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 Les transformations du capitalisme

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Les transformations du capitalisme  Empty
18092010
مُساهمةLes transformations du capitalisme

Cet entretien avec Michel Aglietta a été réalisé le 6 mai 2009. Michel Aglietta est économiste, professeur des universités (Université Paris X Nanterre), conseiller scientifique au Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII). Les transformations du capitalisme  Michel-aglietta— Vous êtes un des principaux fondateurs de l’école française de la Régulation. À partir d’une théorisation du mode de développement fordiste, qui représente un cadre historique relativement stable renvoyant à l’articulation d’un régime d’accumulation intensive et d’un mode de régulation monopolistique, vous avez proposé une périodisation qui éclaire l’histoire récente du capitalisme. Au cœur du modèle de développement se trouve le rapport salarial qui renvoie à l’usage et à la reproduction de la force de travail à travers des formes institutionnelles et des normes juridiques. Or, l’efficacité du modèle fordiste qui a conditionné la forte croissance des économies dans la période de l’après guerre commence à s’estomper à partir du milieu des années 1970. Quels sont selon vous les facteurs qui déterminent l’entrée en crise du fordisme ?Michel Aglietta — Mon intention n’était pas de construire une théorie intermédiaire mais une théorie fondamentale. Dans une vision braudélienne, il s’agissait de penser le mouvement historique du capitalisme comme une co-évolution des institutions et des structures, en articulant l’existence d’une multiplicité de formes capitalistes avec la possibilité d’un principe de transformation. En fait, le capitalisme est fondé sur une double séparation. La première est liée aux caractéristiques du rapport marchand et à l’opposition privé-social qui en découle. La méconnaissance des besoins réciproques que l’on peut produire pour contribuer à la société et de ce que l’on désire en tant que participant à la société conduit à porter la monnaie comme lien social fondamental. Le rapport de valeur met en question le fondement de l’individualisme méthodologique qu’est l’utilité-rareté.La seconde séparation entraîne ce que j’ai appelé, avec André Orléan, l’ambivalence de l’argent : le désir de richesse devient un levier de pouvoir. Le capitalisme permet une forme de richesse purement abstraite dont la monnaie représente à la fois la base et le désir d’accroissement illimité. Cette caractéristique qui est valable dans toute la trajectoire historique du capitalisme n’était pas présente dans d’autres sociétés, à l’instar de l’Empire Romain où le politique apparaît vis-à-vis du social comme une entité englobante.C’est par ailleurs la raison pour laquelle la Chine n’a pas réussi à se lancer dans cette direction avant l’essor du monde occidental alors qu’elle avait a priori tous les éléments objectifs requis pour le développement du capitalisme du point de vue de l’infrastructure économique. La propriété rurale très dispersée, l’absence du principe de la primogéniture dans la transmission des héritages, la coexistence du pouvoir impérial et d’une extrême décentralisation administrative et le système des examens dans le recrutement des élites publiques sont des institutions qui ont empêché la concentration privée des richesses et leur transformation en moyens de pouvoir politique.Pour mener cette accumulation illimitée, le capitalisme a besoin de réaliser et d’étendre le rapport salarial. Or, ce qui fait la différence entre le régime d’accumulation du XIXe siècle (allant jusqu’en 1914) et celui du XXe siècle, c’est le statut de la dette sociale, c’est-à-dire la dette émise par l’Etat pour financer la préservation de la sécurité de la nation, les infrastructures publiques et les services. La transformation du salariat à partir de la Première guerre mondiale, et surtout après la Seconde, provoque un essor de la dette sociale, condition indispensable de l’insertion du salariat dans des modes de consommation structurés par la production capitaliste. Le financement de la dette sociale entraîne la « nationalisation » de la monnaie, donc sa mise sous la tutelle souveraine des Etats et le statut d’entités publiques pour les banques centrales. La disparition de l’ordre monétaire international de l’étalon or en a résulté.Le fordisme, quant à lui, apparaît comme la réalisation d’un ordre cohérent dont les éléments de contradiction se logent à l’intérieur de ce salariat émergeant. Son apparition connote le développement de la dette sociale, liée notamment au système de protection et de sécurité sociale qui l’accompagne. Mais ce n’est qu’à partir des convulsions que le capitalisme rencontre – du fait de l’incompatibilité entre les modes de formation des revenus et cette exigence protectrice – que le fordisme prendra sa forme accomplie dans le sillage des prémisses du New Deal et des transformations politiques issues de la Seconde Guerre mondiale.Ce sont les contradictions internes à chaque régime, inscrites dans le rapport salarial, qui sont à l’origine des transformations sociales. Ces contradictions restent « silencieuses » lorsque les choses marchent bien, mais elles ne cessent pas de progresser. C’est toujours par le cœur de la contradiction principale d’un régime que va apparaître sa crise. L’essentiel de la structure fordiste est une certaine correspondance entre les niveaux micro-économique et macro-économique. C’est, précisément, à cette interface qu’interviennent les institutions intermédiaires.Cette cohérence est fondée sur la connexion entre le salaire réel et la productivité du travail. Pendant cette période la lutte de classes n’a pas disparu. Pourtant, à l’intérieur de la configuration antagoniste, des compromis ont été réalisables (et réalisés) dans la mesure où le jeu était gagnant-gagnant. Le modèle entrepreneurial qui domine présuppose une gouvernance d’entreprise de type managérial. À cette précision près, que cette situation est possible tant que la finance est domestiquée par l’État. Ce qui implique que la revendication financière actionnariale est étouffée.C’est aux Etats-Unis que cette contradiction implicite entre l’augmentation de la productivité du travail et le coût social des exigences liées à la protection du salariat éclate en premier, avant d’atteindre l’Europe. Sur le plan des sources de la productivité, le capitalisme fonctionne par vagues technologiques, ce qui permet la plus-value