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 Monétisation et vie sociale

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بن عبد الله
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بن عبد الله


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20102010
مُساهمةMonétisation et vie sociale

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La monétisation : un assèchement des relations humaines ?

Quelques aspects de l’imaginaire littéraire de l’argent


1Paris, en 1960, telle qu’elle était imaginée de manière plutôt sombre, un siècle plus tôt, par le jeune Jules Verne, est deve­nue une ville régulée par le pouvoir inexorable de l’argent et de la technologie : tout sentiment, tout honneur et toute imagina­tion y est broyé par l’efficacité des structures commerciales. Dans ce Paris futuriste – tel que le rend Paris au xxe siècle, le manuscrit ré­cemment (1994) retrouvé de Verne 1 – « le besoin de devenir riche à tout prix » a fini par tuer le sentiment. Les couples amoureux, deve­nus des partenaires indifférents conduits par l’intérêt, ont perdu même le vocabulaire de l’affection. Les mots « pénates, dieux du lo­gis, un intérieur, des compagnons de vie » (p. 144) ne peuvent plus être trouvés que dans des dictionnaires obsolètes. L’impéria­lisme de l’argent, dans ce futur contre-utopique, a remplacé tout sim­plement le souffle du politique et même les guerres internationales ont été neutralisées par les intérêts commerciaux : les livres an­glaises, les roubles russes et les dollars américains se sont fondues en une seule monnaie de pouvoir et de domination s’exerçant sur toute la France.

  • 1 . Jules Verne, Paris au xxe siècle, Paris, Hachette, 1994.



  • 2 . Viviane Forrester, L’Horreur économique, Paris, Fayard (cité dans l’édition du Livre de Poche), 19(...)

2Paris en 1996, selon le portrait qu’en trace un best-seller, fait écho de manière terrifiante à celui de Jules Verne. Dans l’Horreur économique, Viviane Forrester 2, romancière à ses heures, bien qu’elle se concentre sur la disparition du travail, explique cette ca­tastrophe comme un pur effet de l’accumulation de l’argent et de la diffusion internationale de la spéculation monétaire. La formidable économie de marché transnationale, selon Forrester, ne se soucie que de « masses monétaires et de jeux financiers » : la « démultiplication vertigineuse de la quantité de valeurs tous azimuts que /les puissances privées/ peuvent embrasser, dominer, combiner, dupliquer sans se préoc­cuper des lois et des contraintes qu’elles sont à même, dans un contexte ainsi mondialisé, de contourner facilement » (p. 36-37).

3Ainsi, des observateurs français, pendant plus d’un siècle, ont insisté sur le pouvoir de standardisation et de corruption de l’argent. On trouve des arguments similaires chez des commenta­teurs anglo-saxons.

  • 3 . John Updike, Toward The End Of Time, New York, Alfred A. Knopf, 1997 (Aux confins du temps, tradui(...)

4Prenez la vision de l’Amérique en 2020 que donne John Up­dike, ce moderne Jules Verne. Dans Toward The End of Time – sé­lectionné par le New York Times comme l’un des meilleurs livres de 1979 3 – Ben Turnbull, un conseiller en investissement retraité de 66 ans, qui est le narrateur de la peu engageante fantaisie de science-fiction d’Updike, nous raconte une Amérique post-nu­cléaire en ruines, broyée militairement par la Chine (Updike, 1997). Au xxie siècle, dans la ville du Massachusetts, où vit Turn­bull, le « welder », un bon au porteur couleur sépia – « ainsi nommé en l’honneur d’un célèbre gouverneur Républicain de la période d’avant-guerre » (p. 14) – a remplacé, après l’effondrement de l’économie nationale, l’inutile et hyperdévalué dollar fédéral.

5Bien que la version d’Updike tourne principalement autour de l’angoisse existentielle d’un Turnbull vieillissant, l’argent entre dans son conte avec la même capacité de corruption et d’anéantis­sement des sentiments que chez Verne. « Dans notre nou­veau monde, on est prêt à tout pour un welder » (p. 50), souligne-t-il. En raison de l’effondrement du gouvernement fédéral, les citoyens doivent payer des gangsters pour les protéger, tandis que de jeunes pros­tituées, ainsi que l’explique Turnbull, négocient le sexe au moyen d’efficaces routines de marchandage. Comme le dit Turn­bull, avec Deirdre, une jeune femme qui effectue des prestations à domicile, pendant l’absence de sa femme, « nos jeux amoureux sont empreints de cette excitation propre à une vente aux enchères, car elle me propose, d’une voix chaude à peine audible, de se livrer ou de se soumettre à des actes qui n’ont rien à voir avec la simple position du missionnaire » (p. 51) et cela pour un supplément de welders authentifiés avec soin.

