Cette image d’une vertigineuse beauté a été prise par la sonde américaine Cassini le 19 juillet dernier. Elle montre, vus de loin, très loin, notre planète bleue et son satellite, la Lune… Cassini se trouvait à 1,44 milliard de kilomètres de la Terre, et a du éclipser le Soleil derrière Saturne pour obtenir ce cliché, pris à contre jour, à travers le voile ténu de l’anneau extérieur de Saturne. C’est d’ailleurs ce voile de glace léger qui explique la couleur bleue du fond de ciel de l’image.
Ce n’est pas la première fois qu’une sonde américaine se retourne ainsi sur sa trajectoire pour prendre notre planète en photo, Voyager 1, en 1990, avait inauguré ce type de prise de vue depuis une distance bien plus grande encore : plus de 6 milliards de kilomètres. Mais c’est la première qu’un aussi beau portrait du couple Terre Lune est réalisé. Car il s’agit bien de cela : non pas le portrait d’une planète, mais bien celui d’une planète double… La Terre et la Lune sont un couple unique dans tout
le système solaire, car aucune planète ne possède une compagne aussi massive,comparativement à elle. La Terre, en effet, n’est que 81 fois plus massive que la Lune, alors que Jupiter, par exemple, est environ 25 000 fois plus massive que ses quatre lunes principales.
Notre existence sur Terre est probablement due à un ensemble de caractéristiques spécifiques. La Lune, d’abord, qui stabilise l’axe de rotation de la Terre, régule les saisons et les climats et provoque les marées. La tectonique des plaques, ensuite, qui a brassé les espèces au cours des ères. Le champ magnétique, encore, qui nous protège des rayonnements cosmiques et enfin, bien sûr, la présence de l’eau à l’état liquide…
L’image de la Terre prise par Cassini ne montre aucun détail, car la résolution – la capacité à discerner des détails – de sa caméra à une telle distance est trop faible. On peut comparer la caméra NAC (Narrow Angle Camera) de Cassini à un télescope d’amateur : il s’agit en effet d’un petit télescope de 200 millimètres de diamètre et de 2000 mm de distance focale. Pour nos lecteurs amateurs d’astronomie, rappelons qu’un tel instrument offre une résolution de 0,6″ (seconde d’arc) et que la Terre, lors de la prise de vue, présentait un diamètre apparent de seulement 1,8″. Sur cette image, notre planète n’est donc dessinée que par une dizaine de pixels…
L’annonce par la Nasa de cette prise de vue est intervenue quelques jours après un autre communiqué de presse de l’agence américaine, annonçant, cette fois, que, pour la première fois, la couleur d’une exoplanète avait été mise en évidence. La planète HD 189733 b, selon la Nasa, était bleue… Fait très amusant, le communiqué de presse était accompagné, pour l’illustrer, d’un… dessin d’une planète bleue imaginaire. En fait, les astronomes n’avaient pas photographié HD 189733 b, mais déduit sa couleur de l’analyse de la lumière de l’étoile autour de laquelle elle tourne… Une observation très indirecte, donc, qui témoigne de l’extraordinaire difficulté de l’étude des exoplanètes.
On le sait, le saint Graal des astronomes, c’est l’observation d’une planète sœur de la Terre, qui flotterait quelque part dans l’Univers. Actuellement,
même si nous sommes submergés par les annonces quasi hebdomadaires de « la découverte d’une planète habitable », une telle observation est impossible. Les télescopes contemporains sont impuissants à photographier des planètes terrestres autour d’autres étoiles.
Mais alors, quand contemplerons-nous une image d’une planète bleue, telle celle prise par Cassini ? Si un tel monde existe à une distance raisonnable de la Terre, cela sera, un jour, possible… Imaginons, avec beaucoup d’optimisme, qu’une cousine de la Terre existe à 15 années-lumière d’ici. Elle serait ainsi 100 000 fois plus lointaine que la Terre vue par Cassini. Un abîme… La Terre, à une telle distance, présenterait une magnitude apparente de 29, un éclat extraordinairement faible, accessible à l’extrême limite aux télescopes actuels. Mais ce qui rend cette observation aujourd’hui impossible, c’est bien sûr l’éclat aveuglant de l’étoile autour de laquelle elle tournerait… Imaginons que cette hypothétique exoplanète se trouve à une distance comparable à celle de la Terre au Soleil, soit 150 millions de kilomètres. A la distance de 15 années-lumière, cela correspond à un angle de seulement 0,2″, ce qui équivaut à la capacité de résolution des télescopes actuels. Autrement dit, pour les télescopes d’aujourd’hui, une telle exoplanète serait totalement noyée dans l’éclat, environ un milliard de fois plus intense, de son étoile.
Alors, l’observation d’une exoplanète terrestre est-elle un fantasme, un rêve inaccessible ? Peut-être pas… D’abord, il est possible d’affaiblir l’éclat de l’étoile par rapport à celui de sa planète, en observant celle-ci non pas dans la partie visible du spectre électromagnétique, mais en infrarouge. La différence d’éclat, de un milliard, passerait à un million environ. Ensuite, il est possible d’occulter l’étoile, comme d’ailleurs l’a fait Cassini pour photographier le couple Terre-Lune.
HD 95086 b (en bas et à gauche) est la plus petite des exoplanètes observées aujourd’hui. Elle a été photographiée avec le Very Large Telescope européen. Un disque occulteur a masqué l’étoile autour de laquelle elle tourne, située à 300 années-lumière de la Terre. HD 95086 b est environ cinq fois plus massive que Jupiter, soit mille cinq cents fois plus massive que la Terre, et sa température avoisine 700 °C. Enfin, elle se trouve à une distance cinquante fois plus grande que la distance de la Terre au Soleil. Photo J.Rameau/ESO.
Ces deux techniques, aujourd’hui, ne suffisent pas : les astronomes, en les combinant, et en utilisant les plus puissants télescopes actuels, comme les Keck, Subaru et Gemini à Hawaii et le Very Large Telescope au Chili, des instruments dotés de miroirs de 8 à 10 mètres de diamètre, ont réussi à photographier directement une vingtaine de planètes, sur le presque millier que l’on connaît désormais. Mais les mondes observés jusqu’ici n’ont rien à voir avec la Terre. Ce sont des planètes géantes, environ mille fois plus massives que notre planète, brillantes car chauffées à près de 1000 °C et enfin situées une centaine de fois plus loin que la Terre du Soleil…
L’observation d’une planète bleue comme la nôtre n’est donc pas pour demain, et il n’est pas acquis que même les futurs instruments astronomiques géants, les trois télescopes GMT, TMT et EELT actuellement en construction ou en projet, avec leurs miroirs de 22 m, 30 m et 39 m respectivement, y parviendront. En effet, ces télescopes gigantesques ne pourront voir de tels mondes que si ils sont très proches de nous. Incidemment, ces futurs instruments, dans une vingtaine d’années, pourraient permettre aux astronomes de commencer progressivement à répondre à cette lancinante question : la Terre est-elle un astre commun, ou très rare, dans l’Univers ?
Serge Brunier