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 L’homme en chantier de lui-même

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كاتب الموضوعرسالة
سميح القاسم
المد يــر العـام *****
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سميح القاسم


التوقيع : تخطفني الغاب، هذه امنيتي الحارقة حملتها قافلتي من : الجرح الرجيم ! أعبر من ازقة موتي الكامن لاكتوي بلهب الصبح.. والصبح حرية .

عدد الرسائل : 3072

تعاليق : شخصيا أختلف مع من يدعي أن البشر على عقل واحد وقدرة واحدة ..
أعتقد أن هناك تمايز أوجدته الطبيعة ، وكرسه الفعل البشري اليومي , والا ما معنى أن يكون الواحد منا متفوقا لدرجة الخيال في حين أن الآخر يكافح لينجو ..
هناك تمايز لابد من اقراره أحببنا ذلك أم كرهنا ، وبفضل هذا التمايز وصلنا الى ما وصلنا اليه والا لكنا كباقي الحيونات لازلنا نعتمد الصيد والالتقاط ونحفر كهوف ومغارات للاختباء
تاريخ التسجيل : 05/10/2009
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07122010
مُساهمةL’homme en chantier de lui-même

L’homme en chantier de lui-même


15Cette avalanche de questions désarçonne au sens littéral du terme. L’homme de la mort de Dieu ne sait plus où il est. La prolifération des images qu’utilise Nietzsche donne le sentiment que l’espace géographique dans lequel l’homme se situait et prenait conscience de son identité, disparaît avec la mort de Dieu. Comme si l’homme n’avait plus de lieu pour surgir à soi-même. Tout se passe comme si la mort de Dieu devenait un “non-lieu“ pour l’homme. C’est cela l’acte de libération que produit la mort de Dieu et la formidable exigence de dépassement qu’elle requiert. La mort de Dieu ne crée pas seulement un vide comme le simplifie une certaine modernité. Il n’y aurait rien de bien grave à cela, car celui-ci se comblerait rapidement. C’est une totale déstructuration du champ sémantique qu’elle produit et qui fait que, selon l’expression de Gabriel Marcel, « l’homme tout entier est une question pour lui-même. » Avec la mort de Dieu, l’homme perd son assurance ontologique.

  • 4 . Giorgio Colli – Nietzsche, Cahiers posthumes III, Paris, Éditions de l’Éclat, 2000, p. 30.

16On ne peut pas ne pas remarquer la façon dont Nietzsche construit ce texte important du Gai Savoir. Une phrase affirmative très courte « Dieu est mort » qui entraîne tout une cascade de questions qui rebondissent les unes les autres en véritable chaîne d’interpellations. Nous avons ici un exemple typique du grand art nietzschéen. Il signifie ainsi l’extraordinaire questionnement qu’engendre la mort de Dieu. L’homme n’ayant plus d’horizon assuré, tout devient interrogation et inquiétude au sens fort du terme. Nietzsche avait parfaitement conscience de tout ce qu’avait d’exceptionnel, d’unique, de monstrueux même, la mort, le meurtre de Dieu. À ses yeux, c’est la question fondamentale qui ne résout rien, mais laisse tout ouvert, met tout en chantier. En ce sens, elle est bien exigence que l’homme doit porter pour devenir lui-même créateur de soi. De par sa dimension tragique, cette exigence n’a rien à voir avec l’athéisme qui est négation théorique de Dieu. Pour Nietzsche la mort de Dieu concerne l’homme, son histoire, son destin, ce que les modernes, dans leur ensemble, n’ont pas compris puisqu’ils l’ont réduit à un vulgaire libertinage de la pensée comme des mœurs. Tout se passe comme si l’appel de Nietzsche à la grandeur, à l’exigence esthétique, au sens étymologique du terme, n’avait été entendu. Avec Giorgio Colli, on peut dire : « Nietzsche, c’est la représentation tragique – la concentration en une seule personne – de la grandeur du monde moderne et de son échec fatal » 4.