  • 4 . Le choix de traduire « monetization » par « monétisation » et non par « mo­nétarisation » a été fa(...)
  • 5 . James Buchan, Frozen Desire : The Meaning of Money, New York, Farrar Straus Giroux, 1997.

6Dans l’histoire d’Updike, la monétisation 4 convertit l’intimité en une froide relation de marché. Pour le journaliste britannique James Buchan, un Âge de l’Argent – aussi déplaisant soit-il – n’est pas une fiction cauchemardesque. L’argent a déjà été « intronisé comme le Dieu /de/notre temps » (1997, p. 14). Dans son Frozen De­sire : The Meaning of Money 5, après un éloquent récapitulatif histo­rique et littéraire des trajectoires sociales de l’argent, Buchan évoque la victoire finale de l’argent par laquelle « les relations des être humains, à la fois aux choses et au monde des objets » ont pris « quelques uns des traits de l’argent… fluide, temporaire, indifférent, instable » (p. 269). C’est un effet dangereux car l’argent « loin d’être l’arène in­dolore de l’émulation humaine, comme le soutiennent ses apologistes, est un grand destructeur… parce que l’argent est tout pouvoir et potentialité, le monde extérieur est une pauvre chose qui peut être altérée et exploitée sans vergogne » (p. 278). L’éthique rend inévitablement les armes devant l’avarice : « les choix moraux sont ainsi simplement achetés ; ou plutôt, comme pour la prostitution ou le cambriolage adolescents, la mémoire dé­formée de l’instruction morale se dissout dans les impératifs du baiser » (p. 270). En fait, Buchan fait écho aux mornes visions du futur de Verne et d’Updike :

J’imagine que le nivellement dû à l’argent, l’impatience face, à la fois, au chevaleresque et au manque de courtoisie, en viendront à dissoudre les distinctions de sexe. Le monde mélancolique de Jenny Marx en termes de Kirche, Küche, Kinder, a explosé ; et, malgré les réactions face à cette réorganisation cataclysmique de la sphère la plus intime de l’existence, comme cela s’est produit en Iran, l’argent conserve un pouvoir d’inertie. Les prétendues vertus féminines éter­nelles de fidélité, chasteté, piété et sens de l’épargne perdent leur fé­minité et cessent progressivement d’être des vertus. À l’Ouest, hommes et femmes expérimentent maladroitement leurs rôles respec­tifs traditionnels… Les enfants seront élevés, comme dans l’antique Sparte et dans les modernes États-Unis, par des corporations asexuées, qui imposeront à leurs employés un célibat aussi exigeant que le règlement des Shakers dans l’ancienne Nouvelle-Angleterre. Les différences entre les sexes s’atténueront pour se réduire au phy­sique et peut-être même au-delà : il est déjà plus difficile de distin­guer les sexes sur la Plage de Malibu que dans les rues de Kaboul, (p. 174-175).

7Les conclusions de Buchan sont des plus surprenantes étant donné le début de son livre qui offre une interprétation très sensée de l’encastrement de l’argent dans les relations sociales, comme l’illustrent ce qu’il dit des modalités subtiles de sa rémunération en tant que jeune journaliste travaillant à Jeddah pour un journal saoudien. Ainsi, une nouvelle fois, l’argent est le grand solvant.
8Verne, Forrester, Updike, Buchan : différentes intrigues, mais un seul scénario sous-jacent. Tous les quatre partagent une puis­sante rhétorique de la monétisation, dans laquelle l’argent apporte l’efficacité, au prix d’un assèchement des relations sociales, d’une perturbation des valeurs humaines et d’une dessication des senti­ments. Impasses causalistes dans les sciences sociales


