāgbhaṭa, qui reprend en les simplifiant les exposés de ses deux devanciers. Le Sūtrasthāna, « Livre des principes », expose la théorie des humeurs et la taxinomie des maladies et des remèdes. Une taxinomie, précisément, est un ensemble de principes de la classification des formes vivantes. Par le biais des maladies et des remèdes, c'est l'ensemble de la flore, de la faune et des minéraux qui est inventorié. Ce que nous appelons aujourd'hui l'écologie et la géographie humaine est inclus dans le tableau d'ensemble, qui constitue par ailleurs une source de documentation très complète sur les techniques corporelles, depuis celles de la vie quotidienne, hygiène et manières de table, jusqu'aux traitements cathartiques (massages sudorifiques, purges, vomitifs et lavements) ; la chirurgie vient en complément de lacatharsis. Le Śārīrasthāna, « Livre d'anatonomie », contient tout ce qui, parmi les « choses du corps » (sens précis de śārīra), pouvait être objet de science avant la naissance d'une véritable anatomie : il traite de génétique et embryogénie, il décrit les vaisseaux où circulent les humeurs en mouvement, il étudie les signes de la mort. La parenté, la germination, le sexe, la circulation, la respiration, la mort sont autant de questions scientifiques pour les ayurvédiques. Le Nidānasthāna (Étiologie) et le Cikitsāsthāna (Thérapeutique) se répondent terme à terme. L'un dresse le tableau des maladies internes, de la fièvre au rhumatisme ; l'autre prescrit des remèdes. D'un côté, les « maladies » sont susceptibles d'être des signes les unes des autres. De l'autre, chaque remède a de multiples indications thérapeutiques bien qu'il soit rangé dans l'une des cases du tableau des maladies. Ce tableau a l'extraordinaire propriété logique de se simplifier ou de se compliquer à volonté. Simplifié, il se réduit à la liste d'une vingtaine de maladies. Une lecture attentive, sous l'angle de la taxinomie, montre qu'elles sont rangées dans l'ordre des trois humeurs : maladies de la bile (fièvre, hémorragie...), du flegme (ascite, œdème...), puis du vent (arthrite...). Inversement, en un point quelconque de ce tableau se déploient à volonté de nouvelles facettes, lorsqu'un signe est promu au rang de maladie (on passe de fièvre à délire, par exemple), ou lorsqu'on souligne telle ou telle indication thérapeutique d'un remède donné : sous la rubrique arthrite, par exemple, on trouve une composition à base de gourde amère, de neem et d'ellébore qui guérit aussi les ulcères, l'anémie ; cela complique et diversifie le tableau. Les ethnologues ont confirmé la validité de cette interprétation de la taxinomie ayurvédique, une classification qu'on appellerait aujourd'huipolythétique. Le Kalpasthāna (Pharmacie) enseigne les règles de fabrication des remèdes composés ; ils sont essentiellement à base végétale, mais bien que les ayurvédiques orthodoxes soient réticents devant l'iatrochimie, les textes de kalpa, de « pharmacie », décrivant toutes sortes de procédés de cuisson, calcination, saturation, etc., constituent une source documentaire capitale pour l'histoire de la chimie. Enfin, l'Uttarasthāna(Appendice) donne leur place aux spécialités médicales déjà énumérées. Le traité se conclut sur l'étude des élixirs de longue vie. On peut dire que la médecine est une biologie doublée d'une magie.

