OSME ET MACROCOSMELa théorie selon laquelle tout se répond dans l'univers fait correspondre à la totalité(macrocosme) une infinité de « modèles réduits » (microcosmes) qui imitent d'une manière plus ou moins parfaite la richesse du cosmos. Ce thème est développé, selon des modes variés, dans les conceptions du monde qui estiment que « tout est dans tout ». Souvent il s'allie à un animisme radical qui exclut toute distinction entre l'ordre des choses et celui du vivant. Solidaire des options philosophiques, religieuses ou artistiques qui cherchent avec une certaine nostalgie à établir un lien entre le visible et l'invisible, l'apparence et l'essence, il joue sur les analogies, les symboles, les médiations, les ressemblances. S'il échappe aux déterminations strictes, il répond avant tout à un rêve d'unité. Très répandues dans l'Antiquité et au Moyen Âge, les théories de la correspondance du macrocosme et du microcosme culminent à l'époque de laRenaissance. Dans la polémique contre l'univers clos et hiérarchisé hérité d'Aristote et de Ptolémée, elles jouent un grand rôle. Enfin, comme « image » de la nature, l'homme ne découvre plus seulement en lui l'ordre de l'univers, mais son propre dynamisme conquérant. À l'idée de modèle se substitue un autre découpage de la réalité. Le vieux rapport entre l'homme et le cosmos est renversé : l'individu ne se pense plus à l'intérieur de l'univers, mais il s'affirme comme unique source de valeur. Ce retournement accompli, le parallélisme entre le microcosme et le macrocosme ne se justifiera plus. D'ailleurs, la naissance de la science impliquera un autre type de rationalité. Aux analogies vagues, aux correspondances trop vastes, Galilée puis Descartes substitueront des distinctions précises et limitées. Seuls les courants hermétiques conserveront l'idée de correspondance. Le romantisme et le symbolisme reprendront dans un autre cadre quelques-unes des intuitions qui ont animé les théories du microcosme.
[size=22]1. Primat de l'unité et hiérarchie des êtres
Si l'on en croit Olympiodore, philosophe grec du
VIe siècle apr. J.-C., les rapports du microcosme et du macrocosme sont ainsi conçus par les penseurs de la tradition hermétique : « Hermès se représente l'homme comme un microcosme, tout ce que contient le macrocosme l'homme le contenant aussi. Le macrocosme contient des animaux terrestres et aquatiques : ainsi l'homme a-t-il des puces, des poux et des vers intestinaux. Le macrocosme a des fleuves, des sources, des mers : l'homme a les entrailles [...] Le macrocosme a le Soleil et la Lune : l'homme a les deux yeux et on réfère l'œil droit au Soleil, l'œil gauche à la Lune. Le macrocosme a des monts et des collines : l'homme a les os. Le macrocosme a les douze signes du ciel ; et l'homme les contient aussi » (cité par A. J.
Festugière,
La Révélation d'Hermès Trismégiste, t. I). Sous une forme naïve, ce texte exprime les principes. Entre le microcosme (l'homme) et le macrocosme (l'univers) s'établit une correspondance qu'au gré de son invention le philosophe, le mage, le peintre ou le mystique peut enrichir de mille liens subtils et évanescents. Les deux notions échappent à l'analyse rigoureuse ; elles se saisissent en corrélation à travers un système de correspondance où, à la richesse de la totalité, répond en « réduction » un modèle privilégié. Thème séduisant pour les philosophies qui cherchent à approfondir les aspects de l'unité du cosmos plutôt qu'une expérience de la séparation et de la différence. Fondé sur des analogies qui fonctionnent au niveau de l'intuition, le discours sur le microcosme et le macrocosme renvoie à une sorte de jeu de miroirs où les images se répondent, se déforment, se modulent mutuellement. Mais pour interpréter les correspondances et les signes, il faut un magicien qui possède la clé de ce langage mystérieux. Ici entrent en jeu les interprétations, c'est-à-dire des tentatives pour préciser, par-delà l'unité, l'articulation des différences. De l'Antiquité à la Renaissance, le thème aura valeur de dogme.
Où commence vraiment la systématisation des rapports du microcosme et du macrocosme ? Il est difficile d'établir, dans ce domaine, des distinctions strictes. La pensée mythique élabore l'idée de participation : par la médiation de la vie, le ciel et la terre, l'homme et la totalité entrent en communication. Ne pas manger d'un animal, c'était déjà établir un rapport qui arrachait un individu à la diversité vide pour le rattacher à un ensemble qui lui donnait un sens. Toutes les philosophies antiques ont insisté sur cette liaison de l'homme au cosmos. Le
stoïcisme en a fait un mot d'ordre : « Réunion fortuite d'atomes, ou bien nature particulière, qu'il soit établi en principe que je suis une partie du tout qui est administré par la nature universelle ; ensuite, qu'il existe une sorte d'affinité entre moi et les parties qui sont de mon espèce » (Marc Aurèle,
Pensées, X,
VI). Et le philosophe en tirait les conséquences morales : vivre selon la nature, respecter son ordre, se soumettre au destin, concevoir la liberté comme conscience de la nécessité. Cependant, il est difficile d'affirmer que la correspondance du microcosme et du macrocosme est réellement dégagée dans ce type de pensée : l'idée d'unité et d'ordre dominent.