9Plus généralement, les représentations populaires de la monéti­sation soulèvent trois questions récurrentes qui interpellent aussi les sciences sociales. Premièrement, y a-t-il des formes de relations sociales qui sont incompatibles avec l’échange monétaire ? Deuxiè­mement, la monétisation transforme-t-elle inévitablement la qualité de la vie sociale ? Et troisièmement, quelles sont les causes et les conséquences des différents types de transferts monétaires ? La fort utile évaluation du sujet que l’on doit à Andrew Leyshon et Nigel Thrift, nous permet de faire le point sur l’état de la question dans les sciences sociales actuelles. Selon Leyshon et Thrift, leur très pa­noramique ensemble d’essais – Money Space : Geographies of Mone­tary Transformation – vise à troubler les conceptions standards par une analyse de l’argent comme « processus social » (p. xiii) 6.

  • 6 . Andrew Leyshon & Nigel Thrift, Money Space : Geographies of Monetary Transformation, London, R(...)


10Non, répondent-ils à la première question : l’argent n’est pas isolé des autres relations sociales non-économiques, parce qu’il est lui-même basé sur des « réseaux sociaux particuliers superposés qui fournissent le fondement de la signification sociale de l’argent » (p. xv). Probablement non, répondent-ils à propos des pouvoirs de modifi­cation qu’aurait l’argent, parce que ces pouvoirs ne font que contrebalancer la victoire supposée des relations marchandes, don­nant « aux liens de confiance perçus un poids égal à celui des liens de confiance réels dans un grand nombre de transactions monétaires » (p. xv). Même la monnaie virtuelle « consiste en une série de pratiques sociales » (p. 21). Cependant, quand nous en venons à la question de la cau­salité, l’analyse est quelque peu défaillante. Leyshon et Thrift dégagent deux « discours monétaires » dominants : l’un est de sus­picion (l’argent y a la force inébranlable et corrosive qu’il revêt dans l’imagination populaire) ; l’autre est de libération (où l’argent apporte un éclairage). Il manque une reconnaissance suffisante du fait que les deux discours partagent une histoire causale commune, où la monnaie rationalise inévitablement, en bien ou en mal.

  • 7 . Margaret Jane Radin, Contested Commodities, Cambridge, Harvard Univer­sity Press, 1996.

11Cette vision causale demeure prévalente dans toute la littérature contemporaine sur la monétisation. Considérons l’analyse très dis­cutée que la théoricienne du droit Margaret Jane Radin 7 propose du débat sur la marchandisation. Préoccupée par la « rhétorique du marché » et par sa « conception économiste de la vie » (p.6,3), Radin tente de justifier un corps de lois qui pourrait distinguer et réguler l’espace qu’elle appelle de marchandisation incomplète – où « les valeurs de la personne et de la communauté interagissent avec le marché de façon invasive et altèrent la pure forme a-marchande de beaucoup de choses » (p. 114). Pourtant, malgré son insistance sur l’interaction de la culture et de la loi, aussi bien que ses objections bien connues contre ce qu’elle appelle la théorie des « dominos » de la marchandi­sation, la position de Radin implique que la « marchandisation com­plète » apparaîtrait dès lors que la monétisation ne serait pas assortie de de protections institutionnelles – en particulier légales. En dépit de la grande sophistication de ses analyses à propos de l’argent et de la loi, Radin ne peut en fin de compte abandonner la théorie causale classique : l’argent livré à lui-même rationalise et corrompt.
Le renouveau des approches de l’argent dans les sciences sociales

Une prolifération de travaux empiriques sur l’encastrement des rapports monétaires


12Néanmoins, on peut apercevoir des signes de clarification, à mesure qu’un certain nombre de chercheurs aux perspectives disci­plinaires différentes contestent le scénario causal indiscuté des ef­fets de la monétisation. Les anthropologues ont trouvé plus d’écho que leurs collègues des autres sciences sociales en proposant une version revue de la théorie causale, qui démontre la totale interfé­rence des transactions monétaires et de la construction des rela­tions sociales et des systèmes de signification. C’est le cas particulièrement du livre de Jane I. Guyer, Money Matters 8, recueil important d’études sur l’histoire des monnaies de l’ouest africain, qui remet en question l’idée selon laquelle les devises européennes ont chassé les monnaies « primitives » qui étaient auparavant propres aux colonies européennes d’Afrique.

