De la banalité du mal

Chacun éprouve en lui le fantasme de la toute puissance, accompagné de la jouissance instantanée de dominer ou de détruite l'autre à qui on ne peut s'identifier sans se mettre soi-même en danger de mort ou d'humiliation impuissante et dépressive. Ainsi la mal, la violence contre autrui, semble une expérience subjective banale. Mais le passage du fantasme à l'acte individuel et plus encore de masse supposent des conditions "favorables": une violence subie, en particulier dans l'enfance, âge de l'impuissance par excellence face aux adultes qui peuvent être violents sinon physiquement, du moins moralement sans même s'en rendre compte. La peur permanente de la subir de nouveau Une déstructuration des inhibitions sociales qui interdisait ce passage à l'acte vis-à-vis des autres contre qui l'identification collective au groupe et au chef désirés comme surpuissants devient auto-valorisante.Une légitimation sociale et narcissique de cette violence contre les autres perçus comme les ennemis mortels et méprisables menaçant sa communauté et qui deviennent les bouc-émissaires et la condition du maintien de cette communauté qui, de ce fait, procure une identification valorisante par le refus de l'altérité, sur fond de xénophobie, de racisme, et de mépris social etc..Ces conditions sont à la fois banales et exceptionnelles. Comment comprendre cet apparent paradoxe?
La fameuse expérience de Milgram semblait faire de l'autorité hiérarchique la source première du mal. Cette expérience consistait en effet à ce que des opérateurs étudiants, à qui des médecins en blouses blanches demandaient de provoquer de fausses décharges électriques très douloureuses chez de faux-patients sans qu'ils connaissent la fausseté de ces décharges et de ces patients, lesquels mimaient la douleur de plus en plus extrêmes à la mesure de l'importance de la puissance de la décharges. Or à peu près tous se soumettaient volontairement aux ordres , alors que rien ne les menaçait en cas de désobéissance. On a trop vite conclu que cette expérience prouvait que le mal qui leur était demandé de provoquer était "l'effet blouse blanche", symbole de l'autorité des médecins et/ou des scientifiques qui leur avaient demandé de faire souffrir ces faux patients. Or on peut faire une toute interprétation de ces résultats. Je considère que l'expérience de Milgram est trop souvent mal comprise par ses commentateurs, y compris Milgram lui-même. Elle ne prouve en rien que l'autorité s'impose d'elle-même dans n'importe quel système hiérarchique . Elle ne prouve pas non plus que, dans une décision hiérarchique quelconque, l'obéissance y serait automatique ("banalité du mal" au sens de H. Harendt), car cette autorité est considérée, dans cette expérience, comme légitime par ceux à qui on demande d'augmenter la souffrance du pseudo-malade (du reste cette augmentation trouve aussi sa limite lorsque le pseudo-malade semble trop souffrir), à un double point de vue: elle fait progresser la science en général qui est un bien pour tous, et elle est censée aussi pouvoir faire du bien à celui que l'on fait souffrir. N'oublions jamais que les électro-chocs étaient réputés -et le sont encore largement- être un traitement thérapeutique efficace contre certains troubles mentaux et que nombre de traitements médicaux font souffrir le malade en vue de sa guérison. Certains médecins considèrent encore chez nous que la douleur provoquée par une intervention médicale elle-même serait bénéfique pour le patient, rejoignant ainsi certaines pratiques traditionnelles de purification et/ou de dés-envoûtement.
Pour en revenir au nazisme, modèle de crimes de masse semblables, il ne fait aucun doute que les criminels nazis étaient préalablement convaincus de faire du bien aux allemands, considérés comme un peuple-race, en exterminant les juifs considérés comme un danger mortel en tant que "vermine " infectant la prétendue race allemande et /ou la grande culture allemande (Heidegger)! Le racisme était donc la condition préalable pour que une grande masse de gens ordinaires, par ailleurs altruistes envers les membres de leur prétendue race, chrétiens et bons pères de famille (banalité), se transforme en bourreaux totalement dépourvus d'empathie vis-à-vis de leurs victimes dans le cadre de ce qui était présenté par leur chef, Hitler, comme une guerre totale contre ceux qui, dans le monde, tous présentés comme "enjuivés", cherchaient soi-disant à rayer le peuple-race allemand (Der Volk) de l'histoire, après l'infamant (humiliant) traité de Versailles! N'oublions pas non plus que ce racisme ordinaire était, à l'époque, encore largement répandu, voire dominant, dans les élites journalistiques, scientifiques, intellectuelles et la majeure partie des populations européennes elle-mêmes (sans parler du racisme anti-noir et antisémite d'une majorité de nord-américains), y compris contre les allemands assimilés à des barbares inhumains du fait des exactions commises contre les populations civiles lors de la première guerre mondiale!
C'est donc le racisme ordinaire et la xénophobie qui font l'ordinaire de la banalité du mal! A tout mal il faut une justification qui le présente comme un bien et /ou un moindre mal nécessaire, En cela, une hiérarchie doit être considérée, à tort ou à raison, comme légitime pour provoquer une obéissance qui semblait, à première vue, automatique!

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