  Biologie, chirurgie, pharmacie

La dualité de l'âme et du corps, qui est une notion si familière aux Occidentaux qu'elle leur paraît aller de soi, est aussi présente à l'esprit des savants indiens, mais elle ne leur est pas aussi évidente et s'efface le plus souvent devant un schème beaucoup plus fondamental dans la pensée collective et partout présent dans les textes sanskrits : la triade ou division de la personne humaine en corps, parole, pensée. Toute action s'analyse ainsi, et particulièrement dans les sciences normatives comme le droit et la médecine : la maladie, comme l'impureté et la faute, résulte d'un « manquement à la sagesse » qu'on peut toujours décrire à trois niveaux, dans les actes du corps, dans les actes de parole, dans les actes de pensée. Cette division aide à concevoir la place de la médecine, des choses du corps et de la biologie dans l'ensemble des sciences traditionnelles. C'est Bhartṛhari (Ve s.), l'un des plus importants théoriciens et philosophes du langage et de la grammaire en Inde, qui nous livre la clé de cette classification des sciences authentiquement hindoue (Vākyapadīya, Brahmakāṇḍa, strophe 146) : « Les impuretés qui se trouvent dans le corps, dans la parole et dans la pensée sont guéries par les enseignements de la médecine, de la grammaire et du yoga. » En énumérant médecine, grammaire et yoga, Bhartṛhari réunit toutes les recherches pratiques qui constituaient dans l'Antiquité la science de l'homme. Remarquons que la psychiatrie se partage entre la médecine, parce que la vie mentale est liée au jeu des humeurs, et le yoga, les exercices spirituels. Mieux encore, chaque science a ménagé en son sein des ouvertures en direction des deux autres. C'est ainsi qu'un bon praticien garde toujours présente à l'esprit la division en corps, parole, pensée et en tient compte dans son diagnostic.
Les chapitres que les traités anciens, spécialement la collection de Suśruta, consacrent à la chirurgie, posent à l'historien un problème difficile à résoudre. Ils témoignent de l'existence de techniques chirurgicales raffinées : en obstétrique par exemple, la césarienne et l'embryotomie sur un fœtus mort ; en chirurgie plastique, la réfection du nez par greffe, etc. Mais le triomphe de l'idéologie végétarienne et non violente a fait disparaître toute pratique chirurgicale chez les médecins de haute caste à une époque encore mal définie. La science est normalement l'affaire des brahmanes. Or la médecine déborde le cercle étroit des savants pour affronter la douleur, le sang, la mort. Il en résulte une hiérarchie des formes d'action thérapeutique, des plus douces (une décoction de plantes médicinales, qui respecte le régime végétarien des brahmanes) aux plus violentes (la chirurgie). Les praticiens orthodoxes ont donc, à une date ancienne mais que l'état actuel de nos connaissances ne permet pas de préciser, cessé d'assumer les aspects violents de leur art. Dans le même temps et par compensation, ils ont raffiné et compliqué l'emploi des évacuants dans la « catharsis » (śodhana). Purges, vomitifs et lavements sont administrés sous contrôle médical, précédés de massages et de douches qui huilent le corps puis le font transpirer, au cours d'une hospitalisation d'une ou plusieurs semaines. On dispose d'une panoplie de décoctions, de ghīs (beurres clarifiés) et d'huiles de composition variée ; recettes et programmes de cure sont, aujourd'hui encore, fidèlement copiés dans les grandes collections. Un rapprochement historique éclaire ces relations ambiguës entre chirurgie, catharsis et pharmacie.
Celse (début de l'ère chrétienne) se fait l'écho (De medicina, Préface, 9) d'une division de la médecine en trois parties à l'époque hellénistique en Occident : la diététique (qui soignait par le régime), la pharmaceutique (par les médicaments) et la chirurgie (par l'action des mains). Caraka (Vimānasthāna, chap. VII, 14-15) rapporte une division identique. Il y a trois méthodes thérapeutiques : par « extraction » avec le secours de la main, par « dissolution du facteur de base » au moyen des médicaments, et par « abstention des choses dont on dit qu'elles sont pathogènes » ; autrement dit, chirurgie, pharmacie, et diététique. Des textes plus récents distinguent dans chaque catégorie des applications externes et des médications internes. Dans la méthode par extraction, par exemple, il convient de distinguer selon l'Aṣṭāṅgasaṅgraha (VIIe s.) : « Extraction externe : en cas de nodosité, tumeur, orgelet, parasite, pointe de flèche, etc., au moyen du couteau, de la main, des pinces, etc. Extraction interne : au moyen de vomitifs, purgatifs, etc. » La chirurgie (par le couteau) et la catharsis (par les évacuants) sont deux méthodes d'extraction. Son caractère sanglant dévalua la chirurgie, tandis que la catharsis occupait à elle seule toute la case extraction sur l'échiquier des méthodes thérapeutiques, en s'alliant harmonieusement aux deux autres. La cure parfaite combine un régime, une purge (par l'emploi d'évacuants appropriés) et des remèdes de type galénique, à base végétale. Une seule et même règle gouverne les deux méthodes « douces » que sont la dissolution du terrain pathogène par les médicaments et l'abstention des aliments ou comportements pathogènes par le régime. Cette règle est omnipotente et rappelée sans cesse : « On guérit les contraires par les contraires » ; les maladies froides par un régime et des remèdes échauffants, le dessèchement par l'onctuosité. Comme nous l'avons déjà noté dans le domaine de la logique formelle, une comparaison détaillée entre textes sanskrits, grecs et latins met en évidence des similitudes de vocabulaire et des parentés d'idées. On peut dire que l'Āyurveda est une version orientale du galénisme.
En un seul domaine l'influence étrangère est patente : l'astronomie savante de l'Inde est née d'un emprunt à la science grecque. Dans les autres domaines du savoir, les échanges furent nombreux, prolongés sur de longues périodes pluriséculaires, et ils jouèrent dans les deux sens. L'histoire de la logique et l'histoire de la médecine, en Inde, ne peuvent manquer de prendre en considération les traces de tels échanges avec pour l'une le stoïcisme, et pour l'autre le galénisme. Mais l'Inde ne se cantonne pas à ses frontières géographiques ou politiques. Les sciences que nous avons décrites se sont diffusées au Tibet, en Asie du Sud-Est et jusqu'en Chine. Á partir du VIIIe siècle, enfin, les Arabes jouent un rôle fondamental en traduisant toutes sortes de textes scientifiques indiens. Ils ont transmis à l'Occident l'essentiel des mathématiques indiennes. Ils sont souvent nos seuls témoins, lorsqu'il s'agit d'identifier ou de dater une source sanskrite.
Francis ZIMMERMANN
 

DE (Arts et culture) Les sciences

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