Ce que l’on appelle vulgairement l’anticléricalisme et que l’on doit, plus précisément, qualifier de « catholicophobie » remonte en France – à l’évidence – aux débuts du protestantisme. Après avoir ensanglanté la France durant la seconde la seconde moitié du XVIe siècle, elle fut réduite à néant au XVIIe siècle, mais allait revivre, sous sa forme moderne, au XVIIIe siècle et de façon beaucoup plus radicale.
Pour la plupart des philosophes, il ne s’agit plus en effet de réformer l’Eglise mais de la détruire comme le proclame Voltaire dans sa tristement célèbre formule « Ecrasons l’infâme ! ». La Révolution athée est le fruit de cette furieuse offensive, mais, après ses meurtrières divagations, le catholicisme devait revivre et se développer de nouveau, grâce au Concordat de 1801 que Bonaparte eut d’ailleurs le plus grand mal « à faire passer » tant le voltairisme avait infesté les esprits.
La catholicophobie refit surface sous la Restauration, l’Eglise et la Monarchie étant apparemment liées dans les esprits de l’opposition libérale qui allaient devenir, à partir de 1830, franchement républicaine. Notons pourtant que, sous Louis-Philippe, l’Eglise connaît de leur part un moment de répit et même par la suite sous la seconde République, le Clergé se laisser tenter ici ou là par les sirènes libérales.
Mais, sous le second Empire, la catholicophobie va reprendre de plus belle dans l’opposition républicaine où les idées se radicalisent à tous les sens du terme, positivisme et socialisme devenant les idéologies à la mode. S’y joint en outre le fait que, Napoléon III étant le soutien politique et militaire du pouvoir temporel de la Papauté, le clergé français ne peut que soutenir le régime bien qu’il juge par ailleurs sévèrement son amoralité.
En 1871, lorsque la France hésite entre Monarchie et République, il apparaît aux tenants de cette dernière que le Clergé a de nouveau partie liée avec le projet de restauration des Bourbons. Aussi, lorsqu’en 1877, les républicains imposent leur forme de République, le Catholicisme leur apparaît plus que jamais l’ennemi à abattre. C’est lui qui forme l’esprit des enfants à l’école, lui dont le clergé est si nombreux, si puissant et si riche qui influence les esprits contre l’apothéose républicaine résumée par Jules Ferry : « Construire une société sans roi et sans Dieu ». Il faut noter, qu’à la même époque, le jeune Clemenceau fait inscrire au programme du parti radical la séparation de l’Eglise et de l’Etat et que « le Grand Orient », l’obédience maçonnique la plus importante en France, celle qui va inspirer de bout en bout la lutte antireligieuse, supprime dans ses statuts toute allusion au « grand architecte de l’univers » devenant ainsi ouvertement athée. Les bases du programme républicain sont toutes déjà mises en place…
C’est Jules Ferry qui va conduire le premier assaut avec, pour objectif, la création d’une école gratuite laïque et obligatoire, laquelle doit fabriquer en grande série des petits républicains qui seront les électeurs de demain. Pour ce faire, il va s’attaquer aux écoles catholiques tenues par les « congrégations », les ordres religieux en somme, qui constituent le maillon faible de l’Eglise de France. Il en est ainsi pour deux raisons :
La première est que le clergé séculier, les évêques en particulier, n’aiment guère ces ordres, trop puissants, trop riches, trop indépendants surtout et donc ne les soutiendront que très mollement, ravis en outre de les voir détourner à leurs dépens les foudres républicaines. Jeu dangereux comme l’avenir le prouvera.
La deuxième raison est une curiosité juridico-historique. Bonaparte qui, en homme du XVIIIe siècle qu’il était, détestait les religieux avait soumis la Constitution des congrégations à autorisation préalable du pouvoir. Par la suite ce dispositif, sans être juridiquement abrogé, était tombé en désuétude si bien que la plupart des Congrégations s’étaient créées ou recréées sans en passer par une autorisation préalable. Il n’était donc que de réanimer le système pour mettre en contravention avec la loi les congrégations et procéder alors à leur dissolution ainsi qu’à la saisie de leurs biens.
Sans entrer dans les détails des conflits politiques du moment, constatons seulement que les Congrégations d’hommes « non autorisées » furent supprimées en bloc le 29 mars 1880. 261 couvents furent crochetés et 5000 religieux expulsés. Suivirent les lois de laïcisation de l’enseignement public et l’exclusion des Congrégations autorisées qui y travaillaient. Les textes éliminent alors la notion d’enseignement « religieux » et le remplacent par l’enseignement « civique ». La première phase de destruction du catholicisme en France : le couper de ses bases enseignantes, était ainsi réalisée et l’on pouvait s’attendre à des rafales de textes législatifs ou réglementaires nouveaux s’attaquant alors au cœur même de l’Eglise de France et au Concordat.