  • 8 . Jane I. Guyer (ed.), Money Matters, Portsmouth (NH), Heinemann, 1995.



  • 9 . Jonathan Parry, & Maurice Bloch (eds), Money & The Morality of Ex­change, New York, Cambri(...)
  • 10 . Maurice Bloch, « Les usages de l’argent », Terrain 23, 1994, p. 5-10 (« Les usages de l’argent »,(...)
  • 11 . Voir aussi David Akin, & Joel Robbins (eds), Money and Modernity: State And Local Currencies I(...)

13Dans la même veine, on peut souligner l’importance du volume d’essais de Jonathan Parry et Maurice Bloch, Money & the Morality of Exchange 9, qui conteste les pouvoirs d’homogénéisation univer­selle de la monnaie en montrant, détails ethnographiques convain­cants à l’appui, la variabilité culturelle de l’argent. Plutôt qu’un « acide qui dissout inexorablement les distinctions culturelles auxquelles nous tenons tant, qui érode les différences qualitatives et réduit les relations interpersonnelles à l’impersonnalité » (p. 6), l’argent, pour Parry et Bloch est marqué par « la matrice culturelle dans laquelle il est incor­poré » (p. 21) ; au lieu de subvertir les liens sociaux, l’argent sert souvent d’ « instrument de leur maintien » (p. 22). Le masque de la « mythologie économique » dominante de l’argent, nous dit Bloch dans son introduction au recueil d’essais intitulé « Les usages de l’argent » 10, ne tombe pas seulement parce que les sociétés non-occidentales apparaissent comme trop exotiques pour le porter : même dans les états capitalistes les plus avancés, souligne Bloch, les relations sociales significatives des gens marquent leurs trans­ferts monétaires 11.


  • 12 . Soient quelques exemples empruntés à différentes disciplines, de travaux sur l’argent : Lapo Berti(...)
  • 13 . Voir, par exemple, Chip Heath & Jack B. Soll, « Mental Budgeting and Consumer Decisions », Jou(...)
  • 14 . Voir Eldar Shafir, Peter Diamond & Amos Tverski, « Money Illusion », The Quarterly Journal of(...)

14On trouve aussi chez quelques psychologues et sociologues un début de reconnaissance de l’encastrement social et cognitif des transactions monétaires contemporaines 12. En psychologie, des études récentes rejettent l’idée que l’argent correspond à un trait psychologique général et suggèrent au contraire qu’il implique « de multiples symbolisations ». Toute une stimulante littérature consacrée à la « comptabilité mentale » attaque l’hypothèse des économistes quant à la fongibilité, en montrant de quelles manières les indivi­dus distinguent entre différentes sortes de monnaies. Par exemple, ils traitent une rentrée inespérée très différemment d’un dividende ou d’un héritage, même lorsque les sommes concernées sont iden­tiques 13. Des travaux proches soulignent l’impact comportemental des « illusions monétaires » par lesquelles, dans différentes situations, les gens adoptent une série de conventions locales pour évaluer les transactions monétaires plutôt que de les traduire dans le vecteur neutre et fongible des économistes 14.


  • 15 . Robert Lane, The Market Experience, New York, Cambridge University Press, 1991.
  • 16 . Robert Lane, The Loss of Happiness in Market Democracies, New Haven, Yale University Press, 2000.
  • 17 . Jean Lave, Cognition In Practice, New York, Cambridge University Press, 1988.

15Le politiste Robert E. Lane 15 a aussi présenté des résultats con­cernant une grande variété de modèles cognitifs selon lesquels les Américains pensent l’argent comme susceptible de variation, faisant de lui un symbole significatif d’attitudes telles que l’insuf­fisance personnelle, la perte de contrôle, l’échec honteux, la sécu­rité ou le besoin d’approbation sociale 16. De la même façon, une recherche de l’anthropologue cognitiviste Jean Lave 17, effec­tuée sur les pratiques arithmétiques quotidiennes – elle a suivi 35 hommes et femmes du Comté d’Orange, Californie, dans diverses circonstances, telles que les achats dans une épicerie et elle a exa­miné leurs pratiques domestiques de management monétaire – montre que ses enquêtés ne traitaient pas le revenu familial comme une « source globale de fonds familiaux (comme une somme de nature mathématique), utilisable pour de multiples buts », mais au contraire qu’ils compartimentaient leurs fonds selon différentes « cachettes » qui « reflétaient et étaient aussi porteuses des relations sociales et des caté­gories d’activités suivant lesquelles les gens organisent leur vie » (p. 133). L’argent, conclut Lave, « est utilisé aussi bien pour préserver les catégo­ries morales et les relations familiales que pour les exprimer » (p. 141).