17Avec la mort de Dieu, la philosophie retrouve sa vocation première dont la nature est de l’ordre du questionnement. En se libérant du référent méta-physique qui lui donnait l’assurance de l’invariable et de l’inamovible, elle se retrouve emportée par le devenir où tout est interrogation et question. Voici l’homme exposé à l’évanescence de son destin qui le pousse toujours en avant de lui-même sans pouvoir définir où il va. Nous comprenons mieux maintenant en quoi et pour quoi la mort de Dieu est exigence herméneutique, une véritable injonction de produire le sens de ce devenir non défini et finalement indéfinissable. Seul l’homme peut, dans sa ponctualité individuelle, produire une signification.
18La mort de Dieu nous libère du paradigme métaphysique de la valorisation et de la signification. De ce point de vue, il est relativement aisé de savoir « de quoi » nous avons été libérés. Toute la philosophie moderne a fait des gorges chaudes de ce « wo von » libératoire, pour ne pas dire libertaire. Comme s’il suffisait de provoquer la rupture, de marteler le refus pour qu’apparaissent les nécessaires espaces à l’avènement de la liberté. Reste entière et sans réponse prédéterminée et assurée, l’indispensable question du « wo zu », du pourquoi, du vers quoi de cette liberté. Ici s’impose la tâche de l’interprétention, de l’invention du nouveau cheminement que doit créer la philosophie d’après la mort de Dieu. Mais elle se fait toujours au risque de l’interprète, autrement dit elle est toujours à venir dans le travail même de l’interprétation. Au point qu’on peut dire que la mort de Dieu n’est jamais une réalité contemporaine avec laquelle on pourrait se familiariser. De par sa démesure, elle prive l’homme de la possibilité même de conquérir une échelle de mesure, valable une fois pour toutes. La libre pensée du xixe siècle a cru pouvoir, de la sorte, remplacer Dieu par l’Homme et s’assurer ainsi un étalon de valeur. Nietzsche dénonce cette procédure qui, dit-il, reste croyante et n’entre pas dans le processus même de la mort de Dieu. Voici l’homme contraint d’être un créateur, ici et maintenant, aujourd’hui et constamment ; c’est dire l’exigence d’une tâche qui n’est jamais assurée de succès.
19L’avant-propos de Ainsi parlait Zarathoustra pose le type du créateur (der Schafende) comme l’homme de l’avenir, en opposition au croyant dont le vouloir n’est pas à la hauteur du pouvoir. Comme s’il était l’homme des demi-mesures. Le premier chant de Ainsi parlait Zarathoustra nous apprend que le jeu de la création s’appelle la métamorphose dans laquelle l’enfant est passé roi. Ici est posé un principe de mobilité, de fluidité dans l’exercice philosophique lui-même. L’exigence d’interprétation dont il est question ne peut donc pas se comprendre comme un travail de décryptage d’une vérité, d’un sens prédéterminé. La figure de l’enfant à laquelle Nietzsche fait appel est une évidente référence à Héraclite contre Parménide. L’herméneutique nietzschéenne se veut grammaire du devenir et non quête de l’Être qui à travers la culture occidentale s’est imposée comme le Logos universel. Le choix de l’Être avait l’avantage de construire une géographie parfaitement répertoriée dans laquelle l’homme pouvait, en toute assurance, se poser. En somme le temps et ses incertitudes étaient maîtrisés.
20En déconstruisant cette grammaire Nietzsche redonne au devenir son innocence, c’est-à-dire sa capacité d’innover, de créer sans autre but que celui de la création elle-même. Nietzsche redonne au devenir sa dynamique que l’Être avait confisquée. Ce devenir ressemble à l’enfant qui joue. Le comportement de l’adulte qui ne peut qu’être métaphysicien aux yeux de Nietzsche, est finalisé et moralisé. L’enfant, en revanche, joue pour rien, pour le plaisir de jouer. Seul le jeu fait droit à la vie qui n’est rien d’autre que cette pulsion de créations : une fantaisie ludique. La vie est jeu d’enfant qui laisse au devenir toute sa part d’impondérable. En introduisant à la suite de Schopenhauer le paramètre de la vie dans l’exercice philosophique, Nietzsche bouleverse le panorama culturel occidental hérité des Grecs. Il détrône le logos, la raison de sa suprématie, de sa prétention à l’universelle et unique signification de l’homme. Il ne supprime pas la raison, mais lui dénie sa prétention au monopole de la signification. L’homme se comprend aussi, et peut-être même davantage, par son corps dont Nietzsche rappelle précisément « la grande raison ». De ce point de vue, on pourrait dire qu’il y a toujours une signification qui vient de l’esprit ; mais la « rationalité » du corps produit tout autant du sens et de la signification. Cette schématique sonne le retour de l’esthétique, du sensible comme catégorie proprement philosophique.
21La redistribution du principe de signification entre raison et corps me paraît d’une importance décisive. Alors que dans sa lointaine origine grecque, le logos était contemplation des essences, ce que le christianisme traduira en contemplation des « mirabilia Dei », avec l’avènement des temps modernes la raison est devenue technicienne et totalitaire. Elle était – elle est toujours – une entreprise de domination, de spoliation du monde. C’est aussi cette dérive que signale la mort de Dieu. Nietzsche n’aura pas été le premier à dénoncer les prétentions de la raison à un savoir universel et donc à une domination de l’universum. Avant lui, Kant, dans un réflexe salutaire, avait rappelé que la rationalité, si elle reste maîtrise par un savoir, est tout autant et davantage une exigence éthique de liberté. Je retiens ici de Kant que si la raison reste savoir, elle est aussi croire. En réintroduisant le « croire » dans l’exercice philosophique, on ouvre son champ d’interprétation, on augmente ses capacités de significations, comme l’a bien montré Jaspers avec sa catégorie de « foi philosophique ».