Néanmoins, il en fut autrement car, durant 10/12 ans, jusqu’e 1898, la gauche républicaine et la franc-maçonnerie, dont elle était l’instrument furent paralysées par des aventures et des scandales : le boulangisme, le scandale des décorations, la faillite de l’Union générale, l’affaire Panama surtout.
Profitant de cette trêve, qu’ils interprétèrent à tort comme un revirement de fond en leur faveur, les dirigeants catholiques parvinrent à obtenir le retour à petit bruit des congrégations expulsées et surtout s’imaginèrent qu’il était, au fond, possible de cohabiter avec la IIIe République. Ce fut la politique dite de « ralliement » engagée en 1892 avec l’appui de Léon XIII et son Encyclique, rédigée en français, « au milieu des sollicitudes ».
En réalité, après une période d’observation et d’incertitude la gauche républicaine craignait de voir se constituer un puissant parti religieux qui lui contesterait le pouvoir par les voies électorales. Il lui fallait donc cerner l’Eglise de la République en relançant la politique antireligieuse des années 1880 en utilisant pour cela l’affaire Dreyfus opposant de vertueux républicain à de méchants cléricaux antisémites. Salomon Reinach devait d’ailleurs proclamer par la suite « Sans l’affaire Dreyfus, la France serait devenue une république cléricale ».
L’assaut final qui va déboucher sur la loi de 1905 résulte du succès de la gauche aux élections de 1902 où le Président du Conseil, Waldeck-Rousseau, proclame : « Il faut faire la guerre aux faux et aux vrais ralliés »… Cette guerre-là va être conduite, sous sa forme incandescente, de 1899 à 1907 par deux présidents du Conseil Waldeck-Rousseau et Combes et ces deux Présidents du Conseil seront également ministres de l’Intérieur et des Cultes, ce qui marque bien la priorité qu’ils attachent à la lutte antireligieuse et aux moyens qu’ils concentrent dans leurs mains pour la conduire à son terme.
En face d’eux Léon XIII, épuisé, ne peut opposer que de faibles protestations, prisonnier qu’il est de ses options antérieures et Waldeck-Rousseau, le premier, en profite. Il déclenche l’assaut contre les congrégations, là où Jules Ferry l’avait laissé. Sa loi de 1901 sur les associations soumet les Congrégations à un régime d’exception. 25 Congrégations enseignantes sont dissoutes suivies par 28 congrégations prédicantes. Il le peut car l’opposition, mollement soutenue par Rome, laisse faire et les évêques, qui tentent de tirer leur épingle du jeu, font le gros dos. La lâcheté des modérés, bien loin de calmer l’agressivité de la franc-maçonnerie, la fait redoubler d’ardeur et comme le constate Cambon, notre très remarquable ambassadeur à Londres et bon républicain : « La poignée de sectaires qui mène la chambre pousse le ministère aux pires sottises à cause de la veulerie du parti conservateur et catholique. »
En juin 1902, Combes succède à Waldeck-Rousseau et reprend en l’aggravant la même politique. Il s’agit pour lui de couper d’abord l’Eglise de France de Rome et ensuite de mettre celle-ci sous sa tutelle en soumettant le clergé à l’autorité des laïcs. C’est le retour à la Constitution Civile du Clergé des années 1790. Mais cette fois il va trouver en la personne de Pie X un homme résolu et obstiné qui jamais ne reculera d’un pas. Chose curieuse, Combes avait vu son élection avec sympathie car la réputation du cardinal Sarto était celle d’un bon curé de campagne facile à circonvenir et à intimider. Il devait en revenir… et de loin.
Le 4 août 1903, le cardinal Sarto est élu pape. De celui qui sera Saint Pie X, Pie XII dira : « Personne de plus doux, de plus aimable, personne de plus paternel » mais « face aux attentats contre les droits sacrés de Dieu et de l’Eglise i l savait se dresser comme un géant dans toute la majesté de son autorité souveraine. » Toutefois, ajoute Pie XII « Point de prépondérance excessive de la force sur la prudence mais au contraire, ces deux vertus, qui donnent comme l’onction sacrée à ceux que Dieu a choisis pour gouverner, furent chez Pie X équilibrées à un point tel qu’il apparaît aussi éminent dans l’un que sublime dans l’autre. »
Ajoutons que, dans ce grand combat pour l’Eglise que Pie X conduira jusqu’à sa mort, et dont les fruits seront recueillis par son successeur Benoît XV, celui-ci marquera toujours son amour profond et sa profonde admiration pour la France. Nulle hostilité à priori et encore moins nulle rancune ne marqueront son attitude à son égard mais, bien au contraire, des marques constantes de bienveillance et de sollicitude.