D'après la tradition,
Platon serait à l'origine des réflexions postérieures. Il affirme en effet dans le
Timée que le monde est un vivant doué d'âme et d'intellect et qu'il est « un Dieu visible, image vivante du Dieu intelligible » (92 c). Le sage mettra en accord les mouvements de son âme et ceux du ciel. Par un long cheminement, par la rencontre de courants divers où l'Égypte joue un grand rôle, l'idée de microcosme devient un des lieux communs de la fin de l'Antiquité. Elle semble solidaire du déclin du
rationalisme vers le
IIe siècle apr. J.-C. C'est le moment du renouveau du pythagorisme, de l'irruption de l'
hermétisme, de la transformation du platonisme en philosophie du salut, de la récupération des religions de l'Orient. Les songes, les visions, la magie, les horoscopes deviennent la trame de la vie quotidienne. Toute une littérature mi-philosophique, mi-religieuse se développe : elle est fondée sur l'unité du tout, la sympathie universelle, la correspondance entre l'univers et l'homme. Un amalgame de doctrines hétérogènes, un goût perpétuel pour le
mystère, le fondamental, voilà ce qui caractérise ces tentatives de
syncrétisme. Dans tous les cas, l'homme y apparaît comme une sorte de reflet de l'univers.
Mais le problème se complique dès qu'intervient l'idée d'une transcendance de Dieu. Trois termes sont alors en présence : Dieu, le monde et l'homme. Et, bien souvent encore, de nouvelles oppositions s'ajoutent à cette hiérarchie. Par exemple, Philon le Juif (13 av.-54 apr. J.-C.) trouve toute une série d'intermédiaires entre Dieu et l'homme. Quant au cosmos, il existe de deux manières : comme archétype et comme réalité visible. L'homme de même est double : « Il y a deux espèces d'hommes. L'homme céleste et l'homme terrestre. L'homme céleste en tant que créé à l'image de Dieu n'a pas de part à la réalité corruptible et en général terrestre ; l'homme terrestre est issu d'une matière éparse qui est appelée glaise. » Les rapports entre le microcosme et le macrocosme ne sont pas simples. La notion d'image se transforme : l'homme est à l'image de Dieu avant d'être à l'image du monde. Et cette image n'apparaît plus comme une sorte de copie en réduction de l'univers ; elle établit un rapport à Dieu qui ne peut être saisi que par le mystère de la révélation. Mais, en même temps, ce que le monde sensible est au monde intelligible, l'homme corporel l'est à son âme. L'idée de microcosme se complique à l'infini, puisqu'elle participe de plusieurs hiérarchies, selon les divers degrés de l'être et le jeu complexe du Logos, du cosmos et de la
création. Il y avait en perspective de belles marges de manœuvre pour les philosophies futures... Tout devient alors signe, symbole. Les divers degrés de la réalité se décalquent mutuellement sans se répondre mécaniquement. La hiérarchie cosmique se répercute dans une série de reflets d'images plus ou moins affaiblies. Il s'agit d'apprendre à lire dans le « grand livre de la nature ». La pensée médiévale va jouer à l'infini sur le thème des correspondances. Par exemple,
Alain de Lilleaffirme que « l'homme a une similitude avec toute créature, qu'il existe avec les pierres, qu'il vit avec les plantes, qu'il sent avec les bêtes, qu'il pense avec les anges ». Chaque fonction est ainsi rattachée à un des degrés de la création, et l'homme participe à l'ordre universel selon une place privilégié. Dans son
De mundi universitate, sive Megacosmus et Microcosmus (1145), Bernard Silvestre explique, tantôt en vers, tantôt en prose, l'organisation du monde. Inspiré par des thèmes pythagoriciens et platoniciens très à la mode dans l'école de Chartres, l'
auteur, dans un premier livre, s'adresse à la
Providencepour lui demander d'ordonner le chaos. Ainsi sont créés les quatre éléments. Puis, dans le second livre, on assiste à la naissance de l'homme à partir des quatre éléments. L'ouvrage eut du succès, mais il n'apportait pas d'idées très originales. Le thème commençait à s'épuiser.
Si on analyse les conceptions du microcosme, on s'aperçoit qu'elles hésitent entre deux voies. Lorsqu'on insiste sur la notion d'homogénéité, d'unité, le microcosme se définit par l'identité des schèmes qui se retrouvent à tous les stades. Si, en revanche, on considère le microcosme comme une sorte de centre de forces animé d'un dynamisme interne, on sera sensible à ses richesses potentielles. Au premier schéma correspondent des séries de stéréotypes qui fonctionnent sur le thème de l'identique. Au second, des analogies qui jouent sur le décalage, le déplacement, la surdétermination. Historiquement, ces tentatives renvoient à deux styles d'analyse qui d'ailleurs ne s'excluent pas toujours dans la pratique et dans le détail des métaphores. Entre la répétition statique et la répétition dynamique, l'esprit hésite souvent. Cependant, il revenait à la Renaissance d'insister sur le second aspect, privilégiant alors l'homme comme puissance créatrice. C'est donc à un renversement de la problématique qu'on assiste à partir du
XVe siècle.[/size]
الإثنين فبراير 15, 2016 9:00 am من طرف فدوى