  • 5 . P. B. M., § 2.

22Certes la catégorie du croire n’est pas à l’œuvre dans la réflexion nietzschéenne. Mais une conception de l’interprétation, comme essai, tentative, Versuch, lui est singulièrement proche. L’interprétation n’a pas la certitude de l’affirmation du logos universel. Elle relève de ce que Nietzsche appelle le « dangereux peut-être » 5. Le croire appartient précisément à ce qui peut être, à ce qui n’est jamais de l’affirmatif. Il a la légèreté du possible, de ce qui n’est jamais purement et simplement, mais demeure en suspens.
Une symbolique différenciée du divin


23La philosophie moderne est largement entrée dans cette pratique herméneutique fragile qui se fait au risque de celui qui la produit et se défait au gré d’un devenir imprévisible et d’autant moins maîtrisable. L’interprétation doit se reprendre sans cesse pour être en mesure de rendre compte de ce qui constamment advient. C’est dans ce multiple interprété qu’il faut situer le religieux comme le fait, du reste, Nietzsche à travers la figure multiforme de Dionysos. Dans ce travail herméneutique, le religieux est décroché de la catégorie de l’Être-Logos, ce qui est traditionnellement sa référence sémantique. De ce fait, il ne peut plus prétendre, d’emblée, à cette universalité que lui conférait le logos. Le religieux, tout comme la philosophie, sont tributaires d’un devenir riche en créations qui ne peut s’enfermer dans une seule interprétation. Ils ont les couleurs et la variété du cheminement humain lui-même, car ils sont modalités de la vie.

  • 6 . Phédon, 61 d-e.

