ionale, France, 14e promotion du CID.
Cette étude donne à réfléchir sur les
relations entre risques et société. Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina
frappe la côte des Etats-Unis, provoquant la plus grave catastrophe
naturelle de l’histoire du pays. Face à ce désastre, les Américains
découvrent l’impuissance des pouvoirs publics qui, à tous les niveaux,
se montrent incapables de prendre les mesures nécessaires pour gérer la
crise, agissant dans la confusion et le chaos. Quatre ans après les
attentats du 11 septembre 2001, qui avaient révélé la vulnérabilité
extérieure des Etats-Unis, l’ouragan Katrina souligne la vulnérabilité
de leur dispositif de sécurité intérieure. Ce qui sanctionne durement le
choix de l’administration Bush de ne se consacrer qu’à la seule lutte
contre le terrorisme, négligeant ainsi la prise en compte des risques
naturels.
Mémoire réalisé au Collège Interarmées de Défense dans
le cadre du séminaire "Géopolitique des Etats-Unis" dirigé par Nicolas
Kessler.
LE 29 AOUT 2005, l’ouragan
Katrina frappe la côte des Etats-Unis, ravageant une zone de 235 000
kilomètres carrés, soit l’équivalent de la moitié du territoire
français. Katrina se révèle être l’ouragan parfait, la combinaison de
vents puissants dépassant 220 km/h, d’une pression barométrique
extraordinairement basse et d’une marée haute provoquant un raz-de-marée
pratiquement deux fois plus important que celui causé par l’ouragan
Camille en 1969. Aussi, les dégâts sont considérables. Ouragan de
catégorie 5, soit la plus haute sur l’échelle de Saffir-Simpson, tuant
plus de 1300 personnes, Katrina provoque la catastrophe la plus
meurtrière depuis 1928 et sème sur son passage destructions et
désolation, l’ensemble des dégâts matériels occasionnés étant évalués à
près de 100 milliards de dollars[1]. Si trois Etats sont
particulièrement touchés – le Mississipi, la Louisiane et l’Alabama –
c’est l’inondation complète de la Nouvelle-Orléans, 35ème ville du pays
comptant plus de 470 000 habitants, à la suite de la destruction
partielle de son système de digues, qui marque le plus les esprits,
nécessitant la mise sur pied d’une gigantesque opération de secours.
Face à cette catastrophe naturelle qui apparaît comme la plus
destructrice de l’histoire des Etats-Unis, les Américains découvrent
avec stupeur la paralysie de leur administration : à tous les niveaux de
l’Etat, local, étatique ou fédéral, la confusion règne en maître.
L’Amérique est profondément humiliée. A l’image de la
Thaïlande, ravagée quelques mois plus tôt, en décembre 2004, par un
tsunami qui avait fait des milliers de morts, la plus grande puissance
du monde doit avouer son impuissance face à la colère des éléments et
son incapacité à faire face à une crise sur son propre sol. Les médias
du monde entier reprennent en boucle les images des survivants hagards
de la Nouvelle-Orléans, réfugiés sur leurs toits en attendant
d’hypothétiques secours, des cadavres qui jonchent la ville pendant
plusieurs semaines et des scènes de violence qui se produisent dans les
lieux de regroupement des réfugiés, que ce soit au Superdome ou au
Centre de Conventions. Les Etats-Unis sont même obligés de solliciter
l’aide internationale, certains de leurs plus farouches adversaires,
comme Hugo Chavez au Venezuela ou Fidel Castro à Cuba, s’offrant le luxe
de lui proposer leur secours[2].
L’ampleur du chaos provoque une violente polémique sur
les choix de l’administration Bush, accusée d’avoir sacrifié à son
obsession de la lutte antiterroriste la sécurité de son pays. Comme
l’écrit alors Daniel Vernet dans le Monde, « A quoi sert-il de vouloir
garantir la sécurité des Américains en se battant en Irak, voire en
tentant d’y implanter la démocratie, si dans le même temps il n’est pas
possible de les protéger contre des aléas certes naturels mais dont les
conséquences au moins devraient être humainement maîtrisables ? »[3]
Pour beaucoup, l’intervention en Irak est une faute majeure, qui a
notamment conduit à priver la Garde Nationale d’une partie de ses forces
qui lui auraient été précieuses pour pouvoir intervenir plus rapidement
sur la scène de crise[4]. Bien que l’étude de l’engagement des moyens
de la Garde Nationale démontre le contraire, cet argument porte au but
et fragilise profondément l’administration Bush. En outre, cette crise
politique se double d’une crise sociale : au pays du melting pot, les
Américains découvrent le visage d’une autre Amérique, où les Noirs
figurent en grand nombre tant parmi les morts de Katrina que parmi les
survivants de la Nouvelle-Orléans[5]. Pour Ross Douhat, de l’Atlantic
Monthly, le cyclone Katrina signe « l’anti-11 septembre : il y a quatre
ans, tous étaient égaux devant la mort, les financiers et les
secrétaires » ; avec Katrina, « les divisions de classe et de race
ressortent », le pasteur noir Jesse Jackson évoquant même des images
dignes de « la cale d’un bateau au temps de l’esclavage »[6]. L’émoi
provoqué par le désastre de Katrina est tel qu’il décide le Congrès à
nommer une commission d’enquête parlementaire, composée dans des mêmes
proportions de représentants des partis républicain et démocrate, pour
comprendre les raisons d’un tel échec, la Maison Blanche procédant de
son côté à sa propre enquête au sein de l’administration fédérale.
L’ouragan Katrina a en effet infligé un échec cinglant à
l’hyperpuissance américaine. Si la violence de l’ouragan rend aisément
compréhensible l’importance des dégâts subis par les Etats dévastés, en
revanche, la réaction confuse des pouvoirs publics trahit leur
impréparation à une catastrophe qui constitue pourtant une menace
habituelle dans un pays frappé chaque année par plusieurs ouragans.
Cette impréparation trouve ses racines dans le traumatisme subi par
l’Amérique après les attentats du 11 septembre 2001, qui ruinent le
mythe de l’invulnérabilité légendaire du territoire des Etats-Unis : dès
lors, l’obsession majeure du président Bush comme de l’administration
fédérale est de forger un outil destiné à prémunir les Etats-Unis contre
la répétition de ce traumatisme, en l’occurrence, le Département de la
Sécurité Intérieure[7], conduisant les responsables fédéraux à négliger
la prise en compte des risques naturels, considérée comme une menace
secondaire, laissée à la charge des Etats et des pouvoirs locaux.
Ceci explique comment, alors même que la menace que
représentait Katrina était parfaitement connue, elle n’est pas prise en
compte par les pouvoirs publics qui ne se consacrent qu’à la seule lutte
contre la menace terroriste. Cette impréparation se paie au prix fort :
intervenant au dernier moment dans une crise qu’elle n’a pas su
anticiper, l’administration fédérale s’avère impuissante à remédier à la
confusion qui règne au sein des pouvoirs publics locaux. Jusque-là
considérée comme un pôle d’excellence, l’effondrement de la FEMA[8],
l’agence fédérale de gestion de crises, sanctionne l’erreur des choix
stratégiques d’une administration davantage préoccupée par les menaces
extérieures et la sécurité du monde que la sécurité de son propre pays.
Quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001, qui avaient montré
la vulnérabilité extérieure de l’Amérique, l’échec de l’ouragan Katrina
souligne ainsi la vulnérabilité intérieure de l’Amérique et les failles
de son dispositif de sécurité intérieure.