AFRIQUE NOIRE (Arts)Aires et stylesLa perception que l'Occident a pu avoir des arts africains a été fortement perturbée par ce que, dans les années 1920, on a appelé l'« art nègre ». Le choc esthétique et l'influence de ces formes sur les avant-gardes a un temps eu pour effet de faire passer au second plan la richesse des styles, ainsi que la complexité des liens entretenus avec l'univers social et religieux. Ce n'est que par l'étude des relations entre les objets et les cultures qu'une perspective historique a pu se dessiner, laquelle a permis de mettre en évidence les relations que les différentes cultures entretenaient entre elles, et d'inscrire la diversité des styles dans des unités collectives plus vastes.
Universalis
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1. Les arts d'Afrique de l'Ouest
L'Afrique de l'Ouest n'a pas connu un isolement géographique comparable à celui de l'Afrique centrale. Son histoire est marquée par les contacts qu'elle eut, de tout temps, avec le nord du continent et la Méditerranée. Dès le
VIIe siècle, les sociétés situées dans la zone soudanaise, entre le
Sahara et les régions forestières, subissent progressivement, et dans des proportions inégales, l'influence de l'
islam. À partir de la fin du
XVe siècle, les Européens, présents sur les côtes du
Sénégal et du golfe de
Guinée, la mettent en relation avec le monde occidental.
En l'absence de sources écrites et d'archives, la connaissance très fragmentaire de cette histoire se fonde essentiellement sur l'étude conjointe des données livrées par la
traditionorale et par l'
archéologie. Le sol nous a laissé cependant peu de vestiges au regard d'autres régions du monde. Les raisons en sont simples : l'archéologie est une discipline encore peu développée et disposant de moyens très modestes au sein des États modernes africains. Par ailleurs, les fouilles et l'exportation illégales, l'ignorance des populations locales quant à la valeur historique et scientifique des objets trouvés dans le sous-sol, leur pauvreté et le vol dans les musées nationaux au profit des marchés d'art internationaux, contribuent à ruiner les sites avant que les chercheurs n'aient pu y travailler. Dans de nombreux cas, nous n'avons, pour nous renseigner sur les périodes anciennes, que les objets eux-mêmes. Ainsi, nous ne savons presque rien des populations qui ont produit la statuaire
céramique de Nok (Nigeria), fleuron de l'art africain du passé, dont la découverte continue à être le fruit du hasard, celui de l'exploitation de mines d'étain ou des labours des cultivateurs. Nous demeurons tout aussi ignorants, les sites ayant été souvent pillés, de celles qui nous ont laissé les terres cuites du delta intérieur du Niger et de la région de Djenné (Mali).
L'intérieur et les côtes de l'Afrique de l'Ouest furent explorés à un rythme différent. Les Européens prennent position en divers points du littoral dès le
XVe siècle, les Portugais atteignant les premiers l'embouchure du fleuve Sénégal en 1445. Avant le
XIXe siècle cependant, ils n'ont laissé que peu de témoignages sur les hommes avec lesquels ils commerçaient, leurs coutumes et leurs arts. Aux
XVIe et
XVIIe siècles, quelques objets gagnèrent pourtant l'
Europe des cours princières et des cabinets de curiosités : répondant aux commandes des Occidentaux, les ivoiriers sapi (côte de la Sierra Leone) ou bini (royaume du
Bénin, Nigeria) surent associer avec dextérité des motifs européens à un traitement stylistique proprement africain pour produire des coupes et des salières, des cuillers ou des olifants. Au-delà d'une étroite frange côtière, l'intérieur demeura longtemps inconnu des Occidentaux jusqu'à ce que commence la conquête coloniale. C'est alors qu'eurent lieu les premières collectes d'objets qui vinrent prendre place dans les vitrines des musées des grandes capitales européennes, de la seconde moitié du
XIXe siècle aux années 1930. L'essentiel de nos collections muséographiques, en Europe et aux États-Unis, s'est constitué durant cette période.
Des routes commerciales transsahariennes, jalousement préservées de la curiosité des étrangers, ont très tôt relié le cœur de l'Afrique occidentale, les rives des fleuves Sénégal et Niger, au
Maghreb et à l'
Égypte. Les textes en langue arabe rédigés, dès le
VIIIe siècle, par les voyageurs issus de ces contrées évoquent la puissance des souverains de
Gao, de
Ghana ou du
Mali, avec lesquels traitaient les négociants venus du nord pour acquérir des esclaves et l'or extrait dans les régions forestières situées en pays mandingue, en échange de produits tels que les textiles ou le
cuivre. Kanku Musa, qui régnait sur l'immense Mali au début du
XIVe siècle, acquit une telle notoriété pour ses richesses en ce métal que son pays fut figuré dans l'Atlas catalan établi, vers 1350, pour le compte de Charles V. Sa présence dans l'imagerie européenne de l'époque atteste l'importance de cet État dans le paysage géopolitique d'alors.