24S’il en est bien ainsi, nous devons admettre que le Logos n’a plus le monopole du divin. Il n’en est plus la seule représentation ou expérimentation possibles. Le religieux a désormais plusieurs écritures qui doivent se partager le domaine du divin. Si la rigueur du logique demeure en la matière, le croire, au sens utilisé précédemment, permet d’aller au-delà de ce que le logos ne peut admettre. On ne peut donc réduire le discours religieux à un théo-logique, comme si le logos était la seule et unique mesure, écriture du divin. À côté du théologique, il faut, pour conter l’indicible divin, faire place à une autre expression que j’appellerai le théo-muthique. J’utilise ce terme en référence à Platon dans le Phédon. Quand on interroge Socrate sur la mort et sur le voyage qui conduit vers l’au-delà, il répond qu’il ne peut en parler que par « ouï-dire » en redisant ce que d’autres ont raconté avant lui. Il faut donc, conclut-il, « dire dans un mythe (muthologein) ce que nous croyons qu’il en est » 6.

25Dans ces propos de Socrate qui nous livrent ici la trame herméneutique de son discours sur l’âme, je trouve les éléments de notre argumentation. L’impuissance du logos face aux réalités qui sortent de l’espace phénoménal, comme la mort ou Dieu, ne nous laisse pas sans voix. Comme s’il n’y avait rien à dire ou rien à en dire. Nous ne sommes pas muets du fait de la défaillance du logos en la matière. Il nous reste une autre possibilité ; une autre voie nous est ouverte qu’il ne faut pas définir par rapport au logos comme on le fait trop souvent. Il ne s’agit pas ici de laisser croire à un ir-rationnel ou à un il-logique qui serait l’autre écriture du divin. Non, nous sommes en présence d’une catégorie sui generis qui se construit par rapport à ses seules références, à savoir le muthos : ce que l’on raconte, ce que l’on reçoit par ouï-dire. En ce sens, une théomuthie ramasse, recueille ce que les hommes rapportent du divin. Il s’agit en somme de raconter Dieu à partir du témoignage d’autres hommes. Ce récit, ce muthos des témoignages – ce que sont très précisément les Évangiles – est une autre approche du divin, une racine spécifique du religieux. Il n’est donc pas à confondre avec la confession de foi qui encore renvoie au logos. Alors que le témoignage suppose une expérimentation, une sorte d’exercice corporel qui sont la matière même du récit.
26L’intérêt d’une théomuthie est de nous « réciter » un Dieu qui est concomitant au parcours humain. Le Dieu de la théomuthie n’est pas antécédent à la pratique humaine. C’est dans l’existentiel humain lui-même que se raconte le divin. Dieu n’est ni antérieur, ni au-dessus ni à côté de l’existence, mais dans la drame même de son cheminement, dans le déploiement de son existentialité, conçue tant individuellement que collectivement, dans la diversité des individus comme des cultures. L’interprétation polysémique renvoie à l’infinie richesse et variété humaine. Je vois deux avantages à cette pratique sémantique. Elle épouse, à la lettre peut-on dire, la problématique de l’Incarnation. Le Dieu chrétien se fait jour dans l’existentiel humain de Jésus de Nazareth. Par ailleurs, il n’y a plus à ce niveau opposition entre anthropologie et religieux. Dieu n’est pas, comme le prétend la libre pensée et Nietzsche avec elle, celui qui empêche l’homme d’advenir à son autonomie. C’est dans l’exercice anthropologique lui-même de « devenir ce que l’on est » que se réalise le rapport au divin. Il y a bien ici concomitance qui n’équivaut pourtant pas à confusion. Même si le divin peut signifier le devenir-homme maximum, comme le prétend l’Incarnation. L’homme et la vie


27Reste un dernier point que je voudrais aborder. Pourquoi le divin doit-il parler à l’homme ? Ou plus radicalement encore, la question est de savoir si Dieu dit, parle l’homme, et si oui pourquoi ? Pourquoi ne pas en rester à ce qu’un Nietzsche, un Freud ou un Heidegger prétendent en disant d’une façon ou d’une autre « es spricht den Menschen » « ça parle l’homme ». La formule heideggerienne renvoie à l’indéterminé du “ça“, irrationnel pour le coup, que Freud appelle l’inconscient et Nietzsche la vie. Suffira-t-il d’invoquer ce sous-sol ténébreux qui échappe à toute connaissance claire pour donner un fondement à l’existence humaine et trouver un fil conducteur à son devenir ? Je ne le pense pas. Car cet horizon n’est pas assez vaste pour englober l’ensemble du destin de l’homme. Et Nietzsche, d’un certain point de vue, en a bien conscience.