relative. Tant qu’une vague technologique n’est pas épuisée, il n’apparaît pas rentable d’inventer une autre. C’est seulement quand il y a une baisse de la rentabilité du capital par épuisement des conséquences d’une vague technologique qu’apparaissent les prémisses de la possibilité de transformer les structures productives.Le ralentissement du rythme de la productivité aux États-Unis apparaît vers la fin des années 1960. Les germes de la technologie de l’information-communication qui prendra ensuite la relève existent déjà, mais ils restent à l’état de la recherche, du laboratoire, des prototypes. Ce temps de latence est celui de la crise. Le point intéressant est que la crise n’advient pas au même moment partout. De son côté, l’Europe dispose de marges de croissance qui pourraient perdurer encore longtemps. Mais l’entrée dans l’espace de l’économie mondialisée change fondamentalement la donne. Désormais, elle subira des crises en provenance des États-Unis et sera en grande difficulté pour les gérer et les surmonter.— Résumons les paramètres de la crise du fordisme.Michel Aglietta — L’évolution des revenus deviendra progressivement contradictoire avec les progrès de productivité, et partant, entraînera le conflit au niveau des entreprises. La tentative de surmonter le conflit par le levier de la monnaie, qui reste entre les mains de l’État, aboutira à des fortes pressions inflationnistes. La lutte pour la répartition devient une lutte qui s’inscrit dans l’espace de la valeur par l’inflation monétaire. Autant dire que l’inflation apparaît comme une manière de totaliser les contradictions.Or, le cadre national de la régulation monétaire sera dépassé par l’effondrement du système de Bretton Woods (1971). On oublie souvent que si le régime fordiste présuppose la gestion étatique de la monnaie, cette dernière n’est possible que sur la base d’accords nationaux sur le contrôle des capitaux et des mécanismes d’assurance concernant la balance des paiements.La crise du dollar qui inaugure la crise monétaire internationale n’est pas due, comme aujourd’hui, à un excès de crédit privé, mais à un problème de contradiction entre les objectifs politiques qui sont ceux de l’hégémonie américaine (la guerre froide se transmue en guerre chaude avec l’enlisement du conflit vietnamien) et les exigences sociales de développer le fordisme de manière globale. Le projet de Grande Société (Great Society) de Lyndon Johnson consiste à dépasser les limites du fordisme américain qui sont des limites ethniques et de discrimination raciale. La conjonction de ces deux facteurs augmente la dette publique, enclenche la spirale inflationniste et la répand par le biais de la crise du dollar.L’explosion des prix des matières premières est l’autre élément déterminant de la crise des années 1970. Cette explosion est la conséquence du fait que pendant toute la période de grande croissance la domination de type néocolonial sur la production des matières premières a permis de maintenir les prix très bas et d’améliorer les termes de l’échange en faveur des pays les plus riches. D’où un retard considérable de l’offre de production des matières premières. Mais à partir de 1970, l’inflation fait exploser les prix des matières premières par un défaut d’offre.À cela s’ajoute un aspect proprement politique : la crise du Moyen-Orient permettra à l’OPEP d’en faire une arme en nationalisant les ressources pétrolières. Ce qui était aux mains des multinationales passe aux mains des gouvernements qui sont pour la plupart, paradoxalement, des gouvernements féodaux. Cet aspect est crucial parce qu’il accélère l’inflation d’une manière considérable.Au final, la capture de la rente pétrolière par l’OPEP retourne au circuit financier international. Le système financier, qui était auparavant maîtrisé par les gouvernements, devient un système de marché où les acteurs privés s’autonomisent par rapport aux gouvernements. Avec la première crise de la dette souveraine des pays en développement qui advient dans la seconde partie des années 1970, nous assistons au début de la globalisation financière sous la forme du système de l’eurodollar. Le pouvoir privé de la finance s’appuie sur la crise pétrolière pour devenir un pouvoir autonome par rapport aux capacités de régulation des États.La convergence de ces deux forces de déséquilibre par rapport aux mécanismes de régulation antérieurs se traduit par le fait que l’inflation est en même temps une crise du dollar. À la fin des années 1970, le dollar risque de s’effondrer, alors que l’inflation tend à se généraliser et à devenir incontrôlable. D’où le coup de force de Paul Volker qui change complètement le régime monétaire en doublant les taux d’intérêts en quelques semaines. Les conséquences en sont énormes, parce qu’elles vont transformer le régime de croissance dans son ensemble.— Depuis le déclenchement de la crise du fordisme, on a du mal à discerner la nouvelle réalité économique qui apparaît éclatée et incohérente. Qu’est-ce qui prend la place du fordisme dans la nouvelle période qui s’ouvre ?Michel Aglietta — Le nouveau régime de croissance qui s’est développé pendant trois décennies est mis à mal par la crise actuelle. Pour le penser, il faut l’appréhender logiquement selon des concepts fondamentaux. L’élément crucial par lequel opère cette transformation est la monnaie. Ce qui se passe fondamentalement au début des années 1980, c’est le changement total de ce que les économistes appellent le prix relatif du capital par rapport au travail. Ce phénomène se manifeste par une montée massive des taux d’intérêt à des niveaux très hauts, c’est-à-dire approchant 10% de taux réel, à la suite du changement radical de la politique monétaire américaine pour casser l’inflation menaçant de devenir incontrôlable après le second choc pétrolier.Il en résulte une crise conjoncturelle majeure qui aboutit à une sévère récession. À court terme, l’économie américaine subit une crise financière qui affecte le financement du logement et provoque le début de la libéralisation financière par suppression des taux d’intérêt administrés. La politique économique de la gauche qui arrive à ce moment au pouvoir en France et entend intensifier le fordisme se trouve en porte-à-faux par rapport à l’évolution du capitalisme occidental.Or, le politique est prépondérant dans cette affaire. Le coup de force de Paul Volker n’était possible que par une transformation de l’idéologie à l’intérieur de la société américaine qui s’était manifestée dès 1978 en Californie par la grève des impôts et la contestation de l’inflation sous forme d’innovations financières aux marges du système bancaire classique, avec la création des money market funds pour protéger la valeur réelle des dépôts de l’érosion due à l’inflation. Monétarisme et anti-étatisme représentent les ingrédients principaux de cette idéologie conservatrice de type nouveau. En fait, l’orientation de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher ne sont pas dans la lignée du conservatisme de l’après guerre qui accepte en grande partie, quant à lui, l’État-Providence et la doctrine keynésienne. De ce point de vue, nous assistons à une véritable rupture politique et idéologique.