Dès son élection, Pie X se trouve confronté à une loi, déposée en 1903 et votée le 28 mars 1904, qui retirait aux congrégations autorisées le droit même d’enseigner, créant ainsi un régime d’exception aux dépens des catholiques. Immédiatement Pie X réagissait par une protestation solennelle réprouvant celle loi comme « une injuste et odieuse exception ». Les réactions pontificales rendaient ainsi un autre son que par le passé. Mais notons qu’en parallèle, il avait prononcé héroïcité des vertus de la vénérable Jeanne d’Arc et l’authenticité des miracles du vénérable Vianney, curé d’Ars, marquant ainsi qu’il l’écrira « sa sincère affection pour l’illustre nation française » et « sa spéciale déférence pour son gouvernement ».
Mais ce dernier, au lieu de prendre en compte la puissance de conviction du nouveau pontife pour tempérer ses ardeurs, durcissait au contraire son attitude. Le pape le gênait, eh bien on l’éliminerait du jeu, comme il était prévu mais plus vite que prévu. Dès lors, se lançant dans une provocation délibérée, Loubet, président République, effectuait, début avril, un voyage officiel à Rome alors que, celle-ci ayant été occupée par la violence par le roi d’Italie en 1870, pas un seul chef d’Etat catholique n’avait accepté depuis de s’y rendre. Aussi, le 28 avril, le Saint Siège élevait – par le canal des chancelleries – une protestation“formelle”. Celle-ci avait un caractère confidentiel mais Jaurès, complice évident de Combes, la rendait publique, pour envenimer les relations avec le Vatican tandis que le gouvernement rejetait la note sans même y répondre et rappelait son ambassadeur au Vatican. Les événements se succédèrent, dès lors, rapidement.
Le 1er août 1904, le Vatican ayant demandé à deux évêques français de se rendre à Rome pour un motif disciplinaire, le gouvernement le leur interdit et somme le pape de revenir sur sa convocation. Pie X répond qu’il agit le plus légalement du monde dans le cadre du Concordat tout en soulignant : « Le grand intérêt qu’il attache au maintien de bonnes relations avec la République ». Rien n’y fait, avec une parfaite mauvaise foi, il lui est répondu « que ces relations, par la volonté du Saint Siège se trouvent sans objet » et, cette fois, c’est l’ambassade de France au Vatican qui est supprimée. Consterné, l’ambassadeur Cambon écrit dans sa correspondance : « On peut tout dans le monde sauf imposer une direction raisonnable à des sots ».
Les sots en question avaient – ils en étaient convaincus – rompu les liens entre le Vatican et l’Eglise de France. Il leur restait à la réduire « a quia » en lui supprimant ses ressources et en la plaçant sous contrôle laïc. C’est tout le sens de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat que Combes déposait le 10 novembre 1904. Ceci posé quelque temps plus tard le ministère Combes tombait pour d’autres raisons, et c’est Briand qui allait faire voter la loi et l’appliquer sous les gouvernements Rouvier et Clemenceau. La dite loi allait être votée en décembre 1905. Elle entraînait le 11 février 1906 la célèbre encyclique « Vehementer nos », modèle de vigueur mais aussi de mesure et de lucidité.
De cette loi, Cambon écrira : « C’est l’Eglise esclave dans l’Etat tyran qu’ils veulent » et Pie X proclamait : « Eh bien surviennent les événements les plus durs, ils nous trouveront prêts et sans peur ».
Cette loi de Séparation à trois effets essentiels : Elle constitue une déclaration solennelle d’athéisme de l’Etat français en proclamant en son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Le Régime n’a désormais plus d’autres référence que les à-coups d’un suffrage universel, manipulé en sous-main par la franc-maçonnerie. Elle représente une loi d’exception visant une catégorie de citoyens définie sur des bases confessionnelles et frappée dans les moyens et l’exercice de son culte. Les établissements publics du culte sont “supprimés” (art. 32) et les biens du clergé séculier, après ceux des réguliers, leur sont retirés. Des inventaires conduits par les agents du fisc seront systématiquement pratiqués. C’est une spoliation immense et scandaleuse qui n’a jamais été, à ce jour, réparée.
Surtout, elle crée d’étranges institutions, les “cultuelles”, chargées de gérer les édifices voués au culte. Or ces culturelles, associations de droit commun par ailleurs, seront en outre chargées de l’organisation du culte alors que la loi leur fait obligation d’être composées en majorité de laïcs. Dans le même esprit – ou la même absence d’esprit – les cultuelles, en cas de conflit avec le clergé, doivent faire appel au Conseil d’Etat qui devra en trancher. Par ce biais, c’est la constitution civile du clergé de la Révolution de 1789 qui revoyait le jour et, désormais, des coteries de laïcs, manipulées par le gouvernement, pourraient tenir en échec l’autorité hiérarchique de l’Eglise.
