Rendant son rapport au Congrès après une enquête de
plusieurs mois, la commission d’enquête parlementaire concluait : « Le
gouvernement a échoué parce qu’il n’a pas tiré parti des expériences
passées, ou parce que les enseignements qui auraient dû être tirés n’ont
pas été mis en œuvre. Si les attentats du 11 septembre ont été l’échec
de l’imagination, alors Katrina a été l’échec de l’initiative. Cela a
été l’échec du commandement. [81] »
Confrontés à une catastrophe connue et largement
annoncée, les responsables américains se montrent incapables tant de
prendre les mesures pour en limiter les effets que de réagir de manière
efficace à une crise qui a pourtant eu de nombreux précédents dans le
passé. Alors même que d’importants moyens sont disponibles pour juguler
la catastrophe, qu’il s’agisse des structures et des dispositions
prévues par le National Response Plan, ou des moyens militaires, engagés
trop tardivement, les autorités hésitent à les employer et semblent
paralysées par l’ampleur de la crise avec laquelle elles sont en prise.
L’échec de Katrina sanctionne l’impréparation des
autorités fédérales à une menace à laquelle elles ont cessé de croire.
L’obsession de la lutte contre le terrorisme qui anime l’administration
Bush à partir du 11 septembre 2001 la conduit à concentrer tous ses
efforts sur ce seul objectif, négligeant la prévention des risques
naturels et la préparation à la gestion de crises provoquées par de
telles menaces, détruisant un outil pourtant conçu pour empêcher le
désastre de Katrina : la FEMA. Quant au DHS, il ne ressemble guère à
l’instrument de sécurité globale vanté par le président Bush au moment
de sa création, apparaissant tout au contraire empêtré dans sa lourdeur
bureaucratique. Aussi, l’échec de Katrina est bien une faillite du
dispositif de sécurité intérieure des Etats-Unis, incapable de faire
face à un risque naturel, à l’image du plus pauvre des pays du
Tiers-Monde.
L’ampleur de la crise a suscité une violente polémique
sur les nécessaires adaptations à apporter à la gestion des crises
intérieures aux Etats-Unis. Dans l’agitation générale, ont été tant
envisagées la dissolution de la FEMA, pour la seconde fois de son
histoire, ou la suppression du Posse Comitatus Act, qui vient limiter
les pouvoirs des armées sur la scène nationale. En pratique, deux points
font particulièrement débat.
Le premier débat concerne la gestion des crises
intérieures et l’équilibre qui doit être trouvé entre le rôle de
l’administration fédérale et celui des autorités locales. Si la gestion
exemplaire par la Floride de plusieurs crises, comme l’ouragan Charley
en 2004, plaide en faveur de la gestion des crises par les seuls Etats,
il faut rappeler que les plus petits ou les plus pauvres des Etats n’ont
pas la capacité de faire face à des désastres naturels sans
l’assistance de l’administration fédérale. Ils ont en outre la plupart
du temps démantelé leurs structures de gestion de crises naturelles pour
se préoccuper principalement du terrorisme, encouragés en ce sens par
d’importantes subventions fédérales. Une étude menée par le DHS en
novembre 2005, évaluant les plans de catastrophe des 75 villes les plus
importantes du pays et des 50 états a ainsi montré que seule la moitié
des états s’estimaient capables de faire face à une crise naturelle[82].
A l’inverse, la tentative de l’administration Bush de placer la gestion
des crises au seul niveau fédéral, lors de l’ouragan Rita qui frappe
l’Amérique deux semaines après Katrina, a provoqué une violente levée de
boucliers de la part des gouverneurs, à commencer par le propre frère
du président, Jeb Bush, qui écrit alors dans une tribune du Washington
Post : « en tant que gouverneur d’un Etat qui a été frappé par 7
ouragans et deux tempêtes au cours des 13 derniers mois, je peux dire
avec certitude que la fédéralisation de la gestion des secours lors de
catastrophes serait un désastre comparable à celui de Katrina. »[83] En
pratique, il semble indispensable de rédiger désormais les futurs plans
de secours en distinguant nettement entre, d’une part, les crises de
faible intensité, pouvant être traitées par les Etats, et, d’autre part,
les événements catastrophiques, nécessitant d’être pris en compte par
le gouvernement fédéral.