— Est-ce qu’il existe à cette occasion un véritable projet politique de bouleversement des fondamentaux du fordisme ?Michel Aglietta — Le projet qui va entraîner ce bouleversement consiste à faire maigrir l’État. Cela implique de remettre en cause des pans entiers du système de protection sociale. Autrement dit, de ne plus reconnaître la dette sociale. D’où l’attaque conjointe contre le mouvement syndical, et tous azimuts, contre les mécanismes de transferts sociaux. Cette offensive ne se fait pas partout dans les mêmes conditions. Par exemple, la Scandinavie fera le choix de préserver le compromis social fondamental. Sous la pression de la crise, elle réduira les transferts sociaux et développera le capital humain (dépenses d’éducation, flexisécurité, etc.). L’idée directrice est de garantir la sécurité des individus et non pas des postes de travail pour faciliter la mobilité.— Cette transformation n’opère pas seulement au niveau des États mais aussi au niveau des entreprises.Michel Aglietta — C’est dans ce domaine que la finance va jouer un rôle crucial. Partant d’une situation où elle est au service de l’économie, elle deviendra progressivement prédatrice. Le vecteur de cette transmutation est le taux d’intérêt : lorsqu’il est très élevé, il crée non seulement une récession, mais aussi une modification des objectifs des entreprises qui ne peuvent plus être gérées de la même manière qu’auparavant. Dans les années 1980, l’espace de l’entreprise est bouleversé dans son mode d’accumulation par le besoin de trouver une rentabilité susceptible de dépasser le seuil que représente le taux d’intérêt.Ce dernier apparaît comme une sorte de juge de paix financier qui confère une rentabilité minimale aux projets d’investissement des entreprises. Quand ces projets ne sont pas « rentables », il est nécessaire de procéder à une réduction drastique des coûts. La gouvernance des entreprises change ainsi de fond en comble. En réalité, il s’agit d’une destruction des formes intermédiaires du fordisme par la prépondérance du financier à l’intérieur de l’entreprise qui redouble son efficience externe. Les directeurs financiers prennent le pouvoir dans l’entreprise à la place des ingénieurs ou des managers des ressources humaines.Aux transformations du côté de l’État et des formes de gouvernance de l’entreprise s’ajoute une troisième série de changements qui concernent le mode de gestion de l’épargne. En fait, après une période de hausse, les taux d’intérêts vont décroître progressivement au fur et à mesure que l’inflation baisse. C’est une période formidable pour développer le capital financier. La baisse de l’inflation et des taux d’intérêt favorise la hausse de la Bourse qui connaît une énorme vague de progression entre 1982 et 2000.C’est la transformation des formes d’épargne qui va nourrir ce processus de croissance financière. Alors que durant la période fordiste le mode de consommation du salariat était structuré par des biens de consommation durable, donc par du capital réel, il change maintenant de dominance pour se structurer par le capital financier. Les épargnants recherchent une épargne à rendement bien plus élevé que celui du secteur bancaire.Dans le nouveau capitalisme, les investisseurs institutionnels et les intermédiaires de marché s’affirment comme acteurs économiques de premier plan (fonds de pension, compagnies d’assurance, banques d’investissement, hedge funds, etc.). Le capitalisme financier finit par s’autonomiser et dominer l’économie réelle. Last but not least, l’État encourage la libéralisation financière et sort progressivement de son rôle régulateur. L’ensemble de ces bouleversements consacre l’émergence d’un nouveau concept, celui de valeur actionnariale. Tel est le principe ordonnateur du nouveau régime de croissance qui commence dans les années 1980 et s’épanouira dans les années 1990 pour entrer en crise à partir du milieu des années 2000.— Qu’est-ce que la valeur actionnariale ? Michel Aglietta — La valeur actionnariale indique que l’objet de la valorisation du capital n’est plus la croissance des revenus et son partage mais la maximisation des plus-values boursières et des dividendes. Les entreprises sont quasiment sommées par le nouveau mode de gouvernance de maximiser le rendement des actionnaires. Autour de la valeur actionnariale se développe un courant idéologique fortement enraciné dans des pratiques économiques dont les promoteurs sont les cabinets de conseils, la presse financière, etc. Le nouveau mode de régulation est à la fois privé et collectif parce qu’il est organisé par les marchés financiers. C’est une norme d’ensemble, tout en étant intériorisée comme objectif d’enrichissement par ceux qui détiennent le capital.— L’entreprise et la finance sont-elles deux mondes séparés ?Michel Aglietta — Non, pas vraiment. L’imbrication se passe de plusieurs manières. Le premier élément est le poids de l’actionnariat comme étant le pouvoir dominant dans les conseils d’administration. Le deuxième élément est la financiarisation des entreprises. Les modes de gestion de la trésorerie et les mécanismes de placements financiers vont être des adjuvants d’importants profits dans les grandes entreprises industrielles. Le troisième élément est le fait que la croissance externe par fusions-acquisitions tend à dominer la croissance standard. L’essentiel n’est pas de maximiser l’augmentation des capacités productives de l’entreprise mais la valeur actionnariale, c’est-à-dire le rendement financier.Ce nouveau mode d’accumulation définit une cohérence et établit des mécanismes intermédiaires de régulation. La gouvernance d’entreprise tend à remplacer la négociation collective. Mais de la même manière que le fordisme avait un mécanisme idéologique intégrateur permettant de rendre compatibles les croyances collectives et la réalité économique (mécanisme fondé sur l’idée keynésienne de la coexistence entre le développement du salariat et l’accumulation du capital), le nouveau principe idéologique implique que seul le rendement de l’actionnaire peut optimiser le système capitaliste et avoir des effets positifs sur toute l’économie. Cette idéologie se développe à travers la notion de marché efficient. Les fondations américaines dépensent beaucoup d’argent pour développer la recherche dans cette direction et « populariser » l’idéologie qui l’accompagne. La micro-économie financière devient prépondérante dans l’enseignement.