Les descriptions arabes intéressent essentiellement les mœurs des seigneurs et des cours de ces États nouvellement islamisés ; et bien peu la grande masse des paysans qui formait l'essentiel de la population. Pour imprécises qu'elles soient, elles évoquent néanmoins les conditions économiques, sociales et culturelles qui ont permis le déploiement d'expressions artistiques dont on ne connaît pas d'équivalents dans les autres parties du continent.
• La statuaire céramique ancienne
Les potiers des sociétés anciennes d'Afrique de l'Ouest produisirent des œuvres remarquables. Le développement et la diffusion des arts céramiques furent étroitement liés à la
métallurgie du fer et du cuivre, les arts du feu dans leur ensemble ayant été encouragés par un contexte favorable, dû à la formation, dès le
VIIIe siècle, et à la faveur des échanges avec les populations du nord du Sahara, de centres commerciaux importants et d'États. Le fleuve Niger, dont le cours s'étire sur plus de 4 000 kilomètres, a joué un rôle de premier plan dans la circulation des hommes, des biens et des savoir-faire.
Un théâtre de gestes
La statuaire en terre cuite la plus anciennement connue à ce jour est celle de Nok, nom du petit village nigérian où fut trouvée en 1943 une première œuvre. La culture de Nok se serait épanouie entre 900 avant J.-C. et 600 après J.-C., soit durant presque deux millénaires. La datation des sculptures céramiques donne une période moins longue (de 500 av. J.-C. à 200 apr. J.-C.). Leur fabrication s'est étendue, avec quelques variations stylistiques, sur un très vaste territoire : jusqu'à 400 kilomètres au nord et à l'ouest de Nok par exemple, dans les régions de Sokoto et de Katsina.
La maîtrise
technique dont elles témoignent – ce sont à ce jour les plus grandes terres cuites connues en Afrique subsaharienne (jusqu'à 1,20 m) –, la délicatesse du modelage et de l'interprétation plastique donnent à penser que les céramiques nok sont l'œuvre d'artisans rompus à l'exercice des arts du feu et qui travaillaient pour les membres puissants d'une société florissante.
Cette prospérité est inscrite dans les représentations de personnages savamment parés et coiffés : la variété des ornements – pectoral, colliers, bracelets, éléments de vêtements (étui pénien, cache-sexe, cape) – le dispute à celle des coiffures à la composition soignée, reproduisant avec un grand souci de vérité des modèles réels. Une même recherche de diversité se lit dans le rendu des attitudes corporelles dont on peut penser qu'elles expriment une signalétique gestuelle extrêmement précise. L'art nok est en effet très détaillé, tout comme celui, qui lui est postérieur, de la région de Djenné.
Les sites de Jenné-Jeno, l'ancienne ville de Djenné établie dès le
IXe siècle dans le delta intérieur du Niger, et la région comprise entre Djenné et
Bamako (Mali), ont livré de nombreuses figures de terre cuite (
XIIe-
XVe siècle). L'essentiel du corpus consiste en animaux et surtout en personnages d'une quarantaine de centimètres de hauteur en moyenne, dont les attitudes corporelles sont rendues avec un grand souci de vérité : mains sur les joues, sur la tête, paumes ouvertes posées sur les cuisses, bras croisés sur la poitrine, femme allaitant un enfant, homme agenouillé derrière une femme, une main posée sur son épaule, personnages présentant des objets... La variété de ce théâtre des attitudes, répondant probablement à une gestualité rituelle parfaitement réglée, tranche avec le hiératisme de la statuaire en bois de ces mêmes régions telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous. On trouve des traces de son influence jusqu'au nord du Ghana en pays koma, où de petites terres cuites (
XVe-
XVIe siècle) figurant des personnages agenouillés ont été retrouvées sur des sites funéraires.
La présence soutenue du serpent dans l'iconographie de la statuaire de Jenné-Jenno fait écho à la place qu'occupe encore l'animal dans les cultes actuels et dans les récits de tradition orale où l'émergence du Mali est vue comme l'une des conséquences du meurtre d'un serpent-génie, Bida, auquel un culte était autrefois rendu. Un motif figuré dans cette statuaire fut repris jusqu'au
XXe siècle : l'homme barbu pourvu d'une poitrine féminine, ou occupant la position d'un nourrisson dans les bras d'un personnage féminin, se retrouve dans la
sculpture en bois
dogon (Mali) et kurumba (Burkina Faso). Dans les deux cas, il s'agit, par le biais de ce motif iconographique, de représenter le principe qui veut que toute vie, au sein du
lignage et du
clan, s'inscrive dans un processus cyclique de mort et de
renaissance initié par un premier ancêtre mythique.