Ce débat entre les pouvoirs de l’administration fédérale
et ceux des Etats se pose également à propos du renforcement du rôle de
l’armée dans les opérations intérieures. La crise de Katrina a en effet
souligné l’intérêt de l’intervention des militaires, seuls à posséder
une capacité logistique et des moyens qui les mettent à même de pouvoir
gérer une situation de crise. Lors de l’ouragan Rita, c’est
symboliquement depuis NORTHCOM, centre du commandement militaire des
Etats-Unis, et non depuis le DHS que le président Bush s’est rendu pour
suivre le déroulement des opérations. Le 15 septembre 2005, dans un
discours prononcé à la Nouvelle-Orléans, il déclare même : « Il est à
présent clair qu’un défi de cette ampleur exige des pouvoirs fédéraux
plus importants ainsi qu’une implication accrue des forces armées,
l’institution de notre gouvernement la plus capable de mener des
opérations logistiques considérables en peu de temps. »[84] Cet
accroissement du rôle des forces armées peut toutefois être envisagé de
deux points de vue. Du point de vue du gouvernement fédéral, il
s’agirait naturellement de renforcer les pouvoirs du Pentagone et du
commandement militaire compétent pour les Etats-Unis, NORTHCOM. Du point
de vue des Etats, c’est au contraire le rôle de la Garde Nationale,
trop longtemps délaissée et sacrifiée au profit des forces armées
d’active, qui demande à être renforcé. Le commandant de Northcom
lui-même, l’amiral Keating, avait souligné les avantages de faire
commander une opération sur le territoire américain par un officier de
la Garde Nationale : la majorité des forces engagées dans un désastre
appartiennent à la Garde Nationale, celle-ci étant familière avec le
terrain local et la culture locale, entretenant des liens étroits avec
les responsables des premiers secours (pompiers, forces de sécurité),
tandis que la communauté locale connaît et a confiance dans la Garde
Nationale qui fait partie intégrante de la communauté. Aussi, de
nombreux adjudants généraux de la Garde Nationale considèrent que
Northcom devrait être un commandement confié à la Garde Nationale, la
mission de ce commandement géographique militaire étant essentiellement
de « dissuader, prévenir, et combattre des menaces et des agressions
commises à l’encontre des Etats-Unis[85] », mission qui nécessite des
procédures et une politique commune pour agir en interaction avec les
responsables des Etats.
Première puissance du monde, les Etats-Unis sont
aujourd’hui confrontés tant à la remise en question de leur politique
étrangère, à travers les échecs subis en Afghanistan et en Irak, que de
leur propre modèle de gestion de crises intérieures. A travers ce
dernier débat, c’est toute la conception traditionnelle du fédéralisme,
élément fondateur de la culture américaine, qui est aujourd’hui remise
en jeu. Dans l’immédiat, sonnée par Katrina, en dépit des nombreux
rapports qui tentent de proposer des solutions pour remédier aux
carences constatées lors de la crise, l’Amérique ne peut que constater
la cassure de sa capacité de gestion de crises : la préparation à la
menace d’une épidémie de grippe aviaire, au printemps 2006, s’est faite
en ordre dispersé, plusieurs Etats refusant ouvertement de tenir compte
des instructions fédérales pour mettre en œuvre leur propre régime de
quarantaine, dans un climat de confusion et de chaos. Sans doute le plus
bel aveu de l’impuissance du gouvernement fédéral a été fait
involontairement par le Secrétaire de la Sécurité Intérieure, Michael
Chertoff, qui déclare, lors de la conférence annuelle consacrée aux
ouragans, à Orlando : « A la fin du jour, nous savons que la
responsabilité de la préparation de crise n’est pas uniquement entre les
mains du gouvernement. Les citoyens ont aussi un rôle important à jouer
à leur niveau. Je crois qu’ils ont une responsabilité civique à prendre
des mesures décisives pour se préparer à la saison des ouragans, tout
spécialement s’ils en sont capables. Les gens doivent se préparer à se
prendre en charge pendant les 72 premières heures après une catastrophe –
parce que les responsables des premiers secours peuvent ne pas être
capables de s’occuper de chaque personne au cours du premier
jour.[86] », constatant ainsi que, dans une crise aux Etats-Unis, les
gens doivent d’abord se débrouiller seuls…