Ainsi les lois d’exception qui s’étaient suivies depuis 1880 trouvaient avec la loi de 1905 leur triste couronnement. Ayant déjà vu ses congrégations dissoutes, leurs biens saisis et l’interdiction faite à leurs membres d’enseigner, l’Eglise de France était frappée à son tour en plein cœur dans son existence même. Ses biens et édifices cultuels lui étaient retirés, ses prêtres se voyaient supprimés leurs traitements ou leurs pensions et donc, démunis de tout moyen d’existence, devaient s’en remettre à la charité des fidèles. Enfin, à travers les Cultuelles, elle était soumise pour l’exercice même du culte au contrôle de l’Etat et ce sans aucun moyen de défense puisque les relations diplomatiques avec Rome étaient rompues et le Concordat de 1801 unilatéralement dénoncé.
Pie X qui suivit la mise en application progressive de la loi intervenait alors le 10 août 1906 par l’encyclique « Une fois encore ». Par ces deux interventions, il interdisait rigoureusement la constitution des dites cultuelles. Il fut suivi, sans aucune défection par l’ensemble du clergé français et des fidèles.
Dès lors l’application de la loi était bloquée dans ce domaine essentiel et l’Etat se trouvait devant un vide, pris à son propre piège. Il se lançait alors dans des initiatives désordonnées qui l’obligèrent chaque fois à des reculades piteuses. Il décidait d’abord de procéder à un inventaire des biens des églises mais il lui fallut faire face à de violentes manifestations. Il dut abandonner la partie après que, dans le Nord, un ouvrier chrétien ait été tué en défendant un tabernacle (c’est un motif de béatification dont la cause pourrait être ouverte à l’occasion du centenaire de cette loi…)
Le gouvernement voulut alors soumettre la tenue des messes à la loi de 1901 sur les réunions, exigeant des formalités préalables pour chacune d’elle (déclaration au commissariat de police). Devant le refus du clergé et l’accumulation des procès-verbaux, le gouvernement recula de nouveau en supprimant toute déclaration préalable des réunions publiques. Dès lors l’activité religieuse reprenait sans entraves dans toute la France, imposant ainsi une situation de fait dont le Président du Conseil tira les conclusions en proclamant : « Nous sommes en plein dans l’incohérence. Ce n’est pas moi qui m’y suis mis, on m’y a mis. J’y suis, j’y reste ! »
La guerre de 14-18 allait modifier par la suite bien des perspectives, puis en 1921 les relations diplomatiques entre la France et le Vatican étaient rénovées. Enfin en 1924 des associations diocésaines, placées sous le contrôle étroit des évêques, remplaçaient les fameuses et fumeuses « cultuelles » Et étaient approuvées par Pie XI dans l’encyclique « Maximam gravissimanque ». Quant aux congrégations, elles faisaient retour discrètement, quitte pour beaucoup d’entre elles à sombrer plus tard dans les eaux glauques de Vatican II. Mais c’est une autre histoire…
Alors, en fin de compte, tout est bien qui finit bien ? Sûrement non. C’est d’ailleurs l’objet du présent congrès de le démontrer et je laisse à d’autres voix plus autorisées que la mienne le soin d’y pouvoir. Soulignons pour notre part que, bien qu’amendée, la loi de 1905 est toujours là et bien là et qu’elle reste le support légal d’une laïcité agressive qui a gangrené en profondeur la société française et met plus que jamais en péril l’existence même de la France.
Dans le message qu’il a adressé à ce congrès, Mgr Williamson a fait ressortir que la loi de 1905 est à la base des deux guerres mondiales, ce qui a surpris quelques bons esprits. Et pourtant combien son analyse est objectivement fondée ! Rappelons tout d’abord que 1914 ouvre, en fait, une guerre de 30 ans qui se termine en 1945. Constatons ensuite que la loi de 1905 provoque un trouble immense, profond, durable en France qui, vu de l’extérieur a été considéré – à juste titre d’ailleurs – comme un affaiblissement caractérisé. L’affaire des fiches, fille des lois anticatholiques a de plus conduit directement à la mise à l’écart des officiers catholiques, remplacés par des francs-maçons, alors que l’Etat Major allemand considérait les premiers comme les chefs les plus capables de l’armée française. Désormais il fut considéré à Berlin qu’on aurait raison de l’armée française en quelques semaines… La suite, hélas ! n’est que trop connue…
الخميس مارس 03, 2016 10:57 am من طرف جنون