— Quelles sont les contradictions de cette structure ?Michel Aglietta — Les sociétés humaines avancent par un processus de contradiction qui mine la force dominante, entraîne des phases de rupture et développe d’autres institutions, c’est-à-dire d’autres formes sociales qualitatives. Quelle est la contradiction qui va mûrir dans le cadre du nouveau mode d’accumulation ? Dès l’origine, la valeur actionnariale entraîne trois dérives dans le mode de formation des revenus. D’abord, l’exigence financière devient exigence d’un rendement qui n’est pas le rendement économique du capital, c’est-à-dire le rapport entre le profit et la totalité des actifs qui sont au bilan. Pour réaliser ce rendement financier spécial qui est le rapport des profits aux seuls fonds propres de l’entreprise, c’est-à-dire au capital action, les normes comptables jouent un rôle considérable.Dans la connexion entre l’idéologie et les business models d’entreprise, ces normes fonctionnent comme une véritable forme institutionnelle. Elles traduisent une exigence de rendement financier exprimé par les marchés financiers, qui est très élevée par rapport aux capacités de rendement économique du capital exprimé par la valeur économique, c’est-à-dire le rapport des profits à la totalité de la valeur des actifs calculés à la valeur historique amortie. En conséquence, une incitation à l’endettement massif voit le jour.C’est la dérive de la dette dont les formes emblématiques sont les stocks options, les fusions-acquisitions et le rachat d’actions. On aboutit ainsi à un capitalisme qui contredit ce que disent les manuels d’économie : quand les actions montent, il est intéressant d’émettre des actions plutôt que de se financer par le crédit. Or, c’est le contraire qui va se passer parce que l’essentiel n’est pas de rentabiliser l’entreprise mais de maximiser une partie seulement de sa valeur, qui est ce que le marché boursier évalue comme étant la valeur actionnariale.La deuxième dérive est la pression massive sur les salaires. Les entreprises ne cherchent pas seulement à diminuer les fonds propres pour augmenter le rendement, mais aussi à maximiser le profit. Les salaires réels ne progressent plus. L’éclatement des négociations collectives, l’affaiblissement des syndicats et l’individualisation des rémunérations sont des dispositifs majeurs de l’offensive patronale. Ces évolutions se déclinent, bien entendu, en fonction des formes sociales et des réalités nationales. Dans certains pays, on remarque une résistance face à ces dispositifs, notamment en Scandinavie où les syndicats sont restés puissants.Un autre aspect significatif entre ici en jeu. Dans cette transformation de l’entreprise, la productivité des modes de production mécaniques s’épuise et ne répond plus au seuil de la rentabilité financière. D’où la recherche des modes de production qui permettent d’atteindre de hauts rendements. C’est à partir de ce moment que la vague d’innovations technologiques d’information et de communication devient un enjeu d’entreprise en vue de baisser les coûts fixes du travail. L’incorporation de ces technologies transforme profondément l’organisation du travail. Les pays qui sont capables sur le plan financier de les mettre en valeur prendront de l’avance sur leurs concurrents.De ce point de vue, il est très intéressant de voir les capacités américaines de rebondir et de creuser à nouveau la distance avec l’Europe et le Japon grâce à ces avancées technologiques. En particulier, l’Europe se trouve « coincée » par l’écrasante contrainte des taux d’intérêts qui restent élevés jusqu’au milieu des années 1990 consécutivement aux besoins de financer la réunification allemande et de soutenir le mark.Revenons à la deuxième dérive de la valeur actionnariale. Dans la société salariale, la consommation des salariés fait les deux tiers ou les trois quarts de la valeur ajoutée selon les pays développés. Mais dès lors qu’il existe une déconnexion entre le salaire réel et la productivité, il est clair que la demande intérieure n’est plus en mesure de valider le projet de la rentabilité du capital. Un petit pays peut s’en sortir par le recours au marché extérieur, mais pour l’ensemble des pays de l’OCDE, voire pour les États-Unis, il n’en est pas question. Le ressort de la croissance fordiste (le lien entre salaire réel et productivité) est définitivement brisé.Il est donc nécessaire de déconnecter le salaire réel et la consommation salariale par le truchement de l’innovation financière dont le crédit aux ménages est la forme emblématique. La logique est de faciliter la baisse du taux d’épargne à un niveau historique d’étiage et de développer la consommation sur la base du crédit. Telle est la conséquence de la deuxième dérive : l’endettement massif des ménages qui va croître jusqu’à la crise actuelle.La troisième dérive est l’attaque directe sur la fiscalité. Dans certains pays caractérisés par un dynamisme massif de la dette privée, la conséquence en est la réduction de la production des biens publics, en particulier des dépenses d’infrastructures de l’État. Or, les biens publics servent à accroître la productivité privée. Cet « oubli » fait émerger une nouvelle contradiction qui limite le potentiel de croissance. Tous les éléments de la productivité ne sont pas présents pour l’entretenir. Ainsi, la spectaculaire croissance de la productivité aux États-Unis dans les années 1990 ralentit brutalement dès le début des années 2000 au lieu d’être une longue croissance, à l’instar de l’augmentation de la productivité de l’après guerre.Dans d’autres pays où les rapports politiques et les choix sociaux consistent à maintenir le plus possible l’acquis de l’État, on assiste à un développement de la dette publique. Lorsque ces pays s’intègrent entre eux, comme dans le cas européen, ils entrent dans une contradiction majeure entre le principe de protection sociale qui garde suffisamment d’inertie et le principe de la valeur actionnariale d’inspiration anglo-saxonne.C’est une différence notoire par rapport aux États-Unis où pendant toute une période la valeur actionnariale reste cohérente avec les aspirations sociales à mesure qu’elle permettait le plein emploi, grâce notamment au développement massif des nouvelles technologies et à une politique monétaire très dynamique. Dans ce contexte de bas chômage, les États-Unis acceptent l’explosion des inégalités liée au nouveau mode d’accumulation.En revanche, il se développe en Europe, à partir du milieu des années 1990, un conflit de priorités sociales entre la pression de la valeur actionnariale et le système de protection sociale. Ce qui entraîne, au début des années 2000, un retard considérable du vieux continent pour s’adapter à la crise boursière des « valeurs Internet » et au rebond que les États-Unis vont opérer en poussant encore plus loin l’endettement des ménages.