  • 18 . Supriya Singh, Marriage Money : The Social Shaping of Money in Marriage & Banking, St. Leonard(...)

16Dans Marriage Money : The Social Shaping of Money in Marriage and Banking 18, la sociologue Supriya Singh va plus loin au cœur des économies domestiques, en examinant les pratiques monétaires de couples de classes moyennes australiennes, d’origine anglo-saxonne. Singh montre que les relations sociales créées par le ma­riage donnent forme aux transferts monétaires des épouses et des maris, tout comme à leur usage des institutions financières. Le compte commun bancaire, par exemple, est « un indicateur essentiel des manières selon lesquelles les couples construisent le sens de l’argent du mariage » (p. 136), en ce qu’il affirme l’unité du lien marital : ainsi, selon Singh, peu de co-habitants partageaient un compte. Nous apprenons non seulement que les couples australiens différencient et séparent leurs monnaies selon la source et le but du transfert, mais, plus spécifiquement, comment ils utilisent différents types de stratégies bancaires (par exemple : les dépôts, les comptes d’em­prunts ; les compte-chèques ; l’épargne à court terme ; les vi­re­ments automatiques ; les comptes à but spécifique ; les comptes joints ; les comptes séparés ; les comptes fiduciaires ; les comptes commerciaux ; les comptes personnels) et différentes formes de paiement (par exemple : en liquide, par carte de crédit, par chèque, par virement, par une monnaie interne), pour marquer des devises socialement distinctes.


  • 19 . Voir, par exemple, Kathryn Edin & Laura Lein, Making Ends Meet : How Single Mothers Survive We(...)

17Les résultats de Singh nous rappellent que les gens utilisent dif­férents lieux, à l’extérieur et à l’intérieur du logement, pour singu­lariser (earmark) leurs devises selon leurs relations sociales. Par exemple, des études sur l’histoire et la situation présente des éco­nomies domestiques américaines et britanniques, y compris dans le cas des logements sociaux, ont montré que différents membres de la famille, épouses, maris, enfants et quelquefois d’autres parents, peuvent entrer en lutte les uns avec les autres – et avec les autorités – à propos de la définition, de l’allocation et de la régulation de leurs monnaies domestiques 19.


  • 20 . Richard Biernacki, The Fabrication of Labor, Berkeley, University of Cali­fornia Press, 1995.
  • 21 . David Stark, « Work, Worth, and Justice In A Socialist Mixed Econo­my », Working Papers on Central(...)
  • 22 . Sur la compensation pour le travail, voir aussi le chapitre 10 in Chris & Charles Tilly, Work(...)
  • 23 . Pour une synthèse des approches culturelle, cognitive et relationnelle des processus sociaux, voir(...)