  • 7 . Posthume, XIII 9 42.

28Car quoi qu’on en pense souvent, l’auteur de Ainsi parlait Zarathoustra est loin d’évacuer le divin de sa perspective. Certes, il ne peut plus cautionner l’approche chrétienne du divin. Voilà pourquoi tout au long de son œuvre, il s’efforce de trouver une autre voie dont il recueille des éléments dans la culture grecque et qu’il personnifiera dans la figure d’un dieu de la mythologie, Dionysos. Ce dieu « deux fois né » – telle est la signification de son nom – incarne la sacralité de la vie. Le dionysiaque est la formule nietzschéenne pour signifier le caractère sacré, divin de la vie et pour justifier tout ce que la vie draine avec elle d’effrayant, d’équivoque ou de mensonger 7. Cette sacralisation de la vie lui donne le caractère exorbitant d’un inconditionnel. Elle est ce qui régule toute existence et rien ne saurait lui imposer une quelconque limitation. La vie est la source même du sacré : elle sacralise, elle sanctifie sans avoir besoin, elle, d’être sanctifiée.

29La philosophie de Nietzsche développe une exaltation sans pareille de la vitalité, au point qu’elle devient le régulateur universel en fonction de quoi Nietzsche évalue toute réalité. Ce point extrême de la pensée de Nietzsche porte en lui la plus extrême ambiguïté, celle qui peut la conduire à toutes les dérives. Car il faut bien se demander ce que Nietzsche entend par vie ? On ne saurait parler ici d’un concept, puisqu’il la définit comme volonté de puissance c’est-à-dire un potentiel de forces qui cherchent impérativement à croître, à se développer pour dominer. La nature de la vie est d’ordre pulsionnel, énergétique comme l’était le vouloir-vivre chez Schopenhauer. La nécessité de domination est inscrite dans la pulsivité même de la vie. Elle devient son principe de sélection. Autrement dit, la vie, dans sa volonté de puissance, se développe toujours contre une autre vie ; elle croît au détriment d’une autre vie. Au nom de ce principe de sélection qui est la secrète dynamique de la vie, Nietzsche justifie toutes les violences, les violations que perpétue la vitalité. Ici se mesure toute l’ambiguïté de ce principe sélectif qui postule que le loup dévore l’agneau et que les forts dominent nécessairement les faibles dans une implacable logique de la force.

  • 8 . Giorgio Colli, op. cit. p. 54.