La figure équestre
La statuaire céramique du delta intérieur du Niger aurait été produite pour une grande part au cours du
XIVe siècle, période de pleine expansion de l'empire du Mali. La présence du thème du cavalier, absent de l'art nok, évoque l'importance qu'eut la cavalerie dans la formation et la puissance des États soudanais. L'animal est richement harnaché ; l'homme vêtu d'un pagne est paré, portant un carquois sur l'épaule et parfois un poignard enfilé dans un brassard. À la même époque, ce thème se retrouve dans la région du Guimbala (vers
Tombouctou au Mali) figuré dans des couvercles de
poterie, ainsi que dans la vallée moyenne du Niger, ce qu'attestent des découvertes archéologiques récentes réalisées en amont de Niamey (Niger) dans la nécropole de Bura : y ont été retrouvés, parmi d'autres vestiges tels que des têtes en céramique prolongées parfois par un buste et des bras, les restes d'une figure équestre de grande taille (62 cm), datée du
IIIe-
XIe siècle après J.-C.
Encore aujourd'hui, le cheval demeure un animal de prestige dans toute la région des savanes, son usage étant d'ordinaire réservé aux rois, aux chefs et aux dignitaires. Hier, il était l'apanage des guerriers, des envahisseurs et des émissaires royaux. On le retrouve dans l'art du royaume de Bénin (Nigeria) situé en zone tropicale humide, où sa difficile acclimatation en faisait un bien rare et fragile. Au
XVIIIe siècle, les fondeurs de Bénin représentaient encore les royaumes du Nord (Sokoto, Kanem-Bornou, États haoussa) par l'intermédiaire de figures équestres en laiton. Des objets semblables ont été produits en pays sao (Tchad) pris dans la sphère d'influence du royaume du Kanem-Bornou. Les Dogon (Mali) ont aussi exploité ce thème dans leur propre statuaire en bois.
• Les arts de cour
L'Afrique de l'Ouest a connu des empires et des royaumes puissants. Beaucoup ont disparu au cours du temps. Certains demeurent encore au sein des États modernes, leurs souverains continuant à jouer un rôle non négligeable dans la vie
politique nationale. Ils nous ont laissé un important patrimoine artistique.
L'histoire des royaumes installés en zone forestière, non loin des côtes, nous est mieux connue que celle des États soudanais. Les Européens furent en effet en contact avec eux dès le
XVe siècle. Leurs récits ont pu être confrontés aux traditions orales perpétuées jusqu'à nos jours par les chroniqueurs des palais, et aux rites royaux encore observables.
Conçu dans le cadre d'une société hiérarchisée, l'art de cour a pour fonction première d'exalter la puissance du souverain, tant économique et guerrière que spirituelle et mystique. Le droit à l'utilisation d'œuvres sorties des ateliers royaux, réservées en priorité au chef ou au roi, à sa famille et aux membres des lignages nobles, distingue, en marquant leur place dans l'échelle sociale, ceux qui sont proches du pouvoir de ceux qui en sont éloignés. Aux titres nobiliaires correspondent toujours des ornements et des objets particuliers.
Les artisans de la cour, forgerons, fondeurs, tisserands, brodeurs, sculpteurs, joailliers, etc., consacrent leur production à la famille royale et à l'aristocratie. Dans certains royaumes, comme ceux de Bénin (Nigeria), de l'ancien Danhomè (Bénin) ou de l'Ashanti (Ghana), les artisans sont rassemblés en
corporations. Ces regroupements d'artisans aux origines ethniques souvent diverses, ont facilité l'échange de savoirs, non seulement techniques mais aussi esthétiques. C'est ainsi que les bronzes d'Igbo-Ukwu (
IXe-
Xe siècle, Nigeria) ont pu être conçus. Il s'agit de vases, de bols, de coupes, d'ornements de hampes, de pendentifs dont la facture dénonce une remarquable maîtrise de la technique de la fonte à la cire perdue. Le fait que ces objets soient en bronze, et non pas constitués d'alliages cuivreux, confirme le savoir technologique de ses fondeurs.
De nombreux auteurs ont également relevé l'influence des arts musulmans dans l'iconographie et dans la configuration des objets de prestige akan (Côte d'Ivoire et Ghana), ashanti en particulier : l'art des bijoux filigranés, de la feuille de métal façonnée par repoussage, le style des motifs décoratifs observés sur les tissus et sur de nombreux objets évoquent certains traits de la plastique musulmane.[/size]
الأحد فبراير 14, 2016 10:48 am من طرف فدوى