18Même dans le domaine du paiement du travail – où les explica­tions en termes d’efficacité ont typiquement prévalu – des cher­cheurs ont commencé à identifier l’interdépendance des systèmes de paiement et des contextes culturels et relationnels. On songe tout particulièrement à l’analyse détaillée que Richard Biernacki 20 propose des industries textiles lainières britannique et allemande : il conclut que, sur un fond semblable d’équipement économique et technique, les différences de pratiques dans les usines britanniques et allemandes, y compris les modes de rémunération, sont dues à des différences nationales dans la façon de définir le travail comme une marchandise. L’ethnographie très acérée que David Stark 21 nous a donnée d’une usine socialiste hongroise durant les années 1984-1986, nous plonge dans un monde de paiement délibérément différencié au sein d’un même contexte culturel. Après s’être orga­nisé en partenariat contractualisé pour produire des biens et les vendre durant le temps hors-travail – utilisant pour cela les locaux et les technologies de leur activité salariée – un groupe de travail­leurs qualifiés avait aussi inventé un système de paiement pour marquer le caractère séparé de cette identité collective indépen­dante. Leur paie individuelle normale, définie par le management, comprenait trois composantes : le salaire normal, les heures sup­plémentaires et des « salaires variables » comme les bonus. À la place du système normal, les partenaires négocièrent via leurs représen­tants élus, un ensemble de « rétributions d’entrepreneurs », qui fut en­suite réparti entre les travailleurs participants. Bien que ce processus ait entraîné des contestations au sein du groupe et parmi les sous-contractants, managers et autres travailleurs, l’analyse de Stark montre bien la création de systèmes de paiement représentant différents aspects de relations sociales 22. Il y a deux manières, l’une cognitive et l’autre relationnelle, d’interpréter ce qui est en jeu dans ces pratiques de marquage monétaire : soient, deux pro­cessus, distincts quoique interdépendants. Selon la première, les variations montaires sont des distinctions mentales ou des cartes cognitives ; selon l’autre, la différenciation monétaire émerge des relations sociales différenciées et des systèmes de significations partagées et elle est marquée par eux. Ainsi, les chercheurs en sciences sociales ne se contentent pas de nous rapporter des straté­gies budgétaires individuelles sophistiquées, mais ils identifient la signification des pratiques monétaires comme tout à la fois le résul­tat, le contenu et l’origine des relations sociales. Ces deux proces­sus sont évidemment à l’œuvre, mais la recherche actuelle se limite à examiner la relation donner-prendre dans la création, le maintien et la transformation des catégories de paiement 23.
À l’horizon : la question des liens sociaux


19Plus généralement, l’objectif de cette recherche trans-discipli­naire pionnière sur l’argent n’est pas de démontrer comment quelques domaines des relations sociales tiennent bon face aux effets de la marchandisation. La critique va bien au-delà d’une identification d’épisodes exceptionnels de résistance à un marché dominant ; elle soutient que les gens utilisent de façon routinière les transactions monétaires – comme ils le font pour d’autres mé­dias culturels – pour créer, définir, affirmer, se représenter, contes­ter ou renverser leurs liens sociaux. Non pas que les analyses les plus récentes de l’argent l’aient traité comme un bien pur : il ne s’agit pas de nier que les gens puissent faire le mal par des transac­tions monétaires. Ce qui découle de cette analyse c’est que les gens peuvent construire et effectivement construisent des relations im­pliquant l’argent et qui sont étriquées, passagères, hostiles ou alté­rées, tout comme cela peut donner lieu à des liens sociaux riches, durables et affectueux. Les processus conduisant à ces deux issues, impliquent l’un comme l’autre, la construction de relations sociales pleines de sens, simplement dans le premier cas, elles sont construites pour être étroites et passagères et, dans le second, pour être durables et larges.

  • 24 . V. A. Zelizer, op. cit., 1994.
  • 25 . Voir, par exemple, Viviana A. Zelizer, « Payments and Social Ties », So­ciological Forum 11, (Sept(...)

20Récemment, mon propre livre sur le sujet a proposé un suivi de l’intersection des paiements monétaires et de différentes sortes de liens sociaux. Après avoir rendu compte de la standardisation de l’offre légale au xixe siècle aux États-Unis, ce livre, Social Meaning of Money 24, a examiné les changements des pratiques monétaires américaines sous l’angle des économies du don, de l’aide sociale et des économies domestiques depuis la fin du xixe siècle. Prenant à contre-pied l’attente commune d’une monétisation de ces pratiques qui conduirait à restreindre et à dessécher les relations sociales concernées, il montrait des Américains déployant une grande dé­termination et ingéniosité pour refaçonner les transactions moné­taires en rapport avec le changement des liens sociaux. Depuis la fin de ce livre, j’ai surtout observé les pratiques monétaires dans deux directions : la création de systèmes de paiement différentiels à l’intérieur des entreprises américaines ; et l’inscription de transferts monétaires dans les relations intimes, impliquant la parenté, le soin domestique et /ou la sexualité. Ce dernier sujet m’a conduite à ana­lyser des procès, puisque les tribunaux américains ont été, de façon tout à fait typique, peu enclins à reconnaître la compatibilité des transferts monétaires et de l’intimité, mais que les questions de juste compensation ont souvent soulevé des problèmes de ce type. Une fois encore, mes investigations ont révélé un grand effort et une grande ingénuité des humains lorsqu’il s’agit de concilier les paiements monétaires et les liens sociaux 25.
De nouvelles avancées théoriques sur l’encastrement des relations économiques