30Le concept de vie avec sa caractéristique essentielle d’être volonté de puissance, se substitue à Dieu, à l’Être que Nietzsche dit mort. Ce déplacement me paraît signifier la sortie de la métaphysique et l’entrée en scène philosophique de l’anthropologie. Giorgio Colli, l’éditeur de l’ensemble de l’œuvre de Nietzsche, affirme que c’est au cours de l’hiver 1880-81 qu’apparaît la notion de « Wille zur Macht » 8. Or, comme nous l’avons dit, c’est à la même période que l’on trouve l’expression “mort de Dieu“ dans l’œuvre de Nietzsche. La coïncidence n’est pas fortuite mais inhérente à la démarche nietzschéenne. Elle traduit une réciprocité qui conduit à penser, à articuler un concept en fonction et par rapport à l’autre. Si mort de Dieu, de l’absolu il y a, ceci n’entraîne pas un vide ontologique, mais permet l’émergence de la vie dans une spontanéité sans limite. Et pour que la vie puisse croître selon sa propre dynamique pulsionnelle, sa puissance dominatrice ne peut être arrêtée par l’exigence morale du bien et du mal qui est l’expression éthique du divin. Dans la perspective de Nietzsche, c’est uniquement le dieu moral qui doit mourir pour permettre l’émergence du dieu de la vie. Ce qui apparaissait comme une réciprocité dans une première approche, est en fait un primat de la vie. La vie est première. Elle est l’inconditionné anthropologique de toute réflexion philosophique. De ce point de vue, la philosophie de Nietzsche s’inscrit dans le sillage de la modernité qui met l’homme au centre de tout dispositif sémantique. Au point de départ il y a l’homme qui naît à la vie. C’est ce donné qui devient l’objet du travail philosophique. Et pour Nietzsche, l’acte fondateur de ce travail consiste à « tuer » le Dieu produit par la raison qui non seulement ignore la vie mais lui impose des régulations qui ne permettent pas son épanouissement, son extension. La boucle est fermée et toute l’œuvre de Nietzsche va s’acharner à articuler les deux termes antagonistes sans pouvoir faire triompher celui qu’il veut éternel, à savoir la vie.

31Pour Nietzsche, comme pour Schopenhauer, la vie est souffrance et douleur. Cette position très spécifique fait de ces deux philosophes des penseurs « à part » de la modernité, des penseurs qui ne sont entendus que superficiellement et fragmentairement. Le succès de Freud en témoigne, lui qui cherche à rassurer, à assurer l’existence individuelle en supprimant les entraves et liens au principe de plaisir de la vie. Nietzsche au contraire affirme que la vie est danger pour tout autre vie puisqu’elle s’y oppose dans une logique de domination. Ici l’individu doit se soumettre au principe sélectif de la vie. Ceci revient à dire que vivre est quelque chose de dangereux puisque, par définition, agressif. Quoi qu’il en soit, par la volonté de puissance comme par l’amor fati, Nietzsche privilégie la vie, au détriment de l’individu, il sacrifie l’individu au profit de la continuité de l’espèce. Il se détourne ainsi de Schopenhauer qui avait privilégié la vision orientale de la vie, à savoir qu’elle est souffrance pour l’individu. Si le vouloir-vivre s’impose, la sagesse consiste précisément à ne pas entrer dans son jeu dominateur, à s’en détacher par une ascèse graduée qui part de l’esthétique, passe par l’éthique et culmine dans la négation métaphysique du « Wille zum Leben ». Ainsi l’homme peut espérer atteindre la béatitude. Nietzsche, à l’inverse, accentue la dynamique guerrière de la vitalité et invite l’individu à s’y soumettre totalement. Ce qui ne peut que le conduire à une impasse existentielle. En ce sens, une telle philosophie ne peut pas avoir d’avenir, sauf à consacrer le déclin du principe d’individualité. Ce à quoi pourrait bien conduire, in fine, l’individualisme forcené de notre société !
32On ne s’explique pas très bien cette apologie et cette adoration de la vie que l’on trouve chez Nietzsche. On peut même parler d’une sorte d’absolutisation puisqu’elle incarne le sacré et que Dionysos n’est rien d’autre que la divinisation de la vitalité, à moins que ce ne soit l’expression même de son pessimisme fondamental qu’il partage avec Schopenhauer. Une sorte de conscience ironique que la vie est sans valeur, sans vraie signification et qu’elle n’apporte rien à l’homme sinon souffrance et douleur. Comme si l’homme n’était que le jouet de la vie. Nietzsche est profondément convaincu de la nullité de la vie, l’existence ascétique qu’il mènera en est le témoignage éloquent. L’exaltation théorique qu’il en fait est une sorte de mise à distance, une façon de dire que cette vie-là n’est pas pour lui, qu’elle ne l’intéresse pas en réalité, pas davantage l’illusoire bonheur qu’on en attend. L’exaltation démesurée de la vie chez Nietzsche est signe de détachement, et même de dégoût.
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