— En somme, les trois dérives que vous venez d’exposer induisent une augmentation considérable de l’endettement global. Michel Aglietta — Exactement. Les dettes nationales brutes, qui incluent l’endettement public, les dettes des agents privés et les dettes de la finance (qui s’endette elle-même pour prêter !) augmentent en moyenne à plus de 300 % du PIB de chaque pays. Le point important est que les structures des dettes nationales sont symétriques : dans les pays où les ménages et les entreprises s’endettent moins, parce qu’il y a une moindre poussée de la finance à l’anglo-saxonne, la dette publique est assez importante parce que ces pays gardent un haut niveau de protection sociale ; dans les pays où la dette publique n’est pas très développée, la dette privée est échevelée. Ce qui explique que si l’on déduit le coût de la protection sociale, les salaires américains, a priori plus élevés, sont comparables aux salaires européens.Cette mutation d’envergure implique que l’enrichissement ne concerne plus la nation mais reste concentré dans la finance qui devient extrêmement prédatrice. Je citerai seulement un exemple. Aux États-Unis, la part des profits de la finance dans l’ensemble du secteur des entreprises est passée de 10 % en 1980 à 40 % en 2006. Nous avons affaire à l’extraction d’une rente qui ronge inexorablement la société de l’intérieur. La contrepartie en est le risque accumulé d’un excès de crédit qui va exploser sous forme d’une crise systémique.Bref, si la crise de la structure du fordisme était l’inflation, la crise de la structure de la valeur actionnariale est la dette dont l’envers est la bulle spéculative sur les actifs. L’éclatement de la bulle fait monter les pertes et donne à voir que le surendettement qui restait jusqu’ici caché, compensé par la hausse permanente des actifs, dépasse finalement l’imagination.— Vous avez évoqué que le processus d’imposition du nouveau mode d’accumulation à dominance financière est fortement idéologisé. Peut-on considérer que le néolibéralisme exprime l’hégémonie idéologique de ce mode à l’instar du keynésianisme qui caractérisait le régime idéologique du fordisme ?Michel Aglietta — Absolument. Dans la période en question, nous avons un changement profond dans la théorie économique avec la prépondérance massive de la micro-finance. Cette expansion correspond à une forte demande qui s’autoalimente de la part d’une masse de jeunes qui veulent des métiers capables de leur apporter instantanément la richesse. Sur le plan proprement conceptuel, c’est la célébration de la notion de marché efficient. Il s’agit d’un concept intégrateur qui légitime la réduction de l’État à un rôle de garant de normes générales tout en postulant l’autorégulation de la finance. Dans cette optique, les très hauts revenus sont justifiés comme des contributions particulièrement élevées au bien commun.Autant dire qu’il subsiste une grande cohérence idéologique allant de la théorie économique jusqu’aux incitations d’exercer certains métiers plutôt que d’autres. La presse financière joue un rôle de relais considérable. Les écoles de commerce prennent une grande importance. Aux États-Unis, on assiste à une cure d’amaigrissement des universités publiques et au développement massif des universités privées. En France, les écoles de commerce acquièrent le droit d’avoir des diplômes de thèses de doctorat, ce qui n’était pas le cas auparavant. La transformation du paysage universitaire traduit cette tendance globale.— La gravité et la profondeur de la crise actuelle sont unanimement soulignées par les commentateurs et les acteurs économiques et politiques. S’agit-il d’une crise structurelle parmi les plus importantes dans l’histoire du capitalisme ?Michel Aglietta — Un aspect des transformations systémiques en cours que nous n’avons pas évoqué jusqu’ici est la mondialisation. Or, c’est un élément absolument crucial du nouveau régime de croissance. La libéralisation financière ne peut devenir gagnante que par la globalisation. Le marché et l’accumulation du capital débordent largement les limites de la souveraineté nationale dont ils dépendent par ailleurs. La globalisation est nécessaire pour comprendre l’augmentation massive de l’endettement. Un changement politique décisif qui va donner une bifurcation au processus en cours est, précisément, la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS. Ce changement fut interprété comme la possibilité de construire une société universelle sur la base des institutions occidentales.Sur le plan politique, c’est la célébration du Consensus de Washington qui entérine le triomphe de la forme anglo-saxonne du capitalisme dont le principe organisateur est la valeur actionnariale. La dette se développe considérablement dans les nouvelles économies émergentes qui s’ouvrent à la globalisation. En parallèle, la Chine et l’Inde, qui ne participent pas au consensus de Washington et qui ne sont pas à la remorque du capitalisme occidental, mettent en route leur propre voie de réforme qui accélère leur développement en élargissant leur ouverture au commerce international.Or, ces pays continents ont des réserves gigantesques de population d’âge actif dans leur vaste espace rural. La connexion de ces espaces avec le capitalisme en plein essor va créer une énorme armée de réserve de travail au niveau mondial. Les paysans chinois et indiens entrent dans le capitalisme de la globalisation. Venant du salariat mondial, une pression déflationniste va déferler sur l’économie occidentale. Dans des conditions de faible inflation qui débouche, au vu de la passivité des banques centrales, à des taux d’intérêt extrêmement