21La modification de notre compréhension de l’argent et des paiements relève d’une réinterrogation plus générale des processus économiques. Comme l’illustre le très marquant Handbook of Eco­no­mic Sociology 26, un très grand éventail de chercheurs – qu’il s’agisse de psychologues, de chercheurs en sciences sociales, de juristes et de spécialistes de littérature – prennent à présent au sé­rieux l’inter­action entre le contexte social et les transactions éco­nomiques 27. Renversant une tendance qui permettait de plus en plus souvent aux analyses économiques de fournir l’explication des phénomènes sociaux, cette recherche trans-disciplinaire utilise fré­quemment des concepts et des outils sociologiques pour interpréter des transac­tions économiques de grande ampleur.

  • 26 . Neil Smelser & Richard Swedberg (eds.), The Handbook of Economic Sociology, Princeton (N. J.),(...)
  • 27 . Voir Bernard Barber, « All Economies Are “Embedded” : The Career of a Concept, and Beyond », Socia(...)



  • 28 . Voir, par exemple, Lawrence Lessig, « The Regulation of Social Mea­ning », The University of Chica(...)

22Voyez, par exemple, ce qu’on appelle la « Nouvelle École de Chicago » en droit : entrant en lutte contre l’hégémonie historique du paradigme « droit et économie », un groupe d’analystes du droit redécouvre le pouvoir explicatif et le potentiel, en termes de poli­tiques, des normes et des significations sociales 28. De plus en plus, les investigations des chercheurs en droit les conduisent à des con­frontations ou à des collaborations avec des chercheurs en sciences sociales. Ces derniers insistent en général moins sur la fabrication des lois effectives que sur l’explication des pratiques qui posent problème au droit. Néanmoins, des deux côtés, on voit émerger une interprétation plus complète des interférences de la monéti­sation et de la vie sociale.


  • 29 . Ira Katznelson, « Sociology and History : Terms of Endearment ? », in Kai Erikson (ed.), Sociologi(...)

23Des travaux récents sur l’argent ont fait apparaître une question encore plus fascinante pour la réflexion et la recherche : pourquoi et comment ces différentes rhétoriques de l’argent – dénonciatrices ou élogieuses – ont-elles autant d’attrait ? Ainsi, Ira Katznelson 29 s’est récemment demandée pourquoi ces conceptions sont-elles « si séduisantes et si influentes en tant que représentations de la réalité sociale ? Plus précisément, pourquoi des secteurs aussi distincts que l’État, le marché et la société civile semblent-ils si assujettis à aussi peu ? » (p. 97). Katz­nelson attire l’attention sur la division historique entre souverai­neté et propriété en Occident, qui se ramifie en séparations au sein de l’Etat, de l’économie et de la société civile. Pour Katznelson, l’attrait de la rhétorique de la marchandisation repose sur des in­terprétations plus fondamentales concernant la nature de l’organi­sation sociale.


  • 30 . Robert Wuthnow, Poor Richard’s Principle, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1996.

24Robert Wuthnow apporte une réponse différente dans son ou­vrage Poor Richard’s Principle 30 : après interview de 200 répondants et une analyse d’enquêtes sur foi, travail et argent, Wuthnow éta­blit un lien entre l’attrait de ces rhétoriques et l’accroissement de la séparation culturelle et institutionnelle de la vie privée et de la vie publique aux États-Unis. Comme l’argent, dans l’arène institution­nelle publique est lié à la rationalité, à l’objectivité et à l’efficacité, dans la sphère privée, l’argent est de plus en plus subjectivisé, tiré du côté d’une profonde anxiété personnelle, d’une responsabilité individuelle et presque d’un sujet tabou ne souffrant aucune infrac­tion et ne pouvant être abordé avec d’autres qu’en des circons­tances exceptionnelles. Au regard de ce que dit Katznelson, Wuthnow met davantage l’accent sur l’ancrage des idées concer­nant la marchandisation dans l’altération actuelle des institutions sociales fondamentales.


  • 31 . Jeffrey C. Alexander, Fin de Siècle Social Theory, London, Verso, 1995.

25L’œuvre de Jeffrey Alexander 31 (1995) offre néanmoins une troi­sième explication possible de l’attraction exercée par la rhéto­rique de la marchandisation. À la différence de Katznelson (op. cit., 1997) et de Wuthnow (op. cit., 1996), Alexander trouve fascinante la réapparition d’évaluations positives de la marchandisation. Bien sûr, les critiques du capitalisme, depuis Marx, ont trouvé sédui­sante l’opinion selon laquelle la marchandisation, en tant que por­teuse emblématique d’un capitalisme oppressif, à la fois rationalise et comprime nos liens sociaux. Alexander fait toutefois remarquer qu’à la fin des années quatre-vingt-dix, la rhétorique anti-capitaliste est concurrencée par le renouveau des marchés à la fois dans les économies capitalistes et post-socialistes. L’évaluation d’Alexan­der, dans son Fin de Siècle, conduit à identifier une « théo­rie sociale positive des marchés » de type néo-moderne. Répondant au leg du socialisme, « différents groupements d’intellectuels contemporains ont – selon Alexander – regonflé le récit émancipateur du marché », rendant la libération « dépendante de la privatisation, des contrats, des inégalités d’argent et de la compétition » (p. 32). Ainsi, Alexander traite le chan­gement institutionnel et la transformation intellectuelle comme des résultats d’événements historiques majeurs ; la consé­quence, suggère-t-il en est une nouvelle crédibilité pour des évalua­tions po­sitives de la marchandisation.


  • 32 . Albert O. Hirschman, The Passions and the Interests, Princeton (N. J.), Princeton University Press(...)

26Ainsi, le débat avance. Nouveau point à l’ordre du jour : l’ex­plication de l’attractivité de différentes rhétoriques concernant la marchandisation. En procédant ainsi, nous pouvons retourner avec profit aux distinctions figurant dans la théorie rivale de la so­ciété de marché que présentait A. O. Hirschman 32. Bien entendu, l’analyse issue des sciences sociales quant aux processus écono­miques a déjà sapé les fondements des distinctions tranchées entre des sphères monétaires et non-monétaires dans la vie sociale contemporaine. On n’a pas pourtant pas tenu compte de ce que Katznelson (op. cit.) identifie comme l’attrait rhétorique persistant des idéologies de la marchandisation. Alexander (op. cit.) rattache la revitalisation de la sociologie économique à la même série de changements qui à présent légitime les rhétoriques du marché. Se­lon Alexander, l’intérêt renouvelé pour l’encastrement culturel et structurel de l’action économique débouche sur une image du mar­ché comme « une relation sociale et interactionnelle qui ressemble peu à ce qui, dans le passé, était vu comme l’exploitation capitaliste sans at­taches » (p. 33).

27Quelle que soit la solution de cette importante question d’his­toire intellectuelle soulevée par Alexander, ce dernier attire à juste titre l’attention sur ce que peut avoir de stimulante la prise en considération de l’ingéniosité qui est maintenant engagée dans les interactions entre les transactions marchandes et d’autres aspects de la vie sociale et culturelle. 28Paru en anglais sous le titre : « Monetization and social life », dans Etnofoor, 13 (2000), p. 5 à 15. Que la revue Etnofoor soit chaleureusement remerciée pour l’aimable autorisation donnée à cette traduction (NDT). Cet article a été traduit par Jean-Yves Trépos. Les intertitres ont été élaborés par J.-Y. Trépos, avec l’ac­cord de V. Zelizer, spécialement pour cette traduct
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Monétisation et vie sociale :: تعاليق

هشام مزيان
رد: Monétisation et vie sociale
مُساهمة السبت أكتوبر 30, 2010 1:10 pm من طرف هشام مزيان
1Paris, en 1960, telle qu’elle était imaginée de manière plutôt sombre, un siècle plus tôt, par le jeune Jules Verne, est deve­nue une ville régulée par le pouvoir inexorable de l’argent et de la technologie : tout sentiment, tout honneur et toute imagina­tion y est broyé par l’efficacité des structures commerciales. Dans ce Paris futuriste – tel que le rend Paris au xxe siècle, le manuscrit ré­cemment (1994) retrouvé de Verne 1 – « le besoin de devenir riche à tout prix » a fini par tuer le sentiment. Les couples amoureux, deve­nus des partenaires indifférents co
 

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