bas au début des années 2000, l’incitation à l’endettement massif se révèle irrésistible.La crise asiatique est la première détérioration massive de la tentative de construire un ordre capitaliste mondial sur la base du principe de la valeur actionnariale. Elle représente le germe d’un changement de régime du monde entier. C’est une forme de rejet de ce type de capitalisme par des pays qui pèsent très lourd sur le plan démographique et qui constituent les économies les plus dynamiques en matière d’accumulation du capital et de croissance.En particulier, la Chine représente une forme de capitalisme profondément différente en termes de régulation et de cohésion sociale par rapport au capitalisme occidental. Même si ce n’est pas immédiatement lisible sur le plan idéologique, cette crise connote l’arrêt de l’espoir d’un monde universel sur la base du capitalisme libéral.Dans son effort de rendre cohérente la valeur actionnariale avec les institutions mondiales, ce dernier se heurte au mur de la dette asiatique et à des pays qui cherchent leur autonomie en refusant de s’endetter. Paradoxalement, c’est l’Occident lui-même qui s’endette massivement vis-à-vis des pays dont le mode de croissance est étranger à la glorification de la valeur actionnariale.La contradiction créancier-débiteur qui apparaît au niveau international tend à créer une sorte de solidarité implicite dans la mesure où les uns veulent garder la valeur réelle de leurs avoirs et les autres veulent continuer le processus de croissance par la dette. Mais elle fonctionne aussi comme une source de tensions politiques considérables. Il est clair que la crise financière qui affaiblit le débiteur a des conséquences sur son hégémonie. Derrière l’interdépendance, il subsiste une guerre larvée. C’est un premier élément important du nouveau mode de régulation du capitalisme de l’après crise. Concrètement, ce qui se passe en Chine devient tout à fait crucial pour l’avenir du capitalisme mondial.Un autre élément de mise en cause vient de s’ajouter : le mode de croissance dominant atteint sa limite. La crise actuelle est différente d’une crise conjoncturelle dans la mesure où elle détruit véritablement la légitimité des marchés efficients, et par conséquent, la légitimité idéologique de ce qui a constitué la validation des mécanismes antérieurs. Désormais, le risque systémique apparaît comme une réalité et non plus comme un mythe des antilibéraux. Il en résulte l’impossibilité de repartir en s’appuyant sur le crédit comme naguère.Or, le crédit était le moteur de cette croissance. Il est évident que l’affaiblissement durable des banques conjugué à la pression sociale en vue d’une régulation financière aura comme conséquence d’augmenter le coût de l’endettement et de réduire la capacité de l’expansion. L’intermédiation que la dette a créée entre le divorce des revenus et le problème de l’accumulation et du profit se pose de nouveau et massivement.— Le système économique ne pourrait-il pas retrouver une croissance soutenue après l’épuration de la crise en cours ?Michel Aglietta — Si l’on regarde l’évolution du capitalisme sur une très longue période, nous observons non pas un mouvement linéaire de globalisation mais au contraire des oscillations entre des phases où le système se projette et se globalise, et où par conséquent la finance est prépondérante, et des phases où il se territorialise fortement. Par exemple, le capitalisme manufacturier du XVIIe siècle a besoin d’un mode de lien avec la monnaie qui contraste avec le capitalisme financier de la Renaissance. Cette territorialisation se traduit par le protectionnisme dont le mercantilisme est la forme historique.Aujourd’hui, la possibilité de retour d’éléments protectionnistes est réelle. Une telle évolution serait une bifurcation qui remettrait en cause des pans entiers de la globalisation. Mais, compte tenu de l’ensemble des liens qui ont été tissés sur le plan du capital réel, des transferts de technologie, des flux d’informations ou des manières de gérer les entreprises, liens qui sont bien plus importants que ceux des années 1930, la désorganisation qui en résulterait serait catastrophique.— Faut-il invalider toute stratégie de déconnexion pour sortir du système mondial, telle que la préconise en l’occurrence Samir Amin ?Michel Aglietta — Je dis simplement qu’une telle stratégie aurait des conséquences en chaîne inouïes avec d’énormes effets dépressifs initiaux. La déconnexion entraînerait non pas une baisse, mais une augmentation du chômage. La fiabilité politique d’une telle démarche serait alors d’une extrême fragilité.Raisonnons dans le cadre de la globalisation maintenue. Le meilleur des mondes pour le capitalisme global serait, d’abord, une profonde intégration financière. C’est-à-dire la possibilité de diversifier librement le capital, d’investir dans tel endroit plutôt que dans tel autre, etc. Ensuite, une stabilité de la finance. Enfin, une autonomie de l’espace économique, et donc, une affirmation de la souveraineté nationale qui renvoie à des politiques économiques qui sont évidemment contradictoires, chacune traduisant des choix sociaux correspondant à sa forme sociale.Or, ces trois éléments sont incompatibles. En fait, qu’est-ce qui s’est passé pendant les années 1980 et 1990 ? Rien de moins que le maintien de l’antagonisme des souverainetés dont la crise asiatique est d’ailleurs un jalon important. L’incapacité de l’Europe de passer à un stade politique de l’union monétaire traduit la même tendance. Puis, il y a eu la poussée massive de l’intégration. L’instabilité financière en est la conséquence. Mais si l’on considère que l’instabilité financière n’est pas viable au vu des rapports politiques existants, le retour du balancier réduira l’intégration pour permettre, justement, la stabilité. C’est le problème des compromis à construire.Le G20 a récemment posé les premiers jalons dans la direction d’une finance régulée de nouveau pour prendre en charge le risque systémique, mais pas administrée comme cela fut le cas dans les années 1960. Quel degré de compromis construire entre une intégration qui reste limitée – mais suffisamment importante pour garantir par le biais de ses propres avantages la rentabilité du capital – et la maîtrise de l’instabilité financière afin qu’elle reste tolérable ? C’est l’interrogation majeure de ce que l’on appelle la gouvernance internationale.En tout état de cause, ce type de capitalisme à venir doit produire les éléments d’une gouvernance internationale dont on n’a pas encore suffisamment le dessein, mais seulement quelques germes. C’est un changement très profond par rapport à ce que l’on a connu au cours des trente dernières années de promotion de la finance libre sous l’hypothèse qu’elle était régulatrice. Or, après l’effondrement de cette hypothèse, une autre forme de régulation devrait se manifester.— D’où la question de savoir si ce capitalisme financiarisé est réformable sans rupture majeure dans son système hégémonique en tant que tel. Question qui réfracte le débat actuel sur la nécessité de « moraliser » le capitalisme.Michel Aglietta — Dès lors que l’on admet l’échec de la finance en termes de capacités à établir une cohérence globale, l’État revient. Mais il ne peut pas revenir simplement au niveau national. Il doit se passer « quelque chose » au niveau des relations interétatiques qui constitue une prise en compte du risque global.Ce constat ne s’applique pas uniquement à la finance, il concerne également le problème des matières premières, le climat, etc. Un ensemble d’enjeux formidables est en cause avec des types de crise (alimentation, eau, énergie, etc.) qui sont peut-être beaucoup plus graves en termes de danger de guerre que la crise financière. L’idée d’une société mondiale est en train de monter par ses contradictions. Toute la question est de savoir si le capitalisme peut survivre dans une société mondiale. Mais pour l’instant, le problème est de trouver des mécanismes émergeants de régulation.— Quel type de compromis salarial pourrait rendre le nouveau mode de régulation soutenable ?Michel Aglietta — Dans le cas de l’hypothèse que nous venons de faire, celle de la globalisation maintenue mais profondément modifiée, quelles seront les bases de l’accumulation du capital ? Les données du problème sont très intéressantes. Le développement du capitalisme financier est impulsé par des forces sociodémographiques considérables. À partir des années 1980, les ménages cherchent à constituer une richesse financière qui s’appuie fondamentalement sur le vieillissement de la population. Ce processus social de mutualisation construit le pouvoir des investisseurs institutionnels.Dans la crise en question, qui affaiblit les banquiers, le pouvoir des investisseurs prend de plus en plus d’importance, parce que les agents épargnants se défient des banques et tendent à renforcer l’apport d’épargne des investisseurs. De ce fait, l’idée d’un capitalisme patrimonial, comme je l’avais appelé, est destinée à durer. On ne saurait concevoir aujourd’hui, compte tenu des tendances de la démographie, un capitalisme autre que patrimonial dans lequel la richesse financière est une part importante, avec l’immobilier, de la richesse des ménages.— Sauf pour les pays émergents où le cycle démographique est inversé par rapport au vieillissement de la population occidentale.Michel Aglietta — Absolument ! C’est ici le point intéressant pour retrouver une base de croissance. Encore faut-il construire des institutions pour le faire. En fait, le vieillissement de la population ne se fait pas d’une manière homogène mais d’une manière séquentielle et sur une durée très longue. Toutefois, le vieillissement commence aussi chez les pays émergeants, notamment par une réduction de la fécondité. Ces pays vieillissent par le bas des pyramides des âges alors que les pays occidentaux vieillissent par le haut.Ce phénomène crée a priori une solidarité intergénérationnelle mondiale. Chez eux la force de travail augmente alors qu’en Europe elle a commencé à baisser en termes absolus depuis 2005 (à niveau d’âge de départ à la retraite et à taux d’activité féminin donnés). Au Japon, l’évolution est plus accentuée. Aux États-Unis, le renversement de tendance est prévu à partir de 2015. Bref, dans tous les grands pays occidentaux, on se dirige vers une population active décroissante. Dans ces conditions, la croissance potentielle ne peut que baisser, sauf si une vague technologique majeure voit le jour.Le point important est que les pays émergeants ont besoin d’énormes capitaux pour mettre au travail une population active en forte croissance. Ils sont dans la fenêtre d’opportunité qui fut celle de l’Occident pendant la période fordiste. Ils ont donc besoin d’une espèce de fordisme mais dans un cadre différent, en fonction de la globalisation, de leurs spécificités sociopolitiques et des contraintes environnementales.Quand on évoque que la Chine doit redéployer sa croissance vers la demande intérieure, c’est une manière économiste d’insister sur la transformation de la société permettant le développement du salaire et du niveau de vie d’une partie considérable de la population. Les classes moyennes chinoises ne représentent que quelques dizaines de millions de gens, l’enjeu étant de passer à des centaines de millions.Il existe effectivement la possibilité d’un régime de croissance au niveau mondial, à condition que le capital puisse être investi là où la force de travail se développe. Cela implique que les occidentaux auraient intérêt à inverser les flux qui vont dans le mauvais sens puisque les pays émergeants financent en grande partie les États-Unis. Il s’agit que les grands investisseurs institutionnels qui disposent d’une grande quantité d’épargne à placer puissent assurer ce type de transfert. Cela présuppose un système financier suffisamment stable pour le permettre, car il faut investir à long terme.Mais la question de fond reste : comment réguler le salaire et la productivité ? Comment inverser les inégalités dans les pays occidentaux ? L’impôt est l’élément vraiment crucial pour réduire les inégalités. Cet objectif implique le retour de l’État. C’est une nécessité parce que la réponse à la crise est un énorme endettement public qui doit rester soutenable. Il est clair que l’inquiétude sur la possibilité d’une dérive à l’infini de la dette publique ne fait que monter. Pour mieux la gérer, le politique ne saurait faire l’impasse sur une programmation de la dette à moyen terme de façon à ce que l’on sache comment sortir de ce type de situation. L’enjeu est la stabilisation de la dette à la sortie de crise.— Vous parlez de la dette globale ?Michel Aglietta — Bien entendu. Mais comme la dette privée se réduit dans les pays où elle était devenue insoutenable par la nécessité des ménages de retrouver une situation financière compatible avec leurs revenus, c’est le problème de la dette étatique qui va devenir important. Pour la réduire, il faut que les impôts remontent. Il y aura donc un débat politique important sur la fiscalité.L’instauration d’une taxe carbone, tant aux Etats Unis qu’en Europe, serait le signe d’une évolution politique aux conséquences économiques considérables. D’une part, elle ferait évoluer les prix relatifs de manière à inciter à des investissements dans les technologies bas carbone, tant pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre que pour l’adaptation des modes de consommation au changement climatique. D’autre part, si le produit de la taxe est affecté prioritairement au financement de la protection sociale, cela permettrait de baisser les cotisations sociales, donc le coût salarial unitaire sans affecter le salaire net des ménages salariés. Avec l’effet de croissance entraîné par les nouvelles technologies, les salaires réels pourraient commencer à augmenter de nouveau.— Se placer du point de vue de la fiscalité, c’est rester dans le domaine de la redistribution. Or, beaucoup de choses se jouent aussi dans le rapport direct entre salaires et profits, c’est-à-dire au niveau des politiques salariales des entreprises avant l’intervention de l’État.Michel Aglietta — Pas vraiment si, comme je viens de le dire, la fiscalité est le vecteur d’une réorientation des rendements du capital qui relance l’investissement dans les domaines porteurs d’une croissance soutenable. Mais il reste que l’interrogation sur l’avenir des rapports capital-travail est essentielle. Comment peut-on rétablir un lien entre salaire réel et productivité au niveau des revenus primaires ? Le danger est de rester dans une situation de croissance très basse en raison de la non-progression des revenus qui va être contradictoire avec la dette publique. L’Occident est menacé de marasme.Une manière d’en sortir est de s’appuyer sur la croissance du reste du monde où beaucoup de pays entrent dans l’époque favorable où la part de la population d’âge actif augmente par rapport à la population totale. En même temps, on ne reviendra pas au mode de gouvernement des entreprises du fordisme. Dans le cadre où les actionnaires institutionnels continueront à rester importants, il faut qu’il se produise une modification des objectifs de l’entreprise par rapport à la manière dont la valeur actionnariale a été interprétée dans sa première phase pour que ce lien entre salaire et productivité soit rétabli.Une piste pour l’action syndicale serait d’entrer dans ce pouvoir financier sous forme de fonds salariaux. Une telle posture ne peut qu’entraîner des grands conflits avec les capitalistes. Mais dès lors que l’épargne est institutionnalisée, il faut que les syndicalistes rentrent dans les objectifs des investisseurs parce qu’ils vont jouer un rôle essentiel dans la croissance et dans la régulation des entreprises du futur.En même temps, ils doivent eux-mêmes arriver à gérer des contradictions puisque les salariés sont des deux côtés, à la fois travailleurs, donc créateurs directs de valeur et épargnants, c’est-à-dire cherchant à constituer une richesse en vue de la retraite par le truchement des investisseurs institutionnels. C’est bien pourquoi ceux-ci constituent une forme intermédiaire qui va jouer un rôle prépondérant dans le capitalisme patrimonial.— La gauche européenne qui était prise au dépourvu par l’avènement de la crise systémique, n’apparaît pas moins médusée aujourd’hui face à son ampleur. Quel scénario de sortie de crise selon vous ?Michel Aglietta — La réponse ne peut sortir que de l’analyse théorique que nous venons de faire. Je pense qu’il est impossible de revenir au système financier des années 1960. L’épargne institutionnelle va jouer un rôle important, telle est la logique des transformations historiques. C’est donc elle qui peut donner des objectifs aux entreprises. Que reste-t-il comme solution à part les scénarios impossibles (retour en arrière) ou catastrophiques (refermeture nationale) ? Il reste une nouvelle régulation des revenus sur la base d’une finance rénovée. Militons d’abord pour la rénovation de cette finance ; jouons la carte du G20 ; essayons de faire en sorte que le crédit soit maîtrisé pour ne plus repartir dans des processus de spoliation par certaines catégories de financiers sur toute l’économie. L’idée directrice est de permettre aux investisseurs de faire émerger des objectifs de long terme.— Quelle pourrait être le rôle de l’Europe dans cette perspective ?Michel Aglietta — Le danger de l’Europe est qu’elle n’existe pas politiquement. Certains pays européens peuvent s’en sortir individuellement. Mais l’Europe dans son ensemble ne saurait réussir sans se donner les moyens de l’action collective et la mise en commun des ressources budgétaires. C’est l’enjeu du dépassement des égoïsmes nationaux pour une solidarité indispensable à la poursuite du projet européen. À défaut, elle deviendra un ventre mou face à des forces autrement structurées qui la dépassent largement, liées au duopole États-Unis - Chine. En effet, elle risque d’avoir une croissance très basse. La solution du problème en question reste social-démocrate, mais à la manière dont les Scandinaves ont transformé la social-démocratie.— Précisément, qu’est-ce que cela implique au niveau du projet économique de la gauche ?Michel Aglietta — Cela implique une très forte restructuration de l’allocation des fonds publics. Autrement dit, une montée de la pression fiscale. Cela implique surtout de jouer la carte de la justice fiscale en élargissant la base de la fiscalité pour réduire au maximum sa pression. La visée politique est à la fois de faire reculer les inégalités et d’augmenter les ressources de l’État au service de l’éducation, des transferts de main-d’œuvre pour gérer le chômage, non pas par plans d’aide à l’emploi successifs mais par un système de formation tout au long de la vie, etc.Il faut alors identifier les meilleures pratiques et en tirer les conséquences pour transformer, somme toute, la social-démocratie à prépondérance distributive (passage des revenus primaires aux revenus secondaires) à une social-démocratie de production de biens publics. Le maintien du capital humain à un niveau très élevé, le soutien massif de la recherche, les collaborations public-privé encouragées au niveau européen, la mise en place d’une politique de l’énergie commune, la protection de l’environnement où il y a les bases d’une nouvelle vague technologique sont des pièces maîtresses de ce projet politique. Cela suppose une gestion publique rigoureuse et des choix sociaux extrêmement clairs que les citoyens